jeudi 8 février 2007

Pas de 0 de Conduite, Conférence de presse du 21 mars 2006

Expertise collective 2005 : trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent
Les « initiateurs » de l’appel Pasde0deConduite
exposent leurs analyses, leurs convictions, leurs demandes
Les initiateurs de l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » ont
analysé avec attention le rapport Inserm sur le trouble des conduites chez l’enfant et
l’adolescent. Ils souhaitent porter à la connaissance du public leurs remarques sur la méthode
retenue par l’Inserm ainsi que sur son contenu. Ils s’inquiètent des dérives scientistes de ce
rapport et de sa possible instrumentalisation à des fins de contrôle social.
Les initiateurs de l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », forts de
120 000 signatures, mènent une action citoyenne afin de défendre le principe d’une médecine
prévenante et non prédictive.
1 - La méthode (cf. fiche 1, méthode)
L’analyse du choix de la méthode souligne :
- Le mode partisan de sélection des experts montrant le parti pris de garantir une
approche théorique univoque pour un trouble complexe ;
- La non prise en compte de nombreuses conceptions de la médecine notamment de la
spécificité de la pédopsychiatrie, de la médecine de PMI en France, mais aussi des
sciences humaines ;
- L’approche Inserm fondée sur une stricte analyse bibliographique sans aucune analyse
des pratiques de terrain, véritable déni des méthodes et pratiques de prévention et de
soins de la petite enfance en France ;
- Enfin, l’absence d’évaluation du rapport alors que la Haute Autorité de Santé (ex
ANAES) recommande, lorsque il existe des controverses ou des approches différentes,
de recourir à des conférences d’experts avec jury et/ou auditions publiques.
2 - Le contenu
Une entité nosographique peu utilisée en France (cf. fiche 2, classification)
Le trouble des conduites est défini par les experts avant tout par la « répétition et la
persistance de conduites au travers desquelles sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui
et les règles sociales » (p 6) (définition issue des critères du DSM IV). Voici donc un
« trouble », au sens de la médecine puisque nous sommes dans ce champ, dont la définition
même fait appel au droit et à la règle sociale (et non classiquement à la règle biologique et à
l’humain). Il aurait été donc nécessaire d’avoir des appuis et des références tant du côté des
sciences fondamentales (biologie, génétique etc…) que des sciences humaines (sociologie,
psychologie, psychanalyse, sciences de l’éducation, histoire, droit). Ces dernières sont
presque totalement absentes de l’expertise.
Les pédopsychiatres s’appuient sur une classification française, construite spécifiquement
pour la clinique pédopsychiatrique, et en cela différente du DSM IV. La CFTMEA

(classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent) prend en compte
l’ensemble du fonctionnement psychopathologique d’un enfant qui va bien au-delà des
symptômes, et ne s’appuie pas sur la seule analyse statistique de ce qui est observé. C’est à
dire que les troubles à expression comportementale (colères, opposition, conduites agressives
et « antisociale ») sont compris comme un symptôme d’une difficulté plus globale de l’enfant.
En médecine symptômes et diagnostics sont des éléments bien distincts qui ne doivent pas
être confondus. Cette distinction entre symptôme et diagnostic apparaît dans l’expertise
Inserm bien ténue. Or, c’est cette distinction sur la question du diagnostic qui permet de
mobiliser la médecine et les soignants et de différencier son intervention de l’implication des
autres acteurs notamment celle des enseignants et des éducateurs, … C’est une des raisons qui
amènent la majorité des professionnels de santé en France à ne pas retenir la terminologie
« trouble des conduites ». De ceci, le rapport Inserm ne parle pas.
Des facteurs génétiques à l’origine du trouble des conduites ?
Tout en reconnaissant que « l’exposition à un type d’environnement » peut favoriser ou non
l’expression des troubles, les auteurs du rapport insistent sur l’importance du « taux
l’héritabilité génétique » qui serait proche de 50%. Ils font état des recherches sur les gènes de
vulnérabilité, font référence à une « pathologie multifactorielle » (laquelle est en réalité un
symptôme et non une maladie) et évoquent le déterminisme génétique.
La présentation de ces recherches avec une vision déterministe qui aboutit à des propositions
de médecine prédictive fait resurgir des dangereuses thèses déterministes du XIXème siècle où
on parlait de « criminels –nés » et des « classes dangereuses ».
Rappelons que des chercheurs en biologie moléculaire nous mettent en garde pour ne pas
seulement considérer l’humain comme un ensemble d’actions régies par des codes et des
signaux.
Des pré-requis pour proposer un dépistage non réunis (Cf. fiche 3, dépistage)
Est-il possible d’envisager un dépistage devant un trouble dont il apparaît que la définition est
controversée (cf. fiche 2 classification), que l’on ne sait pas précisément ce que l’on dépiste
(les signes précurseurs ?, les symptômes ?, le trouble de conduite ?), que nous ne disposons
pas d’outils de dépistage, que le repérage systématique médical des traits de personnalité et
des facteurs de risque familiaux posent des problèmes éthiques majeurs, enfin que les
professionnels de santé de l’enfance et de l’adolescence sont loin d’adhérer à la base
conceptuelle proposée.
A titre d’exemples :
- il est recommandé, à l’âge de 36 mois, de noter sur le carnet de santé (ou de
comportement ?) si l’enfant éprouve du « remords », s’il « ne change pas sa
conduite », s’il se rend coupable de « morsures » ou est incriminé dans des
« bagarres » (p. 47 de la synthèse du rapport) ; à 4ans, s’il continue à mentir ; plus
tard, si l’enfant présente un « index de moralité affective bas » (p. 17 de la synthèse du
rapport).
- les professionnels devront savoir repérer le tempérament à risque qui serait caractérisé
par « la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme, l’agressivité,
l’absence de sentiment de culpabilité ». Mais ce tempérament à risque peut prendre
également de bien étranges formes : « L’attrait pour la nouveauté, le goût de
l’exploration, l’absence d’anxiété anticipatoire, une diminution du sentiment de
peur ».
Ces concepts pour caractériser un « tempérament à risque » renvoient bien plus à un registre
moral et normatif qu’au registre médical et psychologique.
Les effets délétères des politiques de dépistage ne sont pas abordés. Parmi eux, il faut citer
celui qualifié d’effet de prédiction, ou « effet d’attente », que tous les pédagogues et
professionnels de l’enfance connaissent bien : l’enfant repéré, dépisté, « étiqueté » d’une
certaine façon se conforme à l’image, au regard, à l’hypothèse, au « diagnostic » que les
adultes ont porté sur lui. La prévention (cf. fiche 5) en matière de développement psychique
est particulièrement soumise à ce risque et d’autant plus que les risques de surdiagnostic sont
réels.
Des approches thérapeutiques univoques (Cf. fiche 6, psychotropes)
Le groupe d’experts Inserm recommande d’utiliser :
• des modalités de traitement qui sont toutes d’inspiration comportementaliste et basée
sur les techniques rééducatives. Les techniques définies comme psychodynamiques
considérant la globalité du sujet sont passées sous silence, en particulier les
approches systémiques et psychanalytiques. Or ces approches médicalisées et
humanistes sont les plus utilisées en France.
