vendredi 9 février 2007

CIEN. Réunion du 5/12/06

Hélène

Est abordée la question du regroupement de nos textes qui circulent via Internet, entre-nous. Des enjeux de ce rassemblement peuvent être de nous ouvrir des perspectives de travail et d’élaboration à plusieurs, pour que – je cite Françoise :
« l’avenir ne se ferme pas à nos grands corps malades ».

Françoise fait un retour sur le pari de la conversation que fait le Cien :

Il s’agit de prendre acte qu’il y a de l’impossible dans les situations humaines et pas seulement de l’impuissance. Au cœur des évènements, les acteurs ne trouvent pas toujours de solutions sur le moment. Cette distinction entre impossible et impuissance ouvre à la nécessité de se donner des temps de penser, des temps où l’on peut dire que l’on est mal, des temps où l’on peut dire que l’on ne sait pas. Ces temps d’arrêts où l’on converse permettent aux sujets de prendre du recul dans l’après-coup. Il s’agit de redonner à ces moments-là leur caractère essentiel, puisqu’ils permettent d’élaborer ce qui fait impasse. Ces temps de ne pas savoir, ont donc à rester ouverts.
Ces temps de retour sont d’autant plus nécessaires que les procédures se durcissent, se resserrent. Il faut exercer une vigilance vis-à-vis de certains pseudo-concepts qui nient qu’il y ait de l’impossible. Ils créent une confusion, ils modélisent de pures fictions, inopérantes pour organiser la pensée :

- Par exemple, on va parler de « soins culturels » (Rufo). On met ensemble deux signifiants comme si ça allait de soit que l’objet culturel avait un effet de soin sur un sujet. Or, l’art n’a jamais eu comme intention la guérison. On oublie le contexte du « comment » est abordée l’activité culturelle pour qu’éventuellement elle ait des effets structurant pour une personne ; on oublie ce qui se transmet et qui est bien au-delà de l’objet, ce qui naît de la rencontre inédite entre les sujets.

- Ou encore on a à faire à des oxymores, ces accouplements monstrueux de deux signifiants incompatibles. Par exemple on nous parle de « rupture tranquille », oxymore qui fait croire qu’une rupture peut être tranquille, enlevant par définition l’essence même d’une rupture qui est un déchirement, qui bouscule en profondeur et qui n’a rien de tranquille.

- Ces concepts sont aussi dangereux car ils brouillent les lignes de partage entre ce qui relève de la pulsion et ce qui relève de la maladie.
Ce qui est de l’ordre de la pulsion est déversé du côté de la thérapeutique, ramené sur le pôle de la santé, ou encore de la répression.
Par exemple, il est nécessaires que des espaces de parole puissent exister dans l’après coup de certains évènements qui surviennent en Institution. Lorsqu’une une infirmière se prend un coup de poing par un patient, il faudrait qu’elle puisse en parler, faire retour avec d’autres, également concernés, sur l’événement. Il est rappelé que le risque du passage à l’acte est au cœur même de la pratique psychiatrique, ce qui semble être oublié aujourd’hui.
Après la sidération provoquée par deux suicides survenus coup sur coup dans un même service, le silence sur ces disparitions peut conduire au désespoir et au fatalisme. Or cette effraction du Réel doit pouvoir se dire dans son caractère insupportable, à la fois pour les personnels soignants mais aussi pour les patients.

Il s’agit de ne pas laisser le présent nous arrêter pour permettre l’avenir, qui n’existe que dans l’incertitude. Pour cela il est nécessaire de créer une nouvelle hospitalité par d’autres mots, équivoques, afin de redonner de la consistance à ce que nous voulons signifier.

Roselyne prend l’exemple du Slam pour dire que c’est aussi ce mot nouveau, employé dans un nouveau registre, qui fait venir ses élèves à l’atelier d’écriture. « Si j’avais appelé ça ‘viens écrire un poème’, pas un ne serait venu. » Et cet espace peut être investi par de l’imprévu et du nouveau car il est hors de ce qui se fait déjà avec la langue, dans un cours de français. Il semble que ces adolescents résistent au pouvoir de mortification du signifiant, de la langue commune, ils veulent inventer. Dépoussiérer la langue par le slam suscite de la délectation pour certains. Comme si cela leur permettait de rester dans les sensations tout en ayant à accepter d’en passer par la langue, qui a pour effet d’amenuiser, d’ordonner la jouissance.

