vendredi 9 février 2007

3 courtes histoires de jeunes filles…

I. Guedel

Sarah est une jeune fille de 17 ans. Pas très grande, bien potelée sans être grosse, de magnifiques yeux noirs, des cheveux soigneusement peignés et tressés en une longue natte. Le cadre : Paris, un groupe de 7 jeunes filles accompagnées par 2 éducatrices dont moi… 7 jeunes filles qui ont passé un temps non négligeable à se préparer pour chacune des sorties, à se coiffer, se maquiller, s’habiller, et plus encore pour cette sortie dans un restaurant – discothèque oriental. Le repas est excellent, les propos des jeunes filles fusent… Et une discussion s’amorce à partir d’un « évènement » survenu quelques jours auparavant. Zineb, la sœur aînée de Sarah a mangé un kebab en pleine journée pendant le ramadan… Il est alors question du rapport que les unes et les autres entretiennent avec la religion. Sarah nous annonce alors : « je risque de vous choquer mais moi, plus tard, je porterai le voile. C’est une marque de respect vis-à-vis de mes ancêtres, c’est une marque de respect vis-à-vis de la femme, c’est une marque de respect pour moi ». Des réactions fusent de la part de la sœur de Sarah et de 3 amies présentes. « Tu ne vas pas faire ça ! » « c’est rétrograde » « c’est pour faire plaisir aux parents »… Et Sarah d’expliquer que c’est avant tout pour elle qu’elle le fait et dit sa révolte de la manière dont sont considérées les femmes dans notre société occidentale : « elles doivent montrer leurs seins pour faire vendre une bagnole ! », à la fois discours entendu, mais aussi discours qui ne souffre d’aucune nuance…
Un peu plus d’une heure après cet échange, qui me laissera sans voix, Sarah, sa sœur et ses amies iront danser et, comme beaucoup d’adolescentes de son âge, elle fera tout pour attirer sur elle les regards des hommes présents…

Amélie a 14 ans. Lorsque nous la rencontrons pour la première fois il y a un an, elle est très régulièrement en présence d’autres jeunes filles plus âgées qu’elle. A l’époque, elle se présentait comme l’ado (qu’elle n’était pas encore) révoltée : contre ses parents, sa mère en particulier, contre les adultes, les éducateurs en particulier, contre l’école et ses enseignants… râlant toujours, jamais contente ! Passant elle aussi un temps non négligeable à se pouponner, à se maquiller, peu soucieuse néanmoins d’hygiène… Puis Amélie s’est mise à grossir… Impressionnant cette jeune fille qui, au moment de la puberté, masque ses formes naissantes par un amas de graisse… Amélie est dans le déni : « je n’ai pas pris un gramme », « je fais attention à ce que je mange » dit-elle en avalant goulûment un paquet de bonbons devant nous… Alors que ses camarades se transforment en belles jeunes filles pubères, Amélie va s’enrober (se protéger ?). Ses vêtements seront soit informes, très larges, pour masquer son « embonpoint », soit très moulants, provocateurs… son hygiène laisse de plus en plus à désirer et Amélie s’isole des autres, le justifiant en les traitant de « bécasses »…

Isabelle a 17 ans lorsqu’elle nous dit être amoureuse du frère d’une de ses copines âgé de 2 ans de plus qu’elle… Aînée d’une fratrie de 7 enfants, tous suivis par le service de protection de l’enfance, Isabelle s’est énormément occupé de ses frères et sœurs, ne disposant que de peu de temps pour elle. Elle réussit néanmoins brillamment un BEP « force de vente » qu’elle sait peu valorisé dans le milieu de l’enseignement et dans le milieu professionnel mais c’est l’animation qui la tente… Elle disqualifie régulièrement sa mère, reconnue « incapable majeur », et semble régner sur son petit monde comme une vraie petite maman…
Très peu de temps après avoir fait la connaissance de Yohann, Isabelle nous dit qu’elle aimerait avoir un enfant… Très (beaucoup trop) vite, une collègue lui dit : « à ton âge ? tu ne vas pas t’embarrasser d’un mouflet ! Tu as tes études à finir, ton projet professionnel à concrétiser… Avec Yohann ou avec un autre, tu as tout le temps devant toi ! »… Et Isabelle, dans son discours, marquera cette ambivalence entre son désir qu’elle exprime ainsi « j’aime m’occuper des enfants, j’aimerais en avoir un à moi ! Je saurai m’en occuper moi ! » et sa raison « je suis beaucoup trop jeune pour élever un enfant… puis il faut lui assurer un avenir meilleur que le mien… il faut d’abord que je trouve un emploi… »…
« Je veux un enfant ! »… un an après, elle accouchera d’un petit Maxence arrivé deux mois avant terme avec des problèmes cardiaques qui lui ont valu déjà deux opérations… C’est les traits tirés par une fatigue accumulée qu’Isabelle me dira son inquiétude, mais aussi ses regrets, tout en affirmant « mais je l’ai voulu cet enfant ! »…

Trois courtes histoires qui me laissent désarmée face à ces ados qui semblent exprimer, chacune à leur manière, une « difficulté à vivre » en même temps qu’une révolte… Et comment laisser, en tant qu’éducatrice, la place à cette forme d’expression sans juger, sans normer mais en ouvrant ces jeunes à d’autres possibles ?

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