• en seconde intention d’utiliser les traitements pharmacologiques. Ils recommandent
également de développer de nouveaux essais cliniques avec des associations de
médicaments y compris dans la prévention du trouble des conduites. Les initiateurs
de l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » rappellent qu’ils
existent très peu de données de psychopharmacologie chez l’enfant et l’adolescent,
les dérives observées aux USA où près de 8 millions d’enfants sont sous
psychotropes et les rappels à la prudence de l’Afssaps dans l’utilisation de ces
médicaments chez l’enfant. Ainsi en 2004, sept mille enfants étaient sous Ritaline,
soit six fois plus qu’en 1997. Rappelons que les experts Inserm avancent le chiffre de
9% d’enfants atteints du trouble des conduites en France…
3 - Une instrumentalisation possible du rapport (cf. fiche 4, instrumentalisation d’un
rapport médical)
L’annonce concomitante d’un plan de prévention de la délinquance (cf. fiche 4) qui prône une
détection très précoce des « troubles comportementaux » chez l’enfant utilisant le rapport
pour justifier les mesures annoncées en est la parfaite illustration. Ce plan veut notamment
mettre en place un suivi des enfants dès la crèche, il est aussi question d’instituer un carnet de
comportement. Il s’agit d’une :
- véritable instrumentalisation des acteurs de la santé ou de l’éducation à des fins de
surveillance ou de contrôle des familles et de leurs jeunes enfants ;
- inacceptable médicalisation des problèmes sociaux qui dénote d’une confusion des
rôles entre la sphère de la santé et celle de la police ou de la justice.
Les données fortement moralisantes et normatives qui émaillent le rapport en font un possible
instrument de contrôle social. Si dans certaines populations, même avant la conception d’un
enfant, il faut pister la graine de déviant dans le désir des mères et dans le comportement des
pères, puis suivre pas à pas la manifestation des premières oppositions, l’expression des
premières colères, pour intervenir au plus vite, quelle est la part de liberté et de chance laissée
à des sujets en devenir, à leurs familles, dans l’instauration d’une relation, dans les choix
éducatifs ?
4 - Ce que nous défendons
Nous défendons le fait que rien n’est définitivement joué dans l’histoire d’un être
humain. Pas plus à 3ans qu’après. Même s’il est vrai que les interventions précoces
permettent d’éviter des souffrances ultérieures, nous sommes persuadés qu’à chaque âge de la
vie, il est possible d’intervenir pour soulager la souffrance psychique, réassurer la
personnalité, développer de nouvelles compétences, de meilleures capacités de relation. Nous
défendons les thèses de la plasticité cérébrale et psychique qui éclairent les phénomènes de
résilience.
Nous défendons le fait qu’un humain, adulte ou enfant n’est pas un organisme
programmé et programmable. Quelque soit le codage de son ADN, un humain n’est pas un
simple organisme ; il ne peut être réduit à son capital génétique. L’influence de ses gènes
n’est qu’une matrice d’explication de son comportement, de son caractère, de ses talents et de
ses limites. Son histoire, ses rencontres, sont également importantes. Sa pensée, ses capacités
réflexives et émotives relèvent de phénomènes certainement très complexes dont l’essentiel
nous échappe encore. Pour autant, nous refusons des explications simplistes et dangereuses.
Nous défendons le fait que les manifestations d’opposition, de désobéissance et de
distance par rapport aux normes sociales ne sont pas, en soi, des signes de pathologie.
Elles témoignent le plus souvent de mouvements psychiques accompagnant les étapes du
développement normal des enfants. Elles peuvent également être révélatrices de la capacité de
révolte des enfants soumis à des contraintes excessives ou inadaptées, ou aux stress inhérents
à des conditions de vie difficiles dans un contexte socio-économique de précarité. Les
soignants comme les professionnels de la petite enfance, régulièrement confrontés à des
situations d’enfants en difficulté (placés, hospitalisés) ont appris à se méfier du calme
apparent des enfants inhibés, de leur apathie et de leur silence. Les premiers signes
d’opposition et de colère sont guettés comme annonciateurs d’un mieux être.
Nous défendons une prévention des pathologies mentales qui ne soit ni inductrice, ni un
système de validations auto prédictives. La prévention des pathologies mentales, ne peut se
fonder sur des critères de prédiction. Dans une tentative d’approche globale du sujet, elle doit
tenter de décrypter le message dont le symptôme est porteur, de déceler la souffrance sous
jacente et ses causes, d’organiser autour de l’enfant et de sa famille, un système de soutien
propre à résoudre leurs difficultés, à développer leurs compétences. Elle doit aider les enfants
et les familles à échapper aux représentations sociales dans lesquelles elles sont enfermées, et
à un destin qui pourrait sembler irrémédiablement tracé.
