jeudi 8 février 2007

Quelques réflexions

Françoise Stark Mornington

Je me permettrai de saisir au bond la balle que C. Millet a lancée dans son article intitulé « Un mot pour un autre » à propos de la notion de la « sécurité langagière » [1]

Il me semble en effet nécessaire de tenter de définir la notion de « sécurité langagière » pour aider à saisir l’extension de la notion « d’insécurité langagière » d’un point de vue linguistique.

L’analyse de discours met en exergue les catégories universelles qui permettent de saisir à partir de la performance d’un locuteur idéal, le reflet de la compétence de locuteurs. Des emplois jugés bizarres du style « fiel mon zébu » peuvent entraîner des effets de flottement et nous conduits à nous interroger sur les conditions générales de la cohérence. Ce qui vient rencontrer les limites, soit les contraintes engendrées par l’organisation interne de la langue et du langage. C’est ce que J.C. Milner dans son Introduction à une science du langage[2] avait désigné par « le possible de la langue à partir des universaux de forme ». Si la langue accepte la variation comme force linguistique proprement dite, elle le fait autour d’une organisation architecturale, induisant des contraintes syntaxiques et sémantiques. C’est ce qui constitue le régulier de la relation entre syntaxe et sémantique. Sans entrer dans le menu des données apportées par N. Chomsky (1960) à propos du minima organisationnel de la langue autour de trois constantes de surface : [sujet, verbe objet] ,chaque locuteur d’une langue en emploi va par un forçage procustéen soutenir une articulation entre énoncé et énonciation. C’est tout l’enjeu de la communication.
En clair cela signifie qu’un locuteur d’une langue a intériorisé des principes syntaxiques inhérents à sa langue naturelle. Mais par sa force illocutionnaire il propose une distinction entre le « de re - de dicto[3] » c’est à dire entre ce qui est dit et ce qui est fait. C’est toute la notion de discrépance entre l’interprétation incomplète favorisant l’ambiguïté.

Autrement dit « l’interprétation transparente » proposée par les techniques de marketing ou autres, proposent des approches des mécanismes d’interprétation qui induirait que la parole comme fait de langue n’inférerait que du régulier alors que l’analyse de discours révèle « un caractère extrêmement dentelé des phénomènes ».[4] L’usage usuel « en emploi » induit le degré d’acceptabilité par le jugement des locuteurs, c’est à dire que la liberté en emploi est limitée par le partage avec les locuteurs. Le concept d’acceptabilité dépasse donc le lexique.
C’est tout l’enjeu de la théorie sémantique dynamique nouant la sémantique logique au phénomène d’interprétation dans le langage naturel.
Il me semble donc que dans notre approche de l’insécurité langagière, il s’agit de circonscrire le degré d’acceptabilité[5] entre l’intuition du locuteur et celui du grammairien c’est à dire le locuteur idéal.

La langue comme le rappelait F. de Saussure[6] dans cours de linguistique générale est bicéphale : elle est constituée d’une pratique sociale et individuelle : « ainsi l’étude de la langue et l’étude de la parole sont deux routes qu’il est impossible de suivre en même temps ». C’est ce que Freud et Lacan ont repris dans leurs approches respectives de la langue et du langage. Freud par la notion de « déplacement condensation » a montré que l’inconscient était structuré comme un langage, c’est à dire comme une langue de Saussure, c’est à dire un système selon Saussure, soit un langage commun à tous, articulé autour de la métaphore et de la métonymie, comme Lacan l’a démontré[7].

[1] P.3 ordre rythmique et syntagmatique
[2] Milner JC (1989) p.48 ed Seuil Paris
[3] Quine (1960) Le mot et la chose MIT
[4] Milner J.C. (1989) Introduction à une science du langage p.632 ed Seuil Paris
[5] Nunberg G. (1978) The pragmatics of Reference University de California Berkeley ed Indian University Linguistics Club USA.
[6] Saussure F. de (1915) « Objet de la linguistique. Place de la langue dans les faits de langage » p.30 chap. III Cours de linguistique Générale ed. Payot Paris (1975).
[7] Lacan J. (1966) « L’instance de la lettre dans l’inconscient » p.515 Ecrits ed Seuil Paris

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