vendredi 9 février 2007

Lieux de parole

Danielle HENRY

Lieux d’écoute, lieux de parole ou lieux de parole et d’écoute sont des propositions faites par des enseignants, infirmières, assistantes sociales à des élèves : des adultes et des adolescents qui ont à faire ou (et) à dire entre eux dans un même cadre, l’établissement scolaire, ce qui à mon avis, influence la parole. Si les mêmes partenaires se retrouvaient hors les murs du collège ou du lycée, il me semble que c’est une autre parole qui circulerait, autre chose qui se dirait. Tout ça pour dire que dans ce que je vais rapporter, le lieu (un bureau qui sert aussi au médecin scolaire), le cadre (un lycée professionnel), ma fonction (assistante sociale scolaire), les relations que j’entretiens avec l’infirmière, ce que les élèves se disent entre eux à mon sujet, et tout ce que j’oublie en plus de ma propre subjectivité ont joué un rôle.

Emilie, 19 ans a pris rendez-vous avec moi sur conseil de l’infirmière qu’elle vient voir régulièrement au sujet de « maux de dos », « de chutes de tension », de « son stress » attribué selon les propos de l’infirmière à un rôle de « Cosette » dans sa famille.
Emilie commence l’entretien ainsi : « j’ai déjà vu cinq assistantes sociales et rien ne s’est arrangé pour moi ; la dernière a même aggravé ma situation en intervenant auprès de mon beau-père ; elles ont toutes refermé mon dossier. Je veux que vous ne fassiez rien ; je veux seulement être soulagée. Je suis comme au milieu d’un étang et je fais les gestes pour nager vers le bord mais je fais du sur place juste pour ne pas couler et j’ai peur de couler si je me laisse aller à ma fatigue. »

Emilie me conte son histoire et du temps que je l’observe en l’écoutant, me traversent ces pensées : discrétion de la puberté dans ce corps encore enfantin, absence de « traces » d’une pensée adolescente dans son discours…Ne rien faire comme elle me le demande mais ne pas refermer le dossier. Peut-être ouvrir un autre livre que celui des Misérables avec Cosette et je lui demande si elle connaît le conte « Cendrillon » (c’est ce qui me vient à l’esprit à ce moment là, à cause de ses petits pieds) et nous entrons toutes les deux dans ce monde où les princes charmants, ces passeurs font entrevoir une vie pleine d’espoir, une revanche. Emilie s’anime, elle imagine un futur, une sortie de sa famille qui ne soit pas rupture, abandon. La sonnerie nous rappelle où nous sommes. Emilie veut un autre rendez-vous mais s’attriste parce qu’elle sera en stage pour plusieurs semaines. Nous trouvons une solution.
Je n’ai rien fait, je n’ai pas de dossier, j’ai redouté un instant que « Cendrillon » ne l’inspire pas voire la heurte…Magie du conte !
Ce qu’Emilie m’a dit de sa situation aurait mérité, ce que l’on appelle dans le jargon de ma profession, différentes interventions sociales.
Lieu de parole et d’écoute : Emilie l’a pris au mot, pourrai-je dire.

Danielle HENRY

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