Marie-Odile reprend la notion de concepts ou de procédures. De quoi empêchent-ils de parler ? Pour elle, deux questions restent taboues en institution : celle qui a trait à la mort et celle qui a trait à la sexualité. Ces questions sont évincées car d’une part, elles contredisent d’emblée ce que cherche à promouvoir l’Institution : un état possible de bien-être permanent, et d’autre part, il y a une peur que ces situations insupportables (prises dans ces deux questions) soient reprises à l’extérieur et par les médias.
Et il y a aussi cette peur liée à cette pensée que s’il y a eu passage à l’acte, c’est que quelque chose a échappé à l’Institution. Alors on essaye de rattraper l’événement et de l’annuler. Marie-Odile évoque un « lien de peur », ce que beaucoup de personnes autour de la table reconnaissent massivement. Le « lien de peur est quasi palpable » dit Chantal.

Cette peur de la faute par rapport à un passage à l’acte, par définition non anticipé, s’explique par une juridicarisation massive en psychiatrie. C’est-à-dire qu’on ne pense plus du tout le passage à l’acte dans son écho pour le sujet et dans le sens que lui confère traditionnellement la psychiatrie. Le passage à l’acte devient « un incident » qui appelle dans un premier temps « un rapport d’incident ». Vient ensuite le « débriefing ».
Ici, le passage à l’acte est considéré comme une défaillance, une erreur dans un système. Du coup la faute serait à repérer du côté du personnel. Comme dirait Stéphane la question devient : « Quelle a été la couille dans le protocole ? »
Cette question permet d’éluder la question de la pulsion de mort à l’œuvre chez les sujets. Dans les commissions dirigeantes des hôpitaux psy on parle argent (comment faire des économies ?) protocoles de sécurité, sécurisation des lieux.

Dans une autre institution le « débriefing » s’apparenterait plutôt au rappel à l’ordre fait à une personne pour la remettre dans le droit chemin, pour qu’elle ne sorte pas des clous.

Roselyne illustre une forme de procédure utilisée dans son collège. Il s’agit de la mise en place d’une feuille de suivi. « Comment faire pour que l’élève arrête son chahut et comment le suivre de façon la plus serrée possible dans son comportement de manière systématique ? » Exit les causes qui font qu’un élève ne s’intéresse pas au savoir, et cherche à faire trou dans le système. A chaque heure de cours de la journée, tous les jours de la semaine, le comportement de l’élève est notifié sur la feuille…

Une autre procédure qui vient empêcher de penser : l’outil informatique. Ca devient un moyen d’éviter le conflit, la confrontation incarnée des sujets, qui semble faire peur également. Ca induit une autre organisation du lien social. (ça me fait penser à mon chef d’établissement qui demande, si on désire le voir, qu’on lui envoie un email quand il est occupé –il est souvent occupé- et qui manifestement n’est pas à l’aise dès qu’il y a rencontre réelle entre personnes) Le traitement des faits par l’outil informatique positionne l’ordinateur à la place du lieu de la vérité, et dénie toute causalité de parole aux sujets.

Chantal demande comment faire avec tout ça, comment faire pour ne pas subir, être démuni ?

Le moment du débriefing ne peut-il être transformé en temps de libre parole que les acteurs se réapproprient ? Ce qui s’y dit ne dépend-il pas de ce que les sujets désirent y engager, à côté de (ou malgré) ce que l’on voudrait leur imposer ?

Des jeunes font preuve de ressources et d’inventivité pour aller chercher les adultes et créer du lien. Yasmine prend l’exemple de son fils Mathias, à l’occasion d’une heure dite de « vie de classe », heure censée permettre de causer de ce qui ne va pas, de ce qui cloche, dans le collège, dans la classe, etc.
Or, ce temps est pris par la prof pour faire cours normalement. Mais Mathias ayant oublié ses affaires de français a demandé aux autres enfants de « poser pleins de questions » pour que le cours n’ait pas lieu, et pour qu’il ne soit pas « attrapé » sans ses affaires. Et par solidarité les questions ont fusé.
Incidemment les élèves ont donné à la prof l’occasion de leur dire qu’ « elle aimait bien faire cours avec eux et que ce n’était pas le cas avec toutes ses classes ». Elle laisser entrevoir qu’avec une classe, il se passe bien autre chose qu’une transmission de savoirs, qu’il y a du transfert, parce qu’il y a de l’humain, fait de pulsions et de désirs.
Les adolescents ont de l’énergie pour rendre les espaces vivants et vivables. Ils savent aussi se montrer intraitables lorsque ça se durcit autour d’eux…
Ils nous permettent de garder à l’esprit que l’enjeu de la rencontre est l’humain et qu’il y a quelque chose à élaborer, qu’il y a de l’Angoisse quelque part. Aux adultes d’accueillir ces pulsions et de ne pas s’appuyer sur le Surmoi pour condamner ces pulsions.
A cet endroit, les adolescents nous précèdent, de par ce temps pulsionnel éminemment-là dans lequel ils sont pris et dans lequel les adultes ne peuvent plus être. A nous de nous laisser déplacer par ce qu’ils nous amènent, au lieu de se ranger du côté du Surmoi en actionnant le surmoi des adolescents.

Aucun commentaire: