jeudi 8 février 2007

Echos au texte de Joseph Rossetto et à la réunion du 21 octobre 2005.

Yves-Félix Montagne

« Le langage médium du monde détermine les possibilités que le Sujet à d’agir sur lui » dit
en substance M Rossetto. Cette possibilité d’action peut s’envisager comme la nomination, la symbolisation, la singularisation du désir. Le langage dans cette fonction conditionne le rapport à l’autre, aux autres, à l’Autre. C’est dans ce lien humain, dans sa nature et dans ses effets, que le langage provoque l’insécurité. Car ne sont-ce pas les conséquences (prévues, connues)de la parole mal-entendue et à fortiori perçue comme mal-dite, qui génèrent l’insécurité des sujets qui parlent ? L’élève/adolescent qui est victime dans le langage sait qu’il se met en danger en parlant ( en se liant à l’autre dans le symbolique). JL Nancy s’insécurise en se mettant à parler en comptant sur les effets positifs de son discours. C’est chez l’autre qu’il espère que ce qu’il dit prenne son relief et son intérêt. L’élève « insécure » sait d’un savoir insu mais tellement expérimenté, que ce qu’il mal-dit porte à conséquence négatives. C’est chez l’autre que ce qu’il dit faux, ou pas du tout, prend tout son poids. L’autre en miroir lui montre sa fragilité.

L’ELEVE EN INSECURITE LANGAGIERE connaît les effets de sa méconnaissance. Il sait que l’autre l’étalonne à cette aune. Il sait aussi, qu’il se livre plus que ce qu’il ne dit pas assez bien. Il SAIT QUE LE LANGAGE L’ENGAGE.

Les adolescents apprennent à se méfier de l’arme à double tranchant qu’est la parole. Elle leur prouve leur impuissance au monde à un moment de leur vie où ils aspirent à le conquérir.
Tous ceux de l’école et du CIEN (la double nationalité est ici avantage) savent, que cette impuissance s’apprend de surcroît à l ‘Education Nationale. Ils ont vu que l’école se prête à cet empêchement. Et les apprentissages sont finalement pervertis. Les élèves qui arrivent dans l’école sans avoir mesuré la sécurité des conséquences de leur langage, en apprennent, à leurs dépends, l’insécurité. Pourquoi alors s’étonner que « le mot remplace la phrase ». Le raccourci est choisi pour minimiser les risques.

Ces élèves comprennent très vite qu’ils ne savent pas assez du langage pour oser parler, pour oser à se risquer à apprendre, car si « le travail scolaire est beaucoup fondé sur l’écrit », la communication et l’acquisition du savoir et des connaissances se font fondamentalement par la parole. Et le manque au « sens des mots » fait écho à celui du sens de leur présence à l’école, à ce qu’on leur demande d’apprendre, à l’école même.

Ce manque dans le langage a des portées dans la structuration symbolique des élèves mais il a certainement des portées dans l’imaginaire des élèves. Quelle représentation a de lui un élève qui vient de constater son ignorance de « l’arbre tilleul » ? Quelle entaille subit l’image de
l’Autre qui ne lui a jamais dit , ou de l’autre qui le met en face de son non-savoir ?
Aider à regagner la confiance dans l’ignorance comme gage d’apprentissages futurs, la confiance dans l’effet positif des erreurs, est sûrement le rôle de l’enseignant..
Ne peut-il cependant aider qu’à re-sécuriser les élèves qui se sont constatés en insécurité, qui ont déjà, d’eux-mêmes fait un petit pas de coté ? Que peut-il pour ceux qui sont encore pris dans ce que Françoise Labridy a nommé la « gangue de leur langage » et dans sa frustration? Que proposer pour refaire de la parole un lien de confiance ?

