jeudi 31 mai 2007

Si petits et déjà si dangereux

Rebonds

Après l'Inserm et Sarkozy, c'est au tour de la Fondation MGEN d'inquiéter avec son questionnaire sur «la santé physique et mentale» des élèves.
Si petits et déjà si dangereux

Par Richard HOROWITZ

QUOTIDIEN Libération : mercredi 30 mai 2007

Dr Richard HOROWITZ psychiatre au CMPP Gustave-Eiffel (Paris), président de la Fédération des associations nationales de CMPP (1).

On ne sait sur quel (mauvais) conseil la Fondation MGEN ­ Mutuelle générale de l'Education nationale ­ s'est appuyée pour diffuser dans les écoles parisiennes son enquête «psychosociale» visant à «cerner les facteurs d'amélioration et de détérioration de la santé physique et mentale» des élèves ( Libération du 23 mai).
Morceaux choisis, à remplir par l'enseignant :
L'enfant :
­ Est-il agité, turbulent, hyperactif, ne tient pas en place... ? Réponses : «pas vrai», «un peu vrai», «très vrai».
­ Partage-t-il facilement ses friandises avec les autres... ?
­ A-t-il au moins un ami... ?
Et vingt-quatre autres items du même registre.
Question finale : «Comparé aux autres élèves de la classe, le fonctionnement intellectuel de l'enfant est : très faible, faible, moyen ou fort.» Les psychologues qui ont patiemment appris à interpréter leurs examens psychométriques avec pondération et empathie apprécieront !
Un questionnaire homologue a été diffusé auprès des parents. Il tente maladroitement, en quelque quarante questions, d'explorer les antécédents psychologiques des parents et les habitudes de vie familiales.
Quelles que soient les intentions, le tollé soulevé (FCPE, enseignants) montre bien combien est devenue grande l'attention à l'encontre de tout ce qui peut apparaître comme tentative prédictive du comportement futur des enfants.
Le 30 avril, la Ville de Paris, partie prenante car chargée de la santé scolaire, suspend l'enquête, estimant que celle-ci est «mal comprise».
Il est vrai que ces initiatives sont d'autant plus rejetées qu'elles ne vont jamais sans de fortes intrusions dans l'intimité des familles.
Le rapport tendancieux de l'Inserm sur les troubles de conduite des enfants l'an dernier, le succès de sa contestation par la pétition «Pas de zéro de conduite pour les moins de 3 ans», l'avis sévère du Comité national d'éthique à son encontre restent donc bien proches et bien présents dans les esprits.
Même un débat, aussi mal engagé fût-il, comme celui dit de «l'inné et de l'acquis» a réussi à s'inviter dans la campagne présidentielle, preuve supplémentaire de la vigilance de beaucoup dans ce domaine.
Pourtant, la naïve enquête parisienne le prouve : la tentation, pour certains, de croire, ou de faire croire, à l'intérêt de telles démarches pseudo-préventives demeure.
Rappelons-le encore et encore : rien, absolument rien, ne vient solidement étayer l'hypothèse d'une prédictivité possible des comportements adolescents d'une éventuelle délinquance ou de soucis psychopathologiques avoisinants, à partir de simples repères du développement du jeune enfant. Il est, heureusement, impossible de prévoir l'avenir d'un gamin à travers un protocole standardisé recensant quelques éléments personnels ou familiaux. Il est par contre souhaitable, en cas de soucis ou d'inquiétude, de prendre conseil auprès d'un spécialiste ou d'une équipe médico-psychologique d'expérience : c'est le travail quotidien des équipes des CMP et CMPP (1).
On peut bien sûr recueillir des données... pour recueillir des données, et cette démarche n'est d'ailleurs pas obligatoirement aberrante : la médecine a parfois su en tirer le plus grand profit. C'est, par exemple, ainsi que les radiographies et les examens biologiques accumulés par l'armée américaine sur des générations entières depuis l'immédiat après-guerre ont pu jouer un rôle éminent dans la reconstitution de l'histoire du sida et la recherche du «patient 0».
Rien de tel ici, où l'a priori idéologique semble désormais trop flagrant : la bourgeoisie du XIXe siècle avait inventé les «classes dangereuses», nos scientistes nous préparent les maternelles potentiellement dangereuses. Science-fiction : par on ne sait quel raffinement méthodologique, au prix probable de quelque biais statistique, les apprentis sorciers touchent au but.
Que fait-on ? Faudra-t-il envisager un contrôle «psychosocial» étendu sur une large part de la population infantile... et donc des familles ? Qui s'en charge : policiers, magistrats, psys, éducateurs ? Il est vrai que, dans un autre cadre, furent déjà évoqués les maires et les travailleurs sociaux...
Ou bien faudra-t-il croire les docteurs Folamour qui entrevoient déjà des médicamentations psychotropes, extensives et... prophylactiques !

(1) CMP : centre médico-psychologique. CMPP : centre médico-psycho-pédagogique.

Un programme britannique veut éviter au bébé de devenir délinquant

L'information fait la "une" du Guardian : Tony Blair va annoncer, ce mercredi, le lancement d'un programme visant à identifier, seize semaines après leur conception, les bébés les plus à risque en termes d'exclusion sociale et de potentiel criminel. L'objectif de cette "stratégie gouvernementale de parentalité" est de "redonner le contrôle aux parents", d'améliorer les conditions de vie de leurs enfants, et d'essayer de leur éviter de finir délinquants.

Le programme ne concernera que les mères en difficulté financière dont c'est le premier enfant, et se fera sur la base du volontariat. Elles feront l'objet de visites hebdomadaires pendant toutes leurs grossesses, puis tous les quinze jours jusqu'à ce que leurs enfants atteignent l'âge de 2 ans.
Leurs interlocuteurs, des sage-femmes et visiteurs médicaux, les aideront aussi à trouver du travail, à arrêter de fumer ou de se droguer, à renforcer les liens affectifs avec leurs bébés et à devenir de "bons parents". Les autorités britanniques, qui prévoient d'investir 7,5 millions de livres (près de 11 millions d'euros) dans le projet, ont d'ores et déjà commencé à recruter les 1 000 premières familles dans dix régions pilotes.
CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT AFFECTIF, NEUROLOGIQUE ET SOCIAL DES BÉBÉS
Lors d'une conférence tenue en mars dernier, Kate Billingham, responsable du programme au ministère de la santé britannique, a évoqué, radiographies de cerveaux d'enfants à l'appui, les différences neurologiques existant entre enfants bénéficiant de toute l'attention de leurs parents, et ceux qui étaient négligés. Interrogée par le Guardian, Kate Billingham estime que les risques de voir ces nouveaux-nés stigmatisés en tant que futurs délinquants ou exclus sociaux sont largement compensés par l'aide qui sera apportée aux familles pauvres et à leurs enfants.
Trois expériences pilotes, menées aux Etats-Unis, auraient démontré que les enfants suivis avaient un QI plus élevé, un langage plus élaboré et de meilleurs résultats à l'école, qu'ils faisaient moins l'objet d'abus et négligences (- 48 %), d'arrestations (- 59 %) et de placements sous surveillance (- 90 %), que leurs pères étaient plus impliqués et leurs mères moins sujettes aux grossesses répétées. De plus, il s'agirait d'un "investissement" à long terme car un tel programme permettrait d'économiser 12 500 £ (18 000 €) d'argent public par enfant ayant atteint l'âge de 30 ans.
En France, la proposition de dépistage précoce des "troubles du comportement" chez les jeunes enfants, faite l'an passé par Nicolas Sarkozy, avait soulevé une vaste polémique. La pétition "Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans" avait recueilli près de 200 000 signatures. Dans son projet pour les législatives 2007, l'UMP propose d'"aider et responsabiliser les familles qui rencontrent des difficultés à exercer leur mission d'autorité parentale" en se rapprochant de celles dont les enfants posent des problèmes à l'école, et de suspendre ou mettre sous tutelle les allocations familiales de celles qui, "malgré cette aide, ne remplissent pas leurs devoirs éducatifs".
Jean Marc Manach

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La lettre du RPH (réseau pour la psychanalyse à l'hôpital)

Une nouvelle classification débarque d’Outre-Atlantique : à genou médecins

Fernando de Amorim


Peut-être parce qu’ils préfèrent lire la naissance de la médecine à partir de la technologie et de la thérapeutique au détriment de l’examen clinique né avec Hippocrate ; peut-être aussi parce qu’ils méconnaissent la psychanalyse qui serait de l’autre côté du fossé de par la maladresse de quelques psychanalystes ; toujours est-il que la médecine française est de plus en plus sensible aux chants des sirènes d’outre Atlantique. Dans l’obscurité de la clinique, face au symptôme, face à la plainte, face à la demande exigeante, les médecins français s’accrochent toujours davantavge aux classifications ; probablement est-ce pour répondre à une exigence légitime de rigueur, mais également, semble-t-il, pour se sortir de l’embarras et de l’angoisse provoqués chez eux par la souffrance du patient. La plus récente classification est celle des troubles du sommeil qui peuvent être perturbants « pour le patient et pour le couple. » (Le Quotidien du Médecin, n° 8172). « Par une revue de la littérature [Laquelle ? Demandé-je], les médecins américains ont pu, pour la première fois, classer, en quatre groupes, les troubles du sommeil associant des comportements ou des sensations à caractère sexuel. ». Dans le premier groupe nous trouvons « la masturbation, caresse de l’autre », entre autres ; dans le deuxième groupe, « orgasmes soudains, agressivité sexuelle », entre autres ; dans le troