jeudi 8 février 2007

NE VOIS TU PAS… ?

Bulletin électronique de l’ Association des Psychologues Freudiens
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Numéro 2 nouvelle série

19 décembre 2005

Texte de Marie-Hélène Issartel sur le rapport de l’INSERM sur les troubles de conduite de l’enfant et de l’adolescent.
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EDITORIAL

L’auteur réussit le tour de force de résumer en dix pages le rapport de l’inserm sur les troubles de conduite chez l’enfant et l’adolescent.
Marie-Hélène Issartel, qui n’est pas psychologue mais médecin, fait mine d’entrer de plain-pied dans la lexicologie promue par les rapporteurs, comme si elle voulait nous familiariser avec la langue des experts, supposée faire nouveau lien social. Ce que faisant elle démontre que l’offensive est rude et le progrès en novlangue sensible, si, heureusement, encore assez lent. Car elle fait entendre mieux qu’à demi-mot et au quart de poil combien d’autres interventions dans ce champ se profilent, qui nous échapperont de plus en plus. À peine ce rapport existe-t-il qu’il fait vibrer des manques d’informations, d’enquêtes, d’études qui coupent et recoupent… et surtout occupent les uns et les autres à ces tâches supposées utiles.
Le fait est que nous nous y mettons, faisant le pari de ne pas ignorer ce qui se trame à couvert de la recherche en santé mentale, certes, sans collaborer pour autant. Car le psychologue freudien ne saurait se dire freudien s’il adhère le moins du monde à tout ce que cette perspective nous promet de bonheur. En revanche, il ne peut ignorer que les temps ont changé, et que sa pratique, son être au monde, son offre clinique, sa langue et son langage mêmes ne peuvent mépriser ce fait de civilisation.
La gageure est donc de parler cette langue des nouveaux maîtres, sans la laisser nous posséder ni même nous contraindre. Elle n’est qu’un masque, dont nous devons savoir user.
Nous avons voulu nous associer pour inventer ainsi ensemble notre fidélité renouvelée à Freud. L’exercice de lecture freudienne du Dr Issartel nous fait entendre que nous n’avons pas eu tort.
Nathalie Georges
Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent

Le rapport « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » a été commandité par la CANAM (Caisse National d’Assurance Maladie de travailleurs indépendants) à l’INSERM. Il porte sur « le dépistage, la prise en charge et prévention » des troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent.
Il s’agit de la synthèse des travaux d’un groupe de douze experts – dont deux canadiens – appartenant à différents champs : psychiatrie, psychologie, épidémiologie, sciences cognitives, génétique, neurobiologie, éthologique. Il consiste en une revue de la littérature internationale portant sur plus de mille articles ; fait remarquable, il inclut une seule étude française portant sur ce sujet ! (à Chartres dans 18 écoles primaires).

1. Définition :

Qu’est-ce que les troubles des conduites ?
Ce sont des troubles du comportement qui vont des « crises de colères et désobéissances répétées de l’enfant difficile aux agressions graves comme le viol, coups et blessures et le vol du délinquant ».
Ces références sont celles des classifications internationales du DSM IV et CIM10. Il est défini comme « un état de dysfonctionnement comportemental, relationnel et psychologique d’un individu en références aux normes attendues pour son âge ».
Le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent admet donc une définition large ; il regroupe des phénomènes hétérogènes appartenant au comportement normal d’un enfant tel que des crises de colères jusqu’à des délits ( vols ) et des crimes ( viols ).
C’est un comportement qui porte atteinte « aux droits d’autrui et aux normes sociales ». « A la croisée des champs de la médecine, (nous verrons laquelle !) du social et de la justice », c’est sa répétition et sa persistance qui permet de l’identifier.

Que veut dire cet amalgame ? Témoigne-t-il de la difficulté à cerner cette entité, ou est-ce une ruse des auteurs pour ne pas faire apercevoir leur visée ?

S’il se distingue de la délinquance comme phénomène social, le trouble des conduites est considéré tout le long du rapport « comme facteur de risque de la délinquance », « pré-requis du comportement antisocial ».
Ainsi, la finalité du rapport est le dépistage et la prise en charge du futur délinquant.


2. Diagnostic

Le diagnostic est établi à partir « d’entretiens standardisés, d’échelle de comportement ou des autoquestionnaires ». Les auteurs l’extraient du chapitre « Troubles du déficit de l’attention et comportements perturbateurs » du DSM IV. A ce titre, il côtoie le très médiatique TDAH, le TOP (trouble oppositionnel avec provocation), et le trouble du comportement perturbateur non spécifié, moins connus. Le trouble des conduites n’est donc pas un signifiant nouveau ! Après le TDAH (trouble déficitaire de l’attention/ hyperactivité), le trouble des conduites se voit promu au premier plan de la scène médico-sociale , et de l’actualité.
Plusieurs critères appartenant à des listes préétablies, sont nécessaires au diagnostic. Les multiples symptômes sont regroupés en quatre groupes : « les conduites agressives à l’égard des personnes ou d’animaux, la dégradation de biens matériels, les fraudes, vols et violations des règles établies ». Le retentissement du trouble sur le fonctionnement social, scolaire et professionnel de l’individu permettra d’apprécier sa sévérité.
La présence d’au moins trois symptômes les douze derniers mois, et au moins un au cours des six derniers sont nécessaires au diagnostic.
Le trouble des conduites est un pot-pourri qui réunit des éléments aussi hétérogènes que « fait l’école buissonnière », « reste dehors tard la nuit » et « a mis délibérément le feu au bien d’autrui », ou encore : « commence souvent les bagarres » et « a contraint quelqu’un à avoir des relations sexuelles ».
L’enfant et les parents ayant toujours tendance à minimiser l’importance des troubles, les sources d’information doivent être multiples : enseignants, éducateurs… il est donc recommandé d’élargir la source d’information et d’échelonner les évaluations dans le temps pour parer à la tromperie de l’autre ! Heureusement, les examens biologiques et les techniques d’imagerie apporteront la preuve du trouble !

Avec ses questionnaires préétablis et ses entretiens standardisés, la méthode exclut la particularité du sujet, son symptôme, soit sa singularité. Chaque enfant ou adolescent doit répondre aux normes de la série statistique de son âge et de son sexe, au risque d’être identifié comme déviant, voire comme futur délinquant.


3. Résultats.

Les résultats de cette étude font valoir une prévalence du trouble des conduites de l’ordre de 5% à 9% chez les garçons de 15 ans en population générale.
Les 2/3 des sujets portant le diagnostic pendant l’enfance l’ont toujours à l’adolescence, et la moitié d’entre eux développera une personnalité antisociale.
Plus le trouble apparaît tôt (avant 10 ans) plus il apparaît d’évolution sévère.
Au sein des délinquants, la prévalence chez les garçons est de l’ordre de 30 à 60%.
Inversement, « la très grande majorité des adultes présentant une personnalité antisociale ont des antécédents de trouble des conduites »
Les filles semblent moins sujettes à ce trouble, seulement 2% à 5% entre 13 et 18 ans en sont affectées, mais son apparition tardive serait plus sévère que chez les garçons.

Le trouble est rarement isolé. On note l’association fréquente au TDAH et au TOP. On ne sait pas vraiment comment ces différents syndromes s’associent ; certaines études établissent une continuité entre eux ; d’autres voient dans leur association un facteur prédictif de la personnalité antisociale voire de violences criminelles.
La coexistence avec un trouble dépressif favoriserait le passage à l’acte suicidaire. La comorbidité avec un trouble bipolaire est de l’ordre de 17% à 42% ; elle favoriserait une personnalité antisociale et augmenterait le risque de prise de drogues ou d’alcool.
Au contraire, la présence de trouble anxieux atténuerait la sévérité du trouble des conduites
Par ailleurs, l’usage de plusieurs drogues est fréquemment associé : l’une favorisant l’autre et réciproquement.

Les suivis des enfants ayants des troubles des conduites ont permis d’établir, que le trouble des conduites est « un pré-requis au diagnostic du trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte ». L’apparition précoce du trouble – avant 10 ans - est un facteur de mauvais pronostic ; il s’associe fréquemment à un niveau élevé d’agression physique (« se bagarrer, faire preuve de cruauté physique » « brutaliser, menacer ou intimider d’autres personnes « ) qui se maintient dans 3% à 11% des cas, et constitue un facteur de risque de troubles de la personnalité chez l’adulte.
Les vols, mensonges et fraudes sont fréquemment observés, sans qu’on connaisse bien les liens qui les unissent au trouble des conduites et leurs valeurs prédictives, faute d’études.

La comorbidité la plus fréquemment observée est celle avec le TDAH et le TOP. «Il a souvent été suggéré que le TDAH et le TOP induisent le trouble des conduites ». Ici, l’emploi des termes « suggéré » « il est probable » témoignent du peu d’objectivité des auteurs – mais de leurs présupposés.
Enfin, le symptôme d’agression physique pendant l’enfance serait un prédicteur plus fiable de la violence à l’adolescence, ce qui n’est pas le cas chez les filles.

Les facteurs de risques :
Ils ne sont pas spécifiques, ce sont les mêmes que pour l’agression physique, les troubles des conduites, les comportements antisociaux et délinquants. Ce sont : les antécédents de comportement antisociaux des parents, le jeune âge de la mère à la naissance de son premier enfant, le faible niveau de scolarité de cette dernière, la consommation de tabac pendant la grossesse, la discorde familiale, la pauvreté, les comportements coercitifs des parents à l’égard de l’enfant.
A son tour, le trouble des conduites constitue un facteur de risque pour l’enfant qui en est affecté, celui-ci peut développer des problèmes d’adaptation sociale : « Echec scolaire, rejet, sexualité précoce, tabagisme, consommation de drogue et d’alcool, participation à des gangs délinquants, dépressions, idées suicidaires, grossesse précoce, problème d’intégration sur le marché du travail – c’est à dire chômage – problèmes de santé physique ».

L’étude des facteurs génétiques met en évidence un coségrégation du TDAH – trouble de conduites, susceptible d’augmenter le risque familial.
Les études des jumeaux trouvent une héritabilité génétique de l’ordre de 50% pour les troubles des conduites, et de 70% - 80% pour le TDAH.
Cependant les facteurs génétiques ne peuvent se décliner qu’en terme de susceptibilité biologique. Leur mode d’expression est « fonction de la rencontre avec les facteurs environnementaux ».

Les facteurs individuels sont essentiellement représentés par le tempérament, la personnalité et la susceptibilité génétique.
La référence au tempérament est ici surprenante : elle appartient à la médecine d’ Hippocrate qui, dans l’Antiquité, le définissait comme l’équilibre entre les quatre humeurs qui circulaient dans le corps.( Il distinguait le lymphatique, le bileux, le sanguin et le nerveux auxquels répondaient les quatre éléments, les quatre planètes...)
Son étymologie latine – temperamentum- signifie « juste proportion, mesure ».

Dans le rapport, le tempérament difficile est décrit par un ensemble de traits négatifs : « qualité négative de l’humeur, faible persévérance, faible adaptabilité, faible distractibilité et réaction émotionnelle intense, niveau élevé d’activité, retrait social »
La précocité des troubles du tempérament, spécialement l’hétéro-agressivité, le faible contrôle émotionnel, l’indocilité et l’impulsivité manifestés chez l’enfant ont un fort potentiel de prédiction du trouble des conduites.

La référence à la personnalité dit l’accent mis sur l’individu social, ses représentations.
Dans son Séminaire, Lacan rappelle l’étymologie de la personne : « persona » qui désignait en latin les masques de théâtre, et par métonymie désigne le rôle de l’acteur portant le masque.
Pour les auteurs, la personnalité narcissique pourrait, avec l’égotisme (tendance à tout ramener à soi) caractériser les sujets présentant le trouble.
La froideur affective, l’insensibilité, la tendance à charmer, constitueraient à eux trois, un trait de personnalité dont la présence associée aux troubles des conduites, auraient une valeur prédictive de la psychopathie de l’adulte !

Devant ces tableaux polymorphes, la subjectivité de l’observateur est largement convoquée. À aucun endroit du rapport il n’est fait référence à une quelconque métapsychologie : l’enfant ou l’adolescent qui présente un trouble des conduites n’a ni surmoi, ni inconscient !

Plusieurs études mettent en évidence le nécessaire « ajustement » entre le tempérament de l’enfant et les attitudes des parents.
« Le trouble des conduites serait surtout la conséquence d’une incompatibilité trop importante entre le tempérament de l’enfant et les exigences de son entourage ». Ainsi, un tempérament « résistant » (difficultés attentionnelles, tendances oppositionnelles) seraient prédictif du trouble quand le style éducatif des parents est « permissif ».
La même importance est accordée aux interactions mère-enfant : une colère mutuelle, un mauvais ajustement émotionnel ou une insensibilité, serait prédictive du trouble des conduites, uniquement chez les garçons !

Parmi les autres facteurs de risques sont retenus les événements survenus pendant la période périnatale. Ils concernent :
- d’une part la mère chez qui la prise de drogue, la consommation de tabac, d’alcool, de cannabis, pendant la grossesse, sa jeunesse, constituent des facteurs de risques.
-d’autre part l’enfant, pour qui la prématurité, le faible poids à la naissance, des complications survenues au moment de l’accouchement (importance de l’asphyxie intra partum comme facteur de risque), un traumatisme cérébral survenu au cours de la petite enfance, constituent des facteurs prédictifs.

Les facteurs familiaux et environnementaux se taillent la part du lion parmi les facteurs de risques.
La présence d’une personnalité antisociale soit chez le père, soit chez la mère, ajoutée à une consommation d’alcool, constituent un risque élevé pour l’enfant.
La dépression maternelle, la grossesse précoce, les perturbations de l’attachement (son insécurité, sa désorganisation) participent aux risques chez l’enfant de développer un trouble des conduites.
L’éclatement de la structure familiale, la discorde conjugale, des pratiques éducatives inadaptées ou des attitudes parentales délétères peuvent aussi contribuer à l’apparition des troubles.
L’influence de la fratrie – l’exemple d’un frère ou d’une sœur déjà condamnée…- peut avoir une influence directe sur le comportement d’un plus jeune enfant.
L’exposition à la violence par le biais des médias, les spectacles violents, les jeux vidéos, tous les comportements de jeunes en bandes, sont facteurs stimulants pour la violence ; ils auraient pour effet d’augmenter les attitudes agressives et diminuer les comportements pro sociaux.

Enfin, des déficits neuro-cognitifs sont impliqués dans le trouble des conduites. Un déficit des habiletés verbales est noté chez les jeunes présentant un trouble des conduites et représente, en même temps, un facteur de risque des conduites délinquantes à l’âge adulte.
Parallèlement, un déficit des fonctions exécutives (c’est l’ensemble des processus cognitifs nécessaires à la réalisation d’une tâche orientée vers un but) est observé dans les troubles des conduites.

Ces problèmes renverraient à un probable dysfonctionnement au niveau des zones temporales de l’hémisphère gauche pour le déficit verbal et dysfonctionnement des circuits ponto-striato-thalamiques pour le déficit exécutif. Mais là encore, les études manquent !

La prévention :
Disons-le clairement, elle vise à prévenir la délinquance, la violence en générale.
Là encore, les effets des programmes sont obtenus et mesurés à partir de questionnaires standardisés ou de rapports officiels de police ou de justice.

Les méthodes de prévention varient selon l’âge des enfants. Par exemple, chez les enfants de moins de trois ans, elles portent sur les parents et les enfants et consistent en visites à domicile, soutien parental pour l’éducation et la santé. En crèche, il s’agit de développer les compétences sociales, cognitives et émotionnelles de l’enfant.
« Les dernières études mettent en avant les interventions précoces (périnatales, préscolaires) centrées sur la mère et le développement des habiletés parentales ».

« Comment être de bons parents » tel pourrait être le nom de ce type de formation des parents qui vise à leur apprendre à exercer la discipline, gérer la colère de l’enfant…etc.

En France, « aucun programme de prévention du trouble des conduites, ou de la violence n’a été publiée dans la littérature scientifique ».

Le traitement
Aux facteurs de risques multiples, doit répondre une prise en charge multiple de type pluridisciplinaire.
Elles portent sur la famille en générale, « ce sont les plus efficaces », l’enfant, et l’école.
Parmi les multiples thérapies utilisées, les multi-systémiques se sont montrées les plus efficaces.
Par contre, le placement de l’enfant ou de l’adolescent dans un centre spécialisé, a plutôt tendance à augmenter les comportements agressifs.

Les thérapies s’appliquant à l’enfant sont essentiellement représentées par les interventions cognitivo-comportementalistes ; elles ont un effet léger à modérer sur les comportements agressifs… elles seraient plus efficaces à partir de 10-11ans.
Le traitement pharmacologique n’intervient qu’en seconde intention dans le cadre de la prise en charge multi-modale. Il n’est pas spécifique et vise une action anti-agressive. On dispose dans ce domaine de peu d’études… moins de trente publications ces vingt dernières années… moins de dix études concluent à l’efficacité des molécules testées.

Sur le plan biologique, les recherches ont mis en évidence « des particularités biologiques possiblement liées avec le trouble de conduite » par exemple : un taux particulièrement bas de cholestérol, de dopamine hydroxylase ou encore une diminution tryptophane périphérique (précurseur de la sérotonine).
Corroborant ces résultats, les techniques de neuro-imagerie ont mis en évidence la participation fonctionnelle de certaines parties du cerveau dans les comportements violents. Ce sont les structures limbiques (hippocampe, hypothalamus, setum, amygdale) le cortex cingulaire antérieur et orbito frontal ; ces zones étant riches en monoamines, on sait que le développement de ces zones est sous l’influence génétique et environnementale.
L’hypothèse retenue actuellement est « un déficit fonctionnel installé au cours de l’enfance et de l’adolescence ».La maturation cérébrale n’étant achevée qu’à l’adolescence, le trouble des conduites « pourrait être en rapport avec une altération de nature développementale des circuits cortico – sous- corticaux impliqués dans le contrôle de l’impulsivité, de l’agressivité et des interactions sociales ».

On notera la prudence de ces hypothèses, l’emploi du conditionnel…mais la volonté de trouver un fondement biologique au trouble est clairement exprimée.
On attend beaucoup de ces nouvelles techniques pour comprendre le trouble, éclairer sa cause, ouvrir à de nouveaux traitements.
En attendant, les multiples facteurs de risques ,« leur interaction dynamique », tiennent lieu de cause et orientent les différentes stratégies de prise en charge qui visent à tisser un véritable maillage pour repérer, cerner, contrôler, et maîtriser les futurs sujets déviants.


4. Recommandations

À la fin du rapport, une somme des recommandations s’appuyant sur toutes ces données, sont proposées pour diagnostiquer, prévenir et traiter le trouble de conduites. Elles se déclinent en diverses actions:
L’information et la sensibilisation des familles, des enseignants, du public en général sur les symptômes et les facteurs de risques. Les experts proposent la création d’un site internet accessible à tous…pour favoriser le repérage et la prise en charge du trouble.

La formation de tous les personnels de santé dans le cadre de la formation et de la formation continue. Elle concerne les intervenants en PMI, CMPE, CMPP, AEMO, Infirmière scolaire, ainsi que le personnel du secteur judiciaire.

Le dépistage doit être assuré par les médecins dans le cadre des consultations obligatoires (au 8ième jour, 9ième mois, 24 mois, 5 et 6 ans) auxquelles doivent se rajouter un examen de repérage précoce dès 36 mois.
Les auteurs recommandent d’introduire « quelques items dans le carnet de santé de chaque enfant « pour repérer les signes précurseurs tel que les agressions physiques (bagarres, coups de pieds…) l’opposition (refus d’obéir, absence de remords) l’hyperactivité.».
Un bilan annuel du développement par le médecin scolaire avec le concours des enseignants, est conseillé.
L’utilisation de « questionnaires simples » y est promue pour réaliser le dépistage des tempéraments difficiles, du défaut d’empathie ou encore des troubles du langage ou des apprentissages, tous facteurs de risques du futur délinquant !

Le groupe d’experts va plus loin. C’est dès la période ante et péri-natale que doit s’exercer le repérage. C’est donc au sein même des maternités que doivent se repérer les enfants et les familles à risques dont celles qui présentent des troubles mentaux en leur sein.

Enfin, il est conseillé la création au niveau national de centres d’accueil spécifiques – sur le modèle des maisons pour adolescents-, d’accès gratuit et sans rendez-vous, où les parents et les enfants pourront être écoutés, orientés.



Traitement: Il fait suite à l’évaluation « rigoureuse » du trouble... Il mesure les troubles associés et en apprécie le retentissement.
« Dans un premier temps, le trouble des conduites est traité par des interventions psychologiques et sociales. Il peut s’appliquer à l’enfant, aux parents, également aux enseignants ».
Les thérapies préconisées sont les thérapies cognitivo-comportementalistes et multisystémiques, en sachant que les thérapies les plus efficaces sont celles qui s’adressent à toute la famille».
Les premières visent l’apprentissage du « contrôle de l’impulsivité et de la colère, le développement de la capacité à nouer des relations aux autres… à communiquer » bref, la visée est ici la normalisation du comportement pour s’adapter à l’environnement. Quant à la famille, ce sont des programmes de guidance qui sont essentiellement proposés.
Les adolescents incarcérés au ayant fait une tentative de suicide doivent faire l’objet d’un suivi psychologique et psychiatrique. Par ailleurs, l’accent est mis sur l’intérêt de l’éloignement des pairs déviants.

Les programmes de prévention du trouble des conduites sont ceux de la prévention de la violence ; ils doivent se mettre en place le plus tôt possible, dés la période périnatale et préscolaire. C’est la période « la plus favorable aux interventions de prévention du trouble des conduites et de la violence en général ». Les programmes doivent donc cibler la petite enfance (0-3 ans) et inclure la grossesse c’est à dire la mère et l’enfant.

Enfin les groupes d’experts préconisent de développer des études épidémiologiques sur le trouble de conduites en France — où elles sont quasi-absentes… au moins dans la littérature… En raison « des problèmes de santé publique, mais surtout du coût pour la société » (instabilité professionnelle, délinquance, criminalité) un vaste programme d’études et d’évaluations est indiqué :
-promouvoir des études longitudinales, c’est-à-dire du développement du trouble dans le temps,
-développer des études sur les liens entre facteurs individuels et environnementaux (« le trouble des conduites pourrait être la conséquence d’une incompatibilité entre le tempérament de l’enfant et les exigences de l’entourage),
-développer des recherches dans le champ de la prévention où « il conviendra d’adapter ces interventions à la France » (sic),
-évaluer des protocoles de traitement spécialement les thérapies psycho sociale peu développées en France,
-favoriser la recherche sur le petit animal de laboratoire (on ne dit pas lequel.. un rat, un chien… un singe… à quel animal rassemble un délinquant)
-approfondir les travaux de neuro-imagerie.


Quelles sont donc les intentions de l’INSERM en publiant un tel rapport ?

Au nom du bien public (la prévention, le coût…) l’INSERM utilise son autorité scientifique, celle d’une institution de recherche nationale pour promouvoir en France des méthodes de travail (l’évaluation) et des pratiques (les protocoles de soin, les TCC !) largement développées au Canada et Etats-Unis.
La tonalité disciplinaire du rapport inquiète. Quelle idéologie sous-tend-il ?
A qui s’adresse –t-il ? Au nom du droit à l’information et de la prévention, il s’adresse à tout le monde ! Chacun devient responsable du développement et du destin de l’enfant qu’il côtoie. Par ses multiples recommandations, tel un grand plan vigi-pirate, le groupe d’experts tend à chacun d’entre nous un observateur et un informateur potentiel du comportement de cet enfant ou adolescent.
Pour les auteurs, le trouble des conduites n’est pas un symptôme à déchiffrer. Il ne veut rien dire. Il n’exprime rien. Il témoigne seulement d’un dysfonctionnement de certaines parties du cerveau, et d’un environnement à risques.
L’accumulation des termes pour le définir et tenter de le cerner, rend le rapport touffu, peu lisible. Cet amas contraste avec le singulier de son intitulé. A ces tableaux polymorphes où tout écart par rapport à la norme fait signe d’un futur comportement antisocial, la subjectivité de l’observateur est largement convoquée.

La médecine exposée ici ne relève pas d’une pratique humaniste ou psycho-dynamique. Le trouble du comportement ne s’inscrit pas dans une clinique qui prendrait en compte la souffrance d’un sujet, c’est une clinique descriptive. Ce n’est pas non plus la clinique du regard développée au XIX° et au XX° siècles, tel que Michel Foucault l’a montré dans Naissance de clinique.
Cette clinique ne porte pas sur le corps comme tel, avec ses tissus, ses organes. Le corps est appréhendé ici dans son fonctionnement, sa manière d’agir par rapport à autrui, aux règles et aux normes sociales.
C’est une clinique qui prend pour référence la morale, qui énonce ce qu’il est bon ou mal de faire avec son corps. Elle se fonde sur l’alliance du maître moderne qui énonce les normes du corps et celles de la science où les chiffres, sous forme de statistiques, et de l’image avec les techniques de l’imagerie, tiennent lieu de Vérité objective.

Cette médecine est cohérente avec les thérapies cognitivo-comportementalistes promues dans le rapport car jugées les plus efficaces ; elles visent à rectifier et normaliser les comportements.
Les événements survenus ces dernières semaines dans les banlieues montrent que la violence relève d’un problème complexe, politique, sociale et économique.
Est-il pertinent de l’identifier comme un trouble mental ?
N’est-ce pas vouloir dissoudre les questions qu’il pose, faute de réponses ?

Marie-Hélène Issartel

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