vendredi 9 février 2007

La question de la pulsion

Yasmine Y.

On nous rapporte que dans les prisons la barbarie se déchaîne. Que dans les quartiers ça brûle. Que dans des écoles des enseignants ne peuvent plus faire cours, alors même que des élèves sont sous haute surveillance. Que dans les hôpitaux psychiatriques la peur s’installe. Que dans des instituts, la formation d’aide aux personnes âgées se protocolise jusqu’à l’aberration.

La haine et la rage flamboient de temps en temps, par endroit, nourrissant l’actualité brûlante. Le flot médiatique, grossi d’évènements inquiétants, emporte avec lui les faits les plus graves accompagnés d’un florilège de commentaires journalistiques et politiques. Et les mesures se multiplient. Folle immédiateté, folle urgence. On éteint ici, et ça reprend là-bas. Le vent de la pulsion de mort et son cortège de passages à l’acte semble souffler sans trêve aujourd’hui. La chaîne médiatique paraît avoir définitivement calé son pignon sur l’engrenage de la sauvagerie. La rythmicité du processus fait craindre un phénomène semblable au feu de brousse. Derrière les foyers isolés des évènements marquants, n’y a-t-il pas un brasier qui couve ? Ca se répète, peut-être même que ça s’accélère, en tous cas ça nous enseigne.

Même si quelques uns pensent encore qu’il s’agit d’exactions isolées commises par quelques individus dégénérés, qu’il suffirait de mettre hors d’état de nuire, d’autres pressentent qu’actuellement ces évènements ne font qu’indiquer une dérégulation dangereuse du lien social. La multiplication d’actes de sauvagerie, la détresse, l’angoisse massive sous-jacente exprimées en différents lieux et le sentiment confus que rien ne vient apaiser le processus sont autant d’éléments qui doivent nous forcer à nous extraire de l’immédiateté de l’actualité pour penser, pour mettre en perspective la chose. Notre responsabilité serait-elle en jeu ?

Pourtant les acteurs politiques, ceux à qui nous avons confié la responsabilité de garantir un lien social vivable pour le plus grand nombre, la responsabilité d’organiser au mieux la vie de la cité, s’activent.
La masse des textes, décrets, propositions de loi, nouvelles procédures enflent sous le coup des évènements. Que les élèves se montrent trop insoumis, on leur appliquera une note de vie scolaire ; que les crime sexuels ne cessent pas, on surveillera les personnes plus systématiquement au sortir de la prison ; que des psychotiques se montrent violents, on sécurisera les enceintes des hôpitaux ; que dans des stades, des supporters dérapent, on les parquera dans des zones étanches et surveillées. Les solutions se multiplient à l’envi, les caméras de surveillance comme la présence de plus en plus marquée des « forces de l’ordres » aussi. Les mesures restent sans effet.

Il y a quelques jours, un homme psychotique, souffrant de schizophrénie, enfermé avec deux autres détenus dans la cellule d’une prison, nous a rappelé que les conditions de la barbarie étaient parfois le fait d’une logique sociétale qu’on ne comprend plus.

Aujourd’hui, des acteurs sociaux sensibles aux modifications rapides du lien social et à ses ravages mènent une réflexion qui peut faire école. Praticiens de terrain, plongés au cœur même de l’action sociale, éducative, thérapeutique, ils font des hypothèses quand aux conditions qui catalysent les passages à l’acte, analysent les effets des nouveaux discours sur leur quotidien, échangent et pensent leurs pratiques respectives afin d’y réussir le mieux possible, malgré le contexte difficile. En différents endroits ils mettent en œuvre auprès des personnes qu’ils côtoient dans les lieux où ils exercent, un savoir-y-faire qu’il est intéressant d’élucider et de faire connaître. Ils témoignent, depuis les institutions où ils travaillent, que certains espaces sont plus exposés que d’autres.

Il s’agit de ces lieux de vie où précisément le questionnement adressé à ’’ce que vivre signifie’’ est plus impérieux, plus visible, plus irascible. Dans ces lieux, l’établissement de la Loi, en tant que porteuse du possible et de l’interdit ressemble à un chantier perpétuel. Là, l’appel à un Autre consistant, référant, fiable, supposé savoir, s’apparente à une demande de garantie pour dire oui à la vie.
A l’école, dans les quartiers, que démontrent donc les jeunes ? Dans les prisons, comment fait-on pour cohabiter avec soi et les autres ? Comment font les personnes âgées pour jouir du dernier temps de leur vie ? Comment s’y prend on avec les sujets psychotiques pour que leur rapport au Réel ne trouve sa solution dans les passages à l’acte suicidaires ?
Nous avons tous à répondre de ce qui s’engage dans ces lieux, auprès de sujets assaillis par l’angoisse propre à ces moments de vie dans lesquels ils sont plongés, et qui peut les mener au pire. Cette élaboration ne peut se faire que dans le lien à un Autre.

