mardi 6 février 2007

Les corps vivants

« Comment saisir le vivant au bond quand il se prend dans les mots et les actions pour le relancer en le déplaçant ? »

Du côté des élèves comme des enseignants, des infirmières, des assistantes sociales, des éducateurs... l'incompréhension semble massive : « les élèves font n'importe quoi » ; « ils sont pas vrais ces élèves-là » ; « le prof de gym, y calcule pas les filles, il ne voit que les garçons » ; « les profs, ils comprennent pas ces petites pulsions, cette envie de bouger qui nous vient sans savoir pourquoi ».

Un fossé semble s'établir entre les adolescent(e)s et les adultes qu'ils rencontrent à travers différentes pratiques professionnelles. Comme si chacun devenait étranger à l'autre. Si l'incompréhension s'accompagne également de peur, une kyrielle de positions peuvent s'en suivre et renforcer l'écart entre les vivants au lieu d'en saisir les enjeux pour trouver à maintenir le lien. Le champ social produit de plus en plus de discours supposés avoir les solutions et la vérité de ce qu'il faudrait faire pour résorber les turbulences dans une harmonie, un équilibre supposé possible entre les êtres humains devenu la norme exigible et enviable. Or ces solutions standards imposées de l'extérieur sur les sujets en devenir que sont les adolescent(e)s méconnaissent que ce qu'ils produisent à un certain moment de leur parcours, en mots, en actions bizarres et étonnantes pour l'entourage symbolique est un symptôme-invention, provoqué par ce qui travaille en eux, de la redistribution des pulsions, un symptôme-nécessaire pour créer une place, un lieu où la recherche d'une langue leur sera possible, à partir de ces éléments pulsatiles qui débordent toutes les possibilités d'une langue déjà là. Lacan, dans le Séminaire sur l'angoisse (p. 300), fait apparaître que si la puberté est un temps où le fonctionnement du concept commence véritablement, ce que certains pédagogues reconnaissent, la psychanalyse peut y amener un autre repérage : « en fonction d'un lien à établir de la maturation de l'objet a ».

Les adolescent(e)s, malentendus vivants, ravivent toute la structure à partir de laquelle ils firent leur entrée dans le monde, ils peuvent ne plus savoir où ils sont, ou ne pas vouloir le savoir, être largués, sans les amarres anciennes et ne pas pouvoir en retrouver d'autres, c'est alors qu'ils peuvent en appeler aux énonciations des adultes qu'ils rencontrent et pas seulement à des énoncés qui les impérativeraient sans distance à eux-mêmes.

Le laboratoire du CIEN est ce dispositif où chacun peut trouver non seulement à parler des impasses qu'il rencontre de manière singulière dans sa pratique professionnelle, mais aussi à inventer des dispositifs inédits où ne se lâche pas ce lien d'accroche objet a-langage. Dans l'adresse à d'autres qui se trouvent dans des situations professionnelles analogues s'établit le recul de l'énoncé sur l'énonciation qui permet l'ouverture à un éventail d'autres actes possibles. Il y a eu de nombreux exemples dans le laboratoire comme ceux de Roseline Gavasso qui a crée une boite à idées où les élèves peuvent venir déposer leurs demandes concernant l'amélioration de leur vie scolaire et un atelier « slam » où ils peuvent venir enserrer avec leurs mots, les soucis dont ils sont encombrés. Estelle Gehlé, elle avive un groupe de paroles entre les « accueillits » et les « accueillants » des différents services du foyer de grande précarité dans lequel elle travaille afin que les questions, les propositions partent des humains en présence.
Françoise Labridy

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