jeudi 8 février 2007

La question de la mort des pères ou de leur absence dans une classe de sixième ordinaire.

Roselyne Gavasso

Une classe de sixième que je rencontre début Septembre pour leur enseigner la langue anglaise. 24 jeunes en entre 11 et 12 ans dans un collège d’une petite ville de 8000 habitants. Parmi eux : Gaël qui se fait remarquer dès le premier cours ; il rit, s’esclaffe très fort, ce qui m’amène à lire sa fiche de renseignements dès le premier soir ; il a écrit : « Mon père a eu une rupture d’anévrisme il y a un an et je le vie pas bien des fois ». Au bout de deux cours, je vais lui demander de s’asseoir seul, sans voisins car il passe son temps à les déranger : il leur « prend la tête » ; doté d’une excellente mémoire, il devient vite un des meilleurs éléments de la classe, d’une grande maturité. Jimmy qui a les larmes aux yeux dès qu’on l’interroge ; deux semaines sans cahier ; « sa mère dit-il oublie toujours de lui en acheter un » ; je lui en apporte un et j’écris son nom sur la couverture ; il commence à écrire les leçons comme les autres, mais il est incapable de mémoriser. Sur sa fiche il a écrit : « Maman à la maison », son père ?
Quentin dont la maman me dit lors de la réunion parents – professeurs lorsque je lui parle du manque de concentration de son fils, que ce mois est difficile pour lui car son papa est décédé il y a deux ans. « De façon tragique ? Oui, il s’est pendu à son tracteur – entre le soir et le matin, les choses ont basculé ». Dany : « Mon papa est décéder en 2001 d’une tumeur, du coup il me manque en plus il y a plein de personnes qui me parlent de mon père et du coup ça me fait m’en souvenir. » Loïc : « Pierrot lunaire » qui a toujours tout oublié , tout perdu, qui se perd dans les couloirs, qui, je l’apprends au conseil de classe aurait dû aller en Segpa mais « les parents ont refusé car il y avait déjà la sœur. » Loic qui un jour 2 ou 3 semaines après la rentrée, alors que la classe attend pour rentrer – fond en larme, est alors que je le garde prés de moi dans le couloir me dit : « c’est à cause de mon père – il est mort ; c’est ma sœur qui me l’a dit tout a l’heure dans la cour ; sur son portable. » _ se frayant ainsi un chemin vers le bureau de l’assistante sociale chez laquelle il va passer une heure pour y dire la misère familiale, « le père qui gueule » et qui le reçoit régulièrement depuis. Très vite, au bout de 3-4 semaines, ils se « trouvent » bien que de villages différents. Un groupe se forme, « qui perturbe la classe et dérange les autres » comme le dira le Prof.Principal. Gael semble être « la tête » de ce petit groupe : « c’est lui qui a les idées des bêtises, des bagarres ». Il aura un avertissement comportement voté par plusieurs collègues. Je dis ce que je sais sur lui et ne vote pour la sanction.
Peu après le conseil, Jimmy vient me voir à la fin d’un cours pour me montrer qu’il sera absent le lendemain : « c’est ma mère qui a pris un rendez-vous au CMMP à cause de mes problèmes à l’école »- c’ est pour l’aider.
Dany viendra un jour en classe avec une photo du journal local sur laquelle il apparaît aux côtés de son grand père maternel tenant l’énorme poisson qu’ils ont pêché dans la Meuse ensemble.
Quentin commence à voir ses notes s’améliorer, il est plus actif en classe. Très « suivi » par sa maman ; elle est le représentant des parents d’élèves au conseil de classe.
Et puis il y a Clément, dont je parlerai plus longuement aujourd’hui. Il semble d’emblée bien aimer l’anglais ; toujours aussi souriant, il participe volontiers aux activités même s’il n’apprend pas de façon régulière à la maison. A mon étonnement, j’entends au conseil de classe qu’il s’agite beaucoup dans d’autres cours, oublie ses affaires, passe son temps à « bricoler » avec le contenu de sa trousse. Cela lui vaut « un avertissement au travail ». Je ne vote pas pour.
C’est à l’extérieur du collège que ce jeune garçon commence à faire énigme pour moi car il est « constamment » dans la rue, sur son vélo, parfois même son sac d’école de 8-9 kilos sur le dos, jusque tard le soir. Il m’arrive même de l’apercevoir après 20h lorsque j’ai des réunions ou le week-end après le cinéma etc …….. ; par n’importe quel temps il tourne autour du petit centre ville.
Un soir, au feu rouge, il se colle contre ma voiture, ce qui le fait à moitié chuter sur le trottoir ; gêné, il remonte en selle et file au plus vite. Premier contact.
Le jour suivant, je vais vers lui et lui demande s’il ne s’est pas fait mal l’autre jour, lui rappelle les règles de prudence ; il dit que non ; il sourit.
Dans la même semaine, c’est la visite médicale pour la classe et les élèves se rendent à tour de rôle à l’infirmerie. Clément, à la fin du cours de 11h à 12h vient déposer sa fiche de participation sur le bureau et dit, bien fort pour qu’on l’entende : « Hé les gars, regardez j’ai pas de père ! Y’ a rien là ! » en montrant la première page de son carnet de santé. « Mais si du con t’as un père » s’entend-il, « comment tu serais là sinon ? ». Je prends le carnet et constate qu’effectivement seul le nom de la mère est inscrit et je lui dis : « Parles-en à ta maman et demande lui à elle ; elle, elle sait qui est ton père ». Il repart, souriant.
A partir de ce jour, il vient de lui-même s’installer tout devant, à l’une des tables situées de part et d’autre du bureau ( pour ceux qui ont envie de s’isoler ou qui bavardent trop), et conserve cette place à chaque cours.
Une ou deux semaines avant les congés de Noel, je m’étonne de ne plus le voir sur son vélo et le lui fais remarquer ; il me répond qu’il est cassé, peut-être même irréparable (fourche cassée- trop cher). Je lui dis que c’est bientôt Noel et lui indique une brocante ou il pourra en trouver un d’occasion. Il repart l’air content et revient le cours d’après me dire qu’il en repéré un à 30€, mais dans sa tirelire, il n’a que 25€ ; « fais des p’tits boulots » « y’en a pas l’hiver, y’en a que l’été » « Ah ».
La veille de Noel, je glisse 5€ dans une enveloppe que je dépose dans la boite aux lettres familiale avec un petit mot « pour mettre au bout pour ton vélo. Joyeux Noel »
La rentrée de Janvier arrive ; à la fin du premier cours, il glisse une enveloppe dans la poche de mon manteau et file- toujours le même sourire, les yeux vifs- c’est une carte de remerciements et il a écrit : « jai envie d’aiseyait de maméliorer en anglais ». De fait il passe de 7 à 14 en quelques cours, et dépose même, dans ma boite aux lettres, un test de vocabulaire recopié d’une belle écriture 5 fois « pour gagner des points ».
Une dizaine de jours après cette rentrée de Janvier il m’annonce que sa maman veut me rencontrer un soir à 17h ; lui n’est pas là, il doit garder sa petite sœur. D’emblée elle déclare : « Je viens pour vous demander : pourquoi les 5€ ? » Je réponds que je ne sais pas trop, que j’ai simplement remarqué combien le vélo semblait compter pour son fils. Elle confirme et m’apprend comment la fourche s’est cassée : Clément lors de ses « virées » a heurté de plein fouet une voiture à l’arrêt et a fait un vol spectaculaire ; sa tête a failli heurter le trottoir ; ce sont les policiers qui ayant assisté à la scène l’ont ramené à la maison en demandant de ne pas le gronder car « cela aurait pu être très grave ». Je lui demande s’ils ont eu tous les deux une conversation le jour de la visite médicale. Elle dit que oui, que Clément a posé des questions sur son père, qu’elle lui a appris que « Arnaud », son deuxième prénom, était celui de son père : « ça a semblé lui faire très plaisir ».
Elle me raconte alors les circonstances de la venue au monde de son fils ; mère de 3 enfants, elle était en instance de divorce lorsqu’elle rencontra le géniteur de Clément qui « l’abandonna » dès qu’il apprit qu’elle était enceinte. « Ile le sait, dit-elle, je le lui ai dit » « Il ne voulait pas de toi » « J’ai beaucoup pleuré ; je ne voulais pas d’autre enfant à ce moment là- je ne grossirais pas. »
Elle se remarie lorsque Clément a un an ; son mari reconnaît l’enfant, son « père adoptif » dit-elle. Une petite fille naît ; elle a 6 ans maintenant. Mais voilà il s’est mis à boire, ils se sont déjà séparés une fois en 2005, après une cure de désintoxication, le couple a reprit la vie commune. Il a le vin mauvais. Clément a demandé ce qu’il allait devenir s’ils divorçaient (comment il allait s’appeler ? ) Je lui ai dit « moi je serai toujours là ».
Elle dit aussi que si Clément veut retrouver son vrai père, elle l’aidera, elle se souvient de son patronyme, alors avec « La poste »… .
Ce soir là je pense à une autre élève de troisième, Marion dont j’ai appris récemment par le journal qu’elle est championne de Lorraine en cyclisme et qu’elle a même participé aux championnats de France 2005.
Dès le lendemain, après le cours, je lui demande de préparer l’inscription de Clément auprès du responsable du VéloClub (j’annonce les problèmes d’argent) et de m’apporter ses coordonnées. Puis je les présente l’un à l’autre à la récréation. Les renseignements obtenus, j’appelle aussitôt le responsable, insiste un peu ; il accepte : le club lui prêtera un bon vélo et l’équipement pour commencer ; ils n’auront que la licence à payer.
Clément redoute la réaction de son beau-père : « Il dit toujours non ! ». Mais finalement…quelques jours plus tard il a sa licence en poche. Début des entraînements : pendant les vacances de Février. Il rayonne.
Le lundi précédant ces congés, de fortes chutes de neige empêchent le « ramassage scolaire » ; seuls 7-8 élèves de Commercy sont là. On décide de regarder « L’âge de glace » en anglais. Clément sort de son sac son catalogue d’articles de cyclisme, la photocopie de sa licence et fait circuler.
Ils s’installent devant le dessin animé. Doucement, Clément glisse de sa chaise et s’allonge tout devant sur son manteau ; il se fait un oreiller de son bonnet et de ses gants.
C’est à la fin de l’heure que l’on s’aperçoit : « Hé M’dam, y’a Clément qui dort » ; il s’est endormi, apaisé.
A la rentrée de Février, je vais essayer de saisir des occasions pour parler avec Gael.

R. Gavasso, le 25/02/06.

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