5 - Ce que nous refusons
Nous refusons que le politique usurpe ses fonctions en se substituant aux soignants pour
définir le normal et le pathologique en matière de santé mentale. Dans une démocratie, les
responsables politiques chargés de l’ordre public ne sont pas chargés d’établir la politique de
soins, ni le parlement à définir le contenu des savoirs professionnels.
Nous refusons que les institutions dédiées à la recherche et la connaissance usurpent
leurs fonctions en produisant des corpus qui manquent de distance par rapport à des
idéologies. Dans le champ de la santé, quand les institutions scientifiques ne se préoccupent
pas des valeurs qui sous tendent les hypothèses de la recherche, quand elles n’appréhendent
pas l’ensemble des approches, quand elles choisissent parmi les experts, seuls ceux qui sont
susceptibles de valider les thèses pré-établies, quand elles ne placent pas l’humain au centre
de leurs débats, loin de servir l’avancée de la connaissance, elles dévalorisent le concept
même d’approche scientifique.
Nous refusons la médicalisation des problèmes sociaux, qui met exclusivement l’accent
sur des déterminants et la responsabilité individuels des problèmes de santé, en évacuant tous
les déterminants sociaux, environnementaux, culturels, politiques, etc., exonérant par la
même la société et les pouvoirs publics de leur propre responsabilité.
Nous refusons l’abandon d’un modèle « prévenant » de la prévention au profit de
modèles prédictifs et déterministes qui font clairement sortir la santé ou l’éducation de leur
champ pour être utilisées à des fins normatives,
Nous refusons que les institutions de santé, d’éducation, d’action sociale voient leurs
missions détournées vers la surveillance ou le contrôle des familles et des enfants, à des
fins de sécurité et d’ordre public. Le risque en est principalement la confusion des rôles
entre la sphère de la santé, celle de l’éducation, celle de la police et celle de la justice. Ces
domaines doivent rester distincts, la confiance qu’accordent les citoyens aux différentes
institutions est à ce prix.
6 - Ce que nous demandons
* Aux pouvoirs publics, nous demandons, au nom des droits de l’Homme et des droits de
l’enfant, et de l’indépendance professionnelle des acteurs de santé et de la petite enfance :
- de renoncer à faire figurer dans tout plan gouvernemental à venir sur la prévention de
la délinquance (sphère de la justice) toute disposition qui envisagerait des politiques de
détection d’enfants présentant une pathologie supposée (sphère de la santé) ;
- de renoncer aussi à toute disposition qui porterait atteinte au secret professionnel,
comme l’institution d’un carnet de comportement ou l’obligation de partager des
informations recueillies dans le cadre de l’exercice professionnel avec tout acteur, et
notamment avec ceux intervenant dans d’autres sphères que celles de la santé ou de
l’action sociale ;
- d’accorder à la prévention les moyens nécessaires pour qu’elle soit effective, en
réponse aux demandes des familles et des professionnels ; et de prendre en compte
l’ensemble des facteurs environnementaux qui influent sur le développement des
enfants ;
- d’organiser une expertise pluridisciplinaire d’intérêt collectif sur la petite enfance
considérant la santé psychique de l’enfant dans son environnement.
* Au directeur de l’INSERM, nous demandons :
- de soumettre le présent travail d’expertise collective, mené sous la responsabilité de
l’Inserm, et portant sur « le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », à une
procédure de discussion, de lecture critique et de validation scientifique selon les
procédures en vigueur dans le champ scientifique ;
- de garantir ainsi la rigueur des productions ayant le soutien de l’Inserm ;
- enfin, d’engager de nouvelles formes de recherche scientifique, prenant en compte
« l’intérêt collectif », sur les thèmes relatifs aux différents aspects de souffrance
psychique chez les enfants, associant l’ensemble des acteurs concernés.

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