Il faut questionner la boussole dont se réclament ces acteurs du champ social qui souhaitent maintenant se faire entendre. Cette question est cruciale tant il est vrai qu’aujourd’hui, les nouvelles directives, injonctions, nouvelles procédures qui partent en tous sens et se multiplient semblent indiquer que gouvernants et experts semblent avoir perdu le nord.
C’est de la psychanalyse, champ de savoir si mal-aimé aujourd’hui, que se revendiquent ces acteurs sociaux. La psychanalyse présente cette originalité qu’elle postule que dès lors qu’il y a du vivant, il y a du pulsionnel, c’est à dire quelque chose qui ne peut être fixé et établi, arrêté, résolu. Les interdits universels posés dans tous groupements humains afin que chacun puisse y trouver une place pour vivre (interdit de l’inceste, inerdit de tuer…) doivent permettre de tamponner la tyrannie de la jouissance, sans renier que c’est cette dialectique même qui est en jeu. Les ravages de la pulsion de mort rendent la Loi nécessaire.
L’expression de la pulsion est à saisir dans ce qui est donné à voir, pour qu’un sujet puisse s’organiser de façon à rendre sa jouissance vivable pour lui et les autres. Si la pulsion ne s’arrête pas, elle peut donc trouver des voies d’élaboration, c’est-à-dire des issues permettant à un sujet d’articuler son rapport de jouissance à l’objet, autrement que dans la mort, la destruction ou la coercition. La pulsion n’est donc pas sans objet, objet qu’il faudrait élucider.

Ceux qui ont été formés au savoir de la psychanalyse ne croient pas aux effets de la « gouvernance des masses » pour régler les difficultés du champ social. Ils ont foi dans des engagements qui sont le fait de sujets singuliers.
Il s’agit donc de redonner une légitimité aux bricolages de ces « épars désassortis », qui, en continuant d’exercer une liberté de penser, en se soutenant les uns les autres de leur réussites, en échangeant depuis les obstacles qu’ils rencontrent, développent une véritable éthique de l’action.
Ce processus s’appuie sur une autre éthique associée, soc de la psychanalyse, qui est celle de la parole.
Ces témoignages veulent être une contre proposition à la mise en place de procédures bonnes pour tous, proposées de manière systématique, depuis les hauteurs des experts vers les exécutants, de façon indifférenciée, procédures censées répondre aux excès qui débordent du cadre.

Il faut que le cercle vicieux « troubles/nouvelles procédures » cesse.

Dans les hôpitaux psychiatriques, dans les prisons, dans les quartiers, dans les écoles, dans les instituts de formation aux métiers sociaux, des citoyens demandent donc à être entendus par les acteurs politiques. Ils pensent qu’il est préférable d’accepter de se laisser troubler par les conduites troublantes, pour se demander un peu ce qu’elles signifient, plutôt qu’exercer sur elles une surveillance culpabilisante et pétrifiante. Ils préfèrent les considérer d’un regard neuf, afin de pouvoir encore inventer à partir d’elles, plutôt qu’être prompt à dégainer la sanction idoine prévue par le protocole.
Car ce sont les surprises qui les portent et leur donnent de l’allant pour continuer.
Ceux qui ont fait un détour par la psychanalyse savent que le durcissement du répressif est une mauvaise solution. On ne peut pas vaincre contre la pulsion qui actuellement ne cesse pas faire irruption sous son visage le plus destructeur. Habiller les actions entreprises d’un discours moraliste et d’une juridiciarisation étouffante des actes de chacun, tout en affichant fièrement le concept effrayant de « tolérance 0 », semble être le plus sûr chemin vers le développement d’un procès totalitaire.
« Le ventre est encore fécond, d’où peut surgir la bête immonde » (Bertold Brecht)

L’histoire ne nous a – t – elle donc pas encore suffisamment enseigné ?




PLAN (en chantier, comme tous le reste !)



Ce que pulser veut dire, l’insaisissable objet (a)
A l’âge de la puberté
Dans la psychose

Un traitement de la pulsion nécessaire

A l’échelle de la société, le stade

Ce qui se fait à l’école
Le slam
Les « néo titulaires »
Les conversations

Ce qui se fait dans les institutions

Dans les institutions d’accueil
Les groupes de parole
A l’hôpital psychiatrique
En prison

Recouvrement du pulsionnel par le discours institutionnel

Comment on forme les professionnels

Les procédures

Les nouveaux concepts dans les discours
(champ de la santé, du bien-être, repérage des conduites à risques, la parentalité et autre gouvernance…)

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