vendredi 9 février 2007

Après colloque du CIEN à Paris

« ENTENDRE A PLUSIEURS « CE QUI EST TOUJOURS NEUF » POUR CHACUN »

Françoise Labridy,

Un colloque riche, vivant, enseignant, donnant envie de poursuivre

L’adolescent rencontre la nouveauté de la condition de jouissance. Que va-t’il en faire ? Rimbaud traitait son errance par la poésie, il pouvait passer de l’une à l’autre, il se faisait poème tout en tissant une œuvre de mots. Comment être avec les adolescents pour qu’ils aient encore la possibilité de s’échapper dans et avec la langue pour advenir, sans être fixé, arrêté très vite à partir d’une définition univoque, que leur offrir pour qu’ils aient la possibilité de se laisser vivre à l’inconnu, le temps de le chercher et la joie de le trouver. ? Comment allons-nous pouvoir encore nous attarder un peu avec eux au jeu de la vie ?

Les différents intervenant(e)s du colloque ont tracé les perspectives du tableau dans lequel nous vivons. D’une part l’installation d’un paradigme qui en fixant de nouvelles normes adaptatives sur certaines manifestations de l’enfance et de l’adolescence réduit l’inconnu résidant en l’humain à des déficits ou à des troubles. L’assignation univoque de ces événements à la maladie, ou à la délinquance renforce la mortification du vivant. D’autre part, les interventions enthousiastes des praticiens qui résistent à cette pente cherchant au contraire à vivifier, à soutenir les découvertes les plus infimes des jeunes avec lesquels ils travaillent, permettant d’ouvrir leur monde et de s’y nouer par la confiance et non plus par la méfiance. Ils nous ont donné les résultats opératoires de pratiques professionnelles qui ne reculent jamais devant la nécessité de chercher la singularité d’un sujet dans le symptôme.

Se mettre à l’école de chacun. Noëlle de Smet, s’avançant au plus près de la « dé-munition » à chaque nouvelle embûche : Présenter un Autre « sachant ne pas savoir », un « trou avec quelque chose autour », c’est ce qu’elle met en acte dans sa pratique au quotidien elle nous donne envie de suivre ses traces. Pratique pauvre aurait dit Virginio Baïo, pratique précaire, jamais assise, jamais définitive, apte à saisir et à soutenir l’effort pour habiter la langue comme sujet hors norme, tout en l’accueillant dans la langue commune. Une présence au front sans relâche.

Anne Tristan renforce cette nécessité d’un lien de confiance entre adultes et jeunes, comme possibilité de rencontres et de créations imprévues, de nouage des rêves, pour que puisse être entendu pour chacun « ce qui fait caillou dans la chaussure ». Elle met l’accent sur un dispositif collectif orienté qui en revoyant l’évaluation et la sanction sait alléger le regard de l’Autre. Le théâtre de l’imprévu offre un autre dispositif collectif à des jeunes. Devenir producteurs de textes et acteurs de ceux-ci, produit une mobilisation créatrice et devient une façon subjective de s’accrocher à la langue de l’Autre.

Le travail du CIEN a trouvé une convergence inédite avec celui du CPCT, à partir de l’intervention de Dominique Miller, qui relate avec précision, un style d’accueil des symptômes de notre temps qui ne lâche pas sur l’éthique analytique, celle d’une mise en jeu de la parole, prise dans ses conséquences de mises en acte subjectives.
.
Autre rencontre enthousiasmante entre ce que vise le CIEN et ce qui est le cœur du lieu analytique. Les Analystes de l’Ecole, Jacqueline Dhéret et Laure Naveau nous ont fait partager le soulèvement de deux sujets, jusqu’à la mise en acte des conséquences de la langue sur un corps qui accepte d’en être habité. L’homme s’il habite le monde en poète, peut surmonter l’angoisse par l’enthousiasme d’un désir de savoir trouvant son « pas de clôture » dans sa relance à d’autres désirs.

Ensuite le soulèvement des lycéens du printemps 2005, à travers leurs paroles que Victoire Patouillard a su nous transmettre, faisant écho aux luttes récentes anti-CPE, autant de création de lieux imprévus de conversations, d’échanges et de construction pour déplacer et traverser ce qui durcit insidieusement le corps social. Briser violemment la censure douce qui englue pour ouvrir l’esprit aux présences vivantes qui se meuvent.. En contre-point, la conversation proposée par Philippe Cousty qui justement parvient à briser la glace sans la rompre et à ouvrir l’esprit en laissant la parole accomplir ses tours et ses détours pour que des sujets puissent s’en reconnaître comme responsable.

A l’intérieur des classes, l’orage gronde et le soulèvement peu aussi surgir, Pierre Zaoui a pointer le doigt sur l’objet invisible qui peut agiter à l’insu de tous, les adolescents mis en demeure d’apprendre avant tout, l’obscur objet causant le désir, déclenchant alors des gestes, des agitations incompréhensibles, qu’aucune sanction, ni punitions ne peuvent entendre pour ce qu’ils sont, comme des appels pour lier ce qui bourdonnent en eux, ce qui pulsent et les propulsent. Et c’est cet intraitable objet que Jocelyne Huguet Manoukian cernait à travers des paroles précises : « je suis venu par curiosité et par excitation », le 31 octobre 2005. Ce que certains traduisent comme une dangerosité stigmatisant l’individu, la psychanalyse peut y nommer l’intraitable de la pulsion excitant les corps. Une autre phrase : « j’ai pas réfléchi », fait apparaître l’impossible à penser dans le passage à l’acte, une absence de sujet. Ce que leurs paroles nous apprennent, dit-elle c’est que l’excitation est le moteur de la curiosité et que moins il est possible de penser, plus le passage à l’acte est à l’horizon.

Qu’en déduire ? qu’il y ait lieu, de plus en plus, et dans des endroits divers, à l’école, mais aussi dans la cité, que quelques adultes « non apparentés », mais orientés par l’enseignement de Lacan, se constituent comme lieu d’adresse, pour ouvrir à des conversations, et introduire à une éthique des conséquences. Les enseignants, les éducateurs sont au cœur du lien social, ils sont points de mire, points d’Archimède et parfois cibles possibles. Comment transmettre à un plus grand nombre cette « éducation freudienne » qui nous permet de résister en inventant ? Est-ce le moment de prolonger les liens CIEN-CPCT-AE par de nouveaux dispositifs de formation ?

Anne Ansermet en signalant que nous sommes pris dans l’incontournable langage-logo : TIC, TOC, TOP, THADA, TDAAH… qui à l’inverse de l’usage du prénom, anonymise, et inscrit l’enfant dans une classe statistique, nous conduit à continuer encore plus à travailler sur la langue poétique comme lieu du sujet à venir.

De la révolte, de la colère, de l’espoir, de la joie, de l’enthousiasme, il y en a eu de la part de ceux qui nous ont transmis leur expérience, pas de lassitude et toujours de la vigilance pour ce qu’il y a à inventer de nouveau, avec d’autres.

Françoise Labridy,
9 juin 2006

Aucun commentaire: