mercredi 18 avril 2007

Nöelle De Smet ou Un regard pas comme les autres...

Estelle

Y'en a qui mette un point d'honneur à LA journée de la femme du 08 mars.
Pour certaines et certains d'entre nous, c'est le 09 mars que nous en avons rencontré Une et ... Quelle rencontre !

Ca commençait fort avec l'accent ! Résonnaient en moi les souvenirs d'en face, les souvenirs d'enfance en Belgique, dans le Nord...

Puis, dans ce bel endroit où nous étions invités, Noelle De Smet a pris la parole.

Rapidement, nous écoutons une femme simple, humble, posée, qui témoigne de ces années d'expériences dans "une école d'un des quartiers le plus dégradés de Bruxelles".

Elle énonce toute une série de souvenirs, d'expériences,de petites trouvailles, de petites idées, de bricoles, de bidouilles, de phrases qui se déposent dans nos têtes et au creu de nos oreilles ... plus tard, peut être, pourrons nous en faire quelque chose, autre chose, à notre façon.

j'ai beaucoup aimé les suivantes, à méditer, à penser, à discuter ...
- Faire une liste des insultes et se dire ce qu'on peut en faire,
- "Il y a à se mettre au pas, mais surtout au pas du désir",
- " Une fois que ça va parler, qu'est ce que ça va nous dire",
- " L'importance de travailler avec tout ce qui vient, à condition de pouvoir s'appuyer quelque part, avec d'autres",
- "La triple autorisation pour qu'un enfant puise grandir :
1 s'autoriser à être différent de ses parents,
2 que ses parents l'autorisent à être différents de lui
3 que ses parents l'autorisent à être différent d'eux.

... Il est des personnes, des "maîtres à penser qui nous remettent debout, qui nous permettent de "basculer vers notre désir".
Cela me fait penser à un extrait de "La psychanalyse hors les murs", de Charlotte Herfray :
"S'il est nécessaire que le maître possède le savoir, il est aussi nécessaire qu'il possède l'art de le transmettre : la pédagogie est cet art. Elle nécessite de prêter attention aux différentes manières qui rendent l'enseignement accessible.Ces manières définissent la qualité d'un enseignement. Il importe que l'enseignant aime ce qu'il fait pour que l'objet qu'il offre soit enviable et aimable".

... Il est des personnes humbles, qui ont envie d'inventer et qui trouvent leur énergie dans la recherche, dans la créativité et dans la création.

Il est des personnes qui offrent leurs trouvailles et qui le font avec le don de leur style.

Ce qui a beaucoup résonné pour moi ce soir là, c'est ce style retrouvé, et par conséquent ce plaisir d'avoir osé se retrouver soi même.
Ce goût du "marginal", de l'"original", de "l'art "de faire, de dire, d'inventer, ce goût à la différence, au pas de côté, vers l'inconnu.

Cette capacité à vivre avec les autres, avec les règles, les lois, les programmes, les "il faut que", "vous devez faire comme ci ou comme ça". Et cette capacité, simultanée à répondre autrement, à y répondre de façon responsable et humaine.

Ca me fait penser au théâtre et ça me fait penser que chacun d'entre nous peut inventer les scènes du quotidien avec les autres.
Quand on s'autorise, aussi, à jouer avec les mots, avec les formes, les couleurs, les regards, les personnages, les imprévus, les lettres.
Quand on est du côté du vivre ensemble, on a la vie pour apprendre et un jour, peut être, on ressent l'envie d'apprendre, de partager avec les autres.
Nöelle De Smet nous a adressé généreusement et simplement les témoignages de ses expériences, de ce par quoi elle est passé.
Elle nous a dit ce qu'elle avait envie de transmettre.
Elle m'a donné de l'envie, de l'énergie, de l'espoir, de la vie.

Merci à Nöelle et Claire pour leur présence.
Merci à vous qui avez rendu possible ces rencontres et ces instants si précieux, si vivants.

dimanche 15 avril 2007

« Les chemins du lycée »

Yasmine Y.
Texte n°1

Dans ma chambre, je prends mon petit déjeuner. Quand j’ouvre la porte de mon appartement, situé place Jules Verne au Haut du Lièvre, pour aller au lycée, mon oiseau se met aussitôt à crier. On dirait qu’il voudrait que je ne parte pas. A ce moment là, je suis toujours triste de le laisser.

Ensuite je prends l’ascenseur.

L’ascenseur est toujours sale. Ca pue la cigarette. Des journaux publicitaires, des chewing-gums jonchent le sol. En plus, parfois, il y a des chiens.

J’aime pas les chiens.

Parce que j’en ai peur. J’ai surtout peur d’un chien de couleur noire, très grand. Il semble très méchant.

Ensuite j’arrive dehors. Là je prends une grande inspiration. J’aime bien le matin parce qu’il n’y a pas beaucoup d’oxyde de carbone dans l’air.

Tous les jours je croise un homme dans la rue. Très gentil. Il me dit bonjour et je lui réponds. C’est ma première parole de la journée. N’est-ce pas la plus belle des paroles ?
Cet homme me donne de l’énergie.

Ensuite je prends le bus. Souvent, je vois une fille avec qui je parle du BEP, du concours d’aide-soignante. Elle est très gentille.
Je ne connais pas son prénom.

Enfin je descends du bus et j’arrive au lycée. Je dis bonjour à Ouafia, Laura, Aïcha.

Et je vais en cours.

Texte no2

Chaque matin, en quittant mon appartement, situé 1 allée de Mepell, à Vandoeuvre, je prends l’ascenseur pair pour descendre.
Comme tous les matins, j’emprunte le même chemin pour aller à l’arrêt Myosotis.
Toujours, à l’arrêt du bus, une dame avec son fils. Il est trop beau avec ses yeux verts. Je l’aime beaucoup car il est très gentil. Chaque fois, quand j’arrive, il me dit bonjour et sourit.
Mais un jour, en arrivant à l’arrêt de bus, j’ai remarqué que Marc n’était pas là. Je connais son prénom car j’ai entendu sa mère l’appeler ainsi. Je n’ai pas eu le courage de demander à la mère la raison de son absence. Elle semblait triste.
Depuis ce jour je ne l’ai plus revu et je souhaite un jour savoir ce qui s’est passé.

Marc a cinq ou six ans.



Texte no 3

Je prends le bus au Vélodrome. Et je m’arrête à l’arrêt Cyfflé

Juste devant mon lycée

Juste devant mon lycée, siffler.

Je traverse la rue.

Mon désert.

Je passe sur le pont.

Des fusillés.

Le trajet dure quinze minutes,
Puis je reste là, devant le lycée,

A fumer.

Texte no 4

Au moment où je ferme la porte de chez moi, je le sais, je suis en retard. Je n’ai pas fini de me préparer. Je dévale quatre à quatre les marches des escaliers. C’est la course contre la montre.
Dans le hall, je profite de la grande glace, à côté des boites aux lettres.
Vite. Me coiffer, mettre mon écharpe, assurer les dernières retouches.
De ma rue, je vois l’arrêt. D’un coup d’œil, j’évalue le nombre de personnes qui attendent.

Je guette les malins qui sortent de chez eux pile à l’heure.

Alors je sors et cours. Toujours.

Texte n° 5

Je ferme la porte de chez moi et descends les escaliers. Je prends la rue en pente de mon quartier. Puis, je marche le long de la Meurthe.
Silence des avirons, silence des cygnes.

Je traverse la Meurthe et j’arrive rue Saint-Dizier. Animation dans les magasins. Je marche encore et j’arrive place Stan. Autour de la statue, les cafés commencent à ouvrir.
Rue Saint Jean, beaucoup de magasins aussi. Les trams circulent. Les adultes vont au travail, les lycéens au lycée, ça s’agite dans les boutiques…

Je m’arrête.
A la boulangerie, je m’achète ma tarte au flan, la paye, et la mange en marchant, tranquille. Quand je l’ai finie, j’arrive au lycée.





Texte n°6

Chaque matin quand je me lève – toilettes – douche – 500 mètres sur le chemin goudronné –bus- cigarette devant le lycée – 8 heures sonnerie.
Alors, je monte les escaliers.
Et là, j’attends. J’attends que le professeur nous ouvre les portes.

Texte n° 7

Je ferme le portail de chez moi, et descends la rue des Sarments. Puis, je longe la rue des Coteaux, pour arriver à l’arrêt de bus les Vignes, le long de la nationale. Je suis toujours seule à attendre celui de 8 h. 02. Il n’est pas toujours à l’heure. Je dis bonjour au chauffeur, valide ma carte et vais m’asseoir près de la porte du milieu.
Au fond du bus, le même jeune homme blond est toujours là. Est-ce qu’il habite mon lotissement ?
Arrivée à la mairie. La vieille dame qui fait un peu peur, monte. Elle fait des ménages dans les écoles.
A l’arrêt des Lilas, personne ne monte.
Nous arrivons à Liverdun. Arrêts Neyettes, Roland Garros, Champagne, Chapelle Bel Amour, la Maldrerie.
Au fond du bus, le même jeune homme blond est toujours là. Est-ce qu’il habite mon lotissement ?
Je descends à la gare, pour prendre le train, avec Céline. La plupart des personnes prennent celui de 8h.20. Avec Céline, nous attendons et prenons celui de 8h.27 qui vient de Toul. Nous montons dans les derniers wagons. Arrivée à Nancy, tout le monde se précipite. Il faut se dépêcher, car nous commençons à 9 h.
Nous arrivons 2 ou 3 minutes avant la sonnerie.
Au fond du bus, le même jeune homme blond est toujours là. Est-ce qu’il habite mon lotissement ?

Texte n° 8

J’habite au vélodrome à Vandoeuvre. Après avoir fermé la porte de chez moi, je descends les quatre étages et j’arrive dehors. Pour prendre le bus je n’ai qu’à traverser la rue. A cause des travaux, l’arrêt est maintenant juste en face de chez moi.
A cause des travaux dans la rue, il y a beaucoup de bruits dans le quartier.
En attendant le bus, je fume ma cigarette. J’espère le voir pointer son nez. Je ne suis pas patiente et j’ai horreur d’attendre. Pourtant, il y a peut-être autre chose à faire que d’allumer une cigarette !
Une fois dans le bus, je m’installe seule derrière le conducteur. Ca me met de bonne humeur. Mais ça ne dure pas longtemps, parce que mes copines montent deux arrêts plus loin. Nous nous mettons au fond pour nous réunir.
Dans le bus, il y a des personnes âgées qui ont du mal à se tenir debout. Je remarque qu’il y a beaucoup d’égoïstes qui les ignorent. Ils ne cèdent pas leur place. Et si c’était leurs grands-parents, réagiraient-ils de cette façon ?
Il y a aussi les mères avec leurs mômes qui n’arrêtent pas d’hurler et de bouger partout. En plus elles prennent toute la place avec leurs poussettes.
Hé oui, moi, je préfère les vieillards aux enfants.

Suite à la conférence de Noëlle de Smet :

« Au front des classes »
Vendredi 9 mars 2007, Lycée Cyfflée

Luc

La solitude des enseignants

Pour traiter la solitude des enseignants, il faut éviter d’être seul et recourir à des points d’ancrage, tels que l’équipe pédagogique, la pédagogie institutionnelle, le groupe du CIEN. La pédagogie institutionnelle préconise d’éviter la relation duale qui ravale l’enseignement, en trouvant une médiation qui permet de supporter beaucoup de choses. Le seuil de tolérance des enseignants augmente s’il y a ces dispositifs extérieurs, permettant des « petits » déplacements.

Ne pas savoir

Les enseignants ont à se mettre en position de ne pas savoir. Ce qui encombre, ce sont les modèles qu’on a dans la tête, qui nous empêchent d’entendre les questions vivantes des jeunes. On se dit alors : « Celle là est paresseuse » ; « Il me fait cela pour m’ennuyer ».

Le désir de l’enseignant

On réveille le désir des jeunes à partir de son propre désir. Plus l’enseignant a envie, plus l’élève a également envie. On remet ainsi les sujets debout et au travail par rapport à leur désir. On trouve un point de bascule qui permet de trouver une nouvelle donne. Les jeunes cherchent un tel appui. C’est ainsi que l’école devient un lieu de vie et d’apprentissage. Chaque enseignant a à se risquer avec son propre style. Les inventions viennent au fur et à mesure.

L’insulte : une énigme

L’insulte est toujours présente dans l’école. Les élèves insultent les professeurs, les professeurs insultent les élèves. L’insulte est une forme de parole dans l’école. Il y a une énigme dans l’insulte. Il est difficile de répondre du tac au tac. On peut partir de l’insulte pour faire un jeu de mots, décaler le signifiant et le signifié, permettre un point d’appui réciproque.

La punition : ses effets pervers

La punition, la répression, conduisent à la répétition des mêmes modes de fonctionnement. La punition peut alimenter ce sur quoi on punit, elle a des effets pervers, un élève peut par exemple rechercher le maximum de remarques des enseignants en se faisant punir. La punition exclut. Il faut se demander à quel moment et pourquoi on punit, que signifie la punition, qu’est ce qui est transgressé, quelle est la parole qu’il y a autour, comment faire pour reconstruire une parole autour de cela ? Il faut mettre fin à la promotion des « tarifs » des punitions, où l’on applique telle punition selon tel type de comportement de l’enfant. L’adolescent a un rapport particulier avec le calme, le mouvement, l’apprentissage. Il se moule ou ne se moule pas au système. Il ne supporte pas l’humiliation et le ravalement à un statut d’objet.

Avoir un regard sociologique

Enseigner nécessite d’avoir un regard sociologique. Il faut accéder à des auteurs pour comprendre la logique des milieux populaires. Lorsque les enfants sont issus d’un milieu populaire, il existe un fossé entre le monde social des enseignants et le monde des enfants en difficulté scolaire. Il faut se demander quel est cet enfant, quel est son univers familial, quel est le discours que les parents portent sur lui (par exemple, « tu es un incapable ! ») ? Les enseignants doivent pouvoir s’autoriser à être différents des parents, les parents à être différents de leurs enfants, et vice-versa.

Enseigner est un acte politique

Enseigner implique le regard de l’enseignant sur la société. Il faut être humain pour être enseignant, c’est un acte quasiment politique où l’on choisit son camp. La manière d’organiser la classe, en évitant la position duale, correspond à une manière d’organiser la cité.

Noëlle de Smet à Nancy

Roselyne Gavasso

Ou en entendre un bout de comment elle y fait avec ……avec le chaos des classes aussi.
L’espace entre le temps pour comprendre et le temps pour conclure réduit a minima par le travail en elle de son impossible à elle, de son insoutenable à y retourner en l’état, à vivre ses/ ces impasses –là----, trop prise dans sa vie personnelle, dans son corps même.
Et le détour par les autres dans ces moments-là, pour aboutir à ces actes en classe qui scandent le chaos,…. Moments rares, émerveillants et émouvants pour elle, pour eux, pour nous, pour moi.
Et l’effet sur nous dans l’assistance, d’être là en sa présence, corps vivant, parlant et cherchant, douloureusement mais simplement, à partir des effets sur elle, et avec l’appui de quelques autres………

J’avais à 14h rendez-vous avec un élève en difficulté en classe, enactant (de l’anglais to enact) la fonction de la hâte, je me hâtai vers la sortie, vers la surprise ; ce fut un départ précipité, je ne saluai même pas les invitées, prise par l’heure, la peur d’être en retard pour ce rendez-vous. Arrivée à destination dans cet état particulier------- surprise, il n’était qu’1h (et non 2h) à la montre de l’Autre.

Le passage de Noëlle de Smet ou me hâter vers le front de mes classes, vers le heurt (sans peur ?) entre mon heure et celle de l’Autre,
et l’envie de dire « merci » à tous ces dispositifs qui permettent ces rencontres d’un autre type.

Le 18 mars 07