· Peut-être faut-il aussi dans ce non-laboratoire évoquer l’insécurité langagière du professeur ?
Elle n’est pas du même ordre, elle ne prête pas aux mêmes conséquences. Elle semble contribuer à faire que celle de l’élève se révèle, à ne pas permettre que celle de l’élève diminue.
Insécurité d’ordre différent, mais de nature similaire L’ENSEIGNANT, COMME L’ELEVE, SAIT QUE LE LANGAGE L’ENGAGE.
Il sait et constate que ce qu’il dit a des effets qui le dépassent. Il le voit, plus encore (ou seulement) aujourd’hui, parce qu’il se tient en tant que Sujet face aux élèves. Ou plutôt parce que les élèves le considèrent comme un Sujet. Dénudé, sans ses oripeaux professionnels et statutaires. Comme cette exposition n’est pas de son choix, il en constate d’autant plus les conséquences. Il expérimente, par les réactions de ses élèves, (et les siennes en contre-coup) qu’il se dit dans ce qu’il dit. Il expérimente l’implication. Les effets de sa parole lui prouvent qu’il se dit au-delà de son rôle de professeur. Cette donne est nouvelle, elle semble se répandre dans certains quartiers où les élèves n’ont plus appris (ou refusé), qu’ils ont en face d’eux un enseignant. Ils le perçoivent comme un homme ou une femme qui leur fait cours, qui tente de leur faire acquérir un savoir. Et comme cet apprentissage est perçu comme une fin en soi, une fin sans moyens ni justifications, ils le refusent et le disent en passant dans l’acting-out..
Par leur langage ils engagent les enseignants à leur corps défendant.

Le constat d’être engagé par le langage conduit finalement les professeurs à une attitude « sécuritariste » et pour ne pas se mettre en danger, ils se taisent. Ils ne font que dupliquer les programmes, les directives, les missions. Ce simulacre de parole ne peut pas autoriser en retour la libre expression des élèves. Et la récitation prend le pas sur l’expression. Comme si le mot d’ordre était ; ne pas parler vraiment pour ne pas (se) dire. C’est sûrement là où l’on peut considérer que les enseignants sont « réactionnaires » (dixit M Rossetto). Mais n’est ce pas finalement plus une réponse de sauvegarde de soi, une réaction, une « réactivité »qu’une preuve d’un refus du nouveau, du différent ?
C’est peut être la mesure du poids du signifiant dans le discours du Maître ou dans le discours de l’Universitaire (d’où parlent les professeurs) révélé par le discours de l’Hystérique (d’où parlent les élèves) qui insécurise autant les enseignants.
La constatation de leur implication qui perturbe autant les professeurs, est contextuelle aujourd’hui. Beaucoup des « neo-sortants » (professeurs nouvellement titulaires) se heurtent à cette part d’eux même qu’ils livrent aux élèves, avec surprise et déconvenue. Réaction d’autant plus forte que les formations initiales des IUFM ignorent cet aspect du lien éducatif et ne proposent aucune information, aucune mise en garde. L’institution réagit cependant à ce phénomène sociétal. En plus des suppléments de contenus d’enseignement, pour traiter cet « a coté » du didactique et du pédagogique, on propose un « Accompagnement dans l’entrée dans le métier d’enseignant » (BO n°23 du 06/09/2001). Ne pourrait-on pas voir là une demande à laquelle il faudrait tenter de répondre. Une demande qu’il faudrait faire « CIEN » ?

· J Rossetto fait allusion dans son texte aux jeunes acteurs du film de Doillon et relate la
perception qu’en a eu un critique de cinéma.
Il évoque la langue des banlieues… la syntaxe nouvelle de ces jeunes….et souligne que la « réthorique …est une praxis, un art de séduire, une recherche de la présence de l’autre ». C’est de et dans cette demande de lien à l’autre que le langage, l’Autre de Lacan, crée l’insécurité. C’est la forme que prend cette demande qui construit l’insécurité langagière. Car cette non-sécurité peut-elle finalement être considérée ailleurs que dans la relation qui se crée pendant l’échange entre élève et professeur ?
Ne peut-on envisager que, au-delà des manques structurels des élèves, cette confrontation créatrice d’insécurité (chez les deux parties mais surtout chez les élèves, il faut en convenir) vient du fait que le LANGAGE EST UNE « LANGUE-D’AGE .
Le décalage intergénérationnel véhiculé par des paroles et des langues différentes contribue à l’insécurité. Les mots dits par les élèves restent demande de désir de l’autre, mais leur étrangeté ne les rend pas signifiants (alors qu’ils restent DES signifiants) pour les enseignants. Dans l’école, en plus d’être réduit à la chose, les mots, ne sont plus en commun, ils ne veulent plus dire la même chose pour tous. La même chose n’est plus représentée par les mêmes mots pour le professeur et pour l’élève. La même idée n’est plus signifiée « conjointement ». Le symbolique est pris en défaut.
La sécurité de l’élève est de s’adresser à l’autre professeur dans sa langue. Quand l’un dit à l’autre, il lui parle comme à ses camarades et ce faisant il l’insécurise. D’autant, comme le rappelait P Lacadée, pour rester dans son micro savoir, l’élève en rajoute d’argot et de verlan. La norme de l’élève devient inconnu et agression pour l’enseignant. Ce dernier se sentant perdre le contrôle de l’échange ne peut que se réfugier derrière le discours dominant (derrière sa fonction) ou adopter la langue des jeunes. Que préférer entre démagogie et rupture ?
On pourrait, pour dresser des ponts entre les deux langues et redonner du sens partagé aux mots, se souvenir de la position prise par Hannah Arendt (La crise de la culture 1954, Gallimard). Elle inverse la direction des attentes et des dons pour permettre à la jeune génération d’apprendre à l’ancienne. Elle rappelle qu’à trop croire savoir les enseignants n’entendent plus les élèves. Ne permettrait-on pas, en s’attardant aux moyens permettant cette réorientation du discours, de contribuer à ce qu’une traduction, qu’une interprétation des dires des uns par ceux des autres soit possible ? Le partage des signifiés ne re-sécuriserait-il pas le couple « enseignant/enseigné ». Ne serait ce pas ainsi donner du poids à la parole des élèves et manifester une forme de ce respect qu’ils appellent autant?

