jeudi 8 février 2007

Ne vois-tu pas que je brûle ?

Sonia Le Hir.

Comme nous le démontre Guy Clastres dans son texte Archéologie de la violence, nous proposons qu’à la traversée de l’adolescence, chaque adolescent se doit de se séparer du Nous familial pour risquer sa mise d’un Un singulier qui cherche attache d’un nouveau lien social.
Nous pourrions dire des Uns singuliers qui rejoignent le Un de l’état.
GUY Clastres nous apprend que les sociétés primitives refusent la loi extérieure unificatrice de l’Etat, pour garder son Nous indivisé.
Nos banlieues suivent aujourd’hui ce même phénomène mais à l’envers.
L’Etat représentant du Un unificateur pour tous refuse aux sociétés primitives appelées ici banlieues de rejoindre le Un de l’Etat, de rejoindre cette unification.
Lorsque le terme « racaille » est prononcé par un ministre de l’état, c’est -à -dire un représentant du Un de la loi extérieure, pour tous. Loi qui devrait englober et donner refuge à toutes les singularités.
Par le mouvement de cette énonciation en miroir, il refuse l’expression d’une singularité à pouvoir se nommer. Et recouvre, désigne, unifie sous un signifiant unique, le même pour tous, les banlieues. Désignant un Un (qui rassemble des nous) qui devient alors un Un -extérieur, opposé au Un unificateur de devrait être l’Etat.
Un point donc de stigmatisation, qui renvoie ainsi l’image d’une exception, qui ne peut pas rentrer dans le Un de l’état. Pense-t-il ainsi circonscrire la Jouissance, extirper le mal en le limitant géographiquement ?
Des mots d’adolescents le disent, nous ne sommes pas « tous » des racailles. Cette énonciation devient une déclaration de guerre. Car les mots peuvent être incendiaires.
Désormais les signifiants s’enchaînent implacablement.
« Puisqu’on est des racailles, on va lui donner de quoi nettoyer au Kärcher à ce raciste. Les mots blessent plus que les coups. Sarko doit démissionner. Tant qu’il ne s’excusera pas, on continuera.»
Ainsi le Nous de ce moment d’adolescence est renforcé, l’identification fait le maître, et répond au miroir tendu par l’Autre sur l’axe imaginaire a----à, ok c’est la guerre.
Car cet Autre de l’état, est aussi le détenteur du trésor des signifiants qui renvoie en miroir une identification pour toutes les banlieues purement insoutenable. Dans l’irrespect le plus total, puisque ce mot a été prononcé après la mort de deux adolescents électrocutés dans des circonstances non encore élucidées. Identification de tous au terme « racaille », qui forclos le symbolique, et érige un sinthome de pure jouissance.

C’est la guerre, mais pas n’importe qu’elle guerre, la guerre du feu. La guerre du feu brûle. Des brasiers opposés au jet d’eau sous pression du Kärcher.
Que veut dire brûler ? C’est détruire par le feu, mais au sens figuré c’est l’entreprise d’un sentiment intense, comme l’amour, le désir, l’impatience. C’est aussi au sens religieux « aduler », brûler un cierge. Cela rejoint bien entendu la mort des deux adolescents électrocutés, car au XVII brûler c’est consumer (une chose) par l’action du feu pour en tirer du chauffage ou de l’éclairage. Ces deux morts se sont électrocutés dans des locaux de l’EDF.

Quels sont les objets qui brûlent ? Des voitures qui servent au déplacement de la banlieue vers le centre, des écoles, le lieu du savoir, des entreprises le lieu du travail, des enseignes commerciales, lieu de la communication.
En somme, les objets du lien social à l’Autre.
Ce sont des objet qui brûlent, l’objet qui représente de nos jours notre société de consommation, est-ce ici ce qui pourrait être désigné d’objet petit a ? Objet qu’ils cherchent à consumer pour s’en libérer ?
Ainsi le Nous d’où l’adolescent doit s’extraire, en s’appuyant, en s’étayant comme nous l’apprend Freud sur d’autre que sa famille, cet appui leur ait refusé.
Point d’appui donc pour sortir du quartier. A ce stade fâcheux du Nous indifférencié de leur développement, la question du père se repose. « Père ne vois-tu pas que je brûle » pour paraphraser un rêve dont rend compte Freud dans l’Interprétation des rêves. Mais c’est le père en tant que mis en jeu dans la langue qui est ici sollicité et non plus le père en tant que personne. La figure de père ici en la personne du ministre qui a tenu de tels propos, n’introduit pas la perturbation dans la vie pulsionnelle de ces adolescents, mais la pousse plutôt à s’étaler en plein jour. Car cette image renvoyée, si nous la situons au niveau du stade du miroir, sur l’axe a---à, serait le renvoie en reflet de la figure du même, elle se situe sur le même plan, c'est-à-dire celle du frère ?
Ce qui le démontre c’est une autre occurrence du terme brûler qui recouvre également tous les émois pulsionnels qui émergent à l’adolescence, « brûler la vie par tous les bouts, faire feu de tous bois. »

Le mot « racaille » renvoie également au Un de l’identification pure, le Un de la statistique de l’évaluation qui est l’entreprise de la dissolution du sujet, celle prônée par les TCC . Ce Un là n’est pas le Un du sujet lacanien. Cet intime du Un singulier parmi les autres et non pas Un tous le même.

« On n’est pas des casseurs, on est des émeutiers. » Ces adolescents se définissent comme des émeutiers, qui est un terme qui était employé au sens psychologique d’émoi qui l’a supplanté. Faire émeute, émouvoir à l’extrême.
Cet émoi, ce sentiment intense, sont ainsi mis en acte par ces adolescents, et non pas mis en jeu dans la langue, car ils n’ont pas rencontrés une figure de père qui leur permette de trouver la leur.
« Tu sais quand on brandit un cocktail Molotov, on dit au secours. On n’a pas de mots pour exprimer ce qu’on ressent; on sait juste parler en mettant le feu.»
« On se noie et, au lieu de nous tendre une bouée, ils nous enfoncent la tête sous l’eau, aidez-nous.»

Ainsi le mot « racaille » énoncé par un homme d’état, n’a pas permis à des adolescents de ce même état de franchir le passage entre les sociétés primitives décrites par Guy Clastres et ce qu’illustre Freud dans son texte Pourquoi la guerre ?. Mais ici c’est l’Etat qui a déclaré la guerre aux banlieues. En réponse, une guérilla urbaine, qui sont des petits groupes mobiles, masqués sous des capuches, qui esquivent la confrontation directe, aucun idéal n’est nommé, seule la jouissance incendiaire sans nom se consume. Et la chaîne signifiante se boucle sur le retour à une loi d’exception, le couvre feu.

Ce texte je l’espère ouvre à des questions c’est dans ce but que je vous le soumet.
Sonia Le Hir.

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