Et alors ? Et après ?
Quoi faire ? Comment faire, pour aller en parallèle des laboratoires du CIEN vers une « désinsécurasition langagière » pendant les cours?

Deux ouvertures vers le gymnase :
· Profiter de l’engouement des élèves pour la parole dans les lieux pas faits pour ça, dans
les moments inopportuns et impulser des CONVERSATIONS DANS L’A COTE DES COURS, DANS LA COUR, dans les couloirs, sur le chemin du stade, dans les gradins de la piscine. Tous les enseignants d’EPS savent combien les discutions d’entrées de vestiaires, dans les à coté du gymnase, sont riches et pleines. Elles sont à prendre comme des embryons de paroles plus engageantes. Comme des moments où le professeur peut donner un accusé de réception au désarroi, et où il peut dire qu’il a entendu l’insécurité. Où il peut relier les craintes manifestes (ou pas) repérées en cours de Français (…) et des conduites motrices révélatrices d’insécurité ou au contraire de bravade exagérée….Où il peut prêter l’oreille en étant certain qu’on lui rendra pleine.

· Mettre en jeu la structure des Activités physiques utilisées pour enseigner l’EPS et en
préférer certaines à d’autres. Permettre, par exemple, aux élèves de s’éduquer physiquement en jouant à l’ULTIMATE.
Dans ce sport collectif (5X5) le ballon est remplacé par un frisbee, les contacts corporels sont interdits, les joueurs ne peuvent pas se déplacer le frisbee en main. Ils le font progresser vers le but adverse en se faisant des passes pour marquer un point. Cela est fait quand un partenaire attrape le frisbee dans une zone au fond du terrain adverse (identique à l’embut de rugby).
Mais la particularité de ce sport réside surtout dans le fait que l’arbitrage soit exclusivement pris en charge par les joueurs. Il n’y a pas d’arbitre pendant un match d’ultimate l’attaquant qui s’estime victime d’une faute le dit au défenseur coupable. Si celui ci est d’accord avec la demande, le jeu reprend selon la règle adaptée à l’infraction. S’il n’est pas d’accord les deux joueurs argumentent pour défendre leur position, en se référant au règlement et à l’esprit du jeu (on n’enfreint pas les règles intentionnellement).
C’est dans ce dialogue que certains peuvent retrouver une relative sécurité, et peuvent ré-utiliser les mots de l’école, le ton et le volume de décibels plus généralement utilisé dans le lien social. Qu’ils peuvent se sortir de « leur gangue » quotidienne et ne plus avoir besoin de crier plus fort ou de se taire pour être surs. Qu’ils peuvent refaire confiance aux signifiés et à leurs conséquences (directement visibles dans le réel des corps en jeu). Qu’ils peuvent repartager avec l’enseignant les mots et leurs sens et les utiliser dans une relation avec les petits autres.
Dans l’appui, le conseil, l’enseignant peut jouer son rôle et sécuriser les prises de positions, les motivations des demandes de fautes, les refus de cette demande. Il peut aider à faire que certaines paroles soient constatées comme entendues.
C’est peut-être dans ce nouveau lien aux pairs, que des élèves pourraient constater que la parole choisie selon les codes des adultes de l’école peut sécuriser le lien à l’autre. Qu’ils vérifieraient que leur demande a été entendue, qu’elle a eu des effets positifs.
Dans cet échange où sans l’action d’un Autre dépositaire de la loi indiscutable, ne sortiraient-ils pas d’une relation uniquement basée sur l’Imaginaire pour réintégrer le Symbolique ?

YFM 10/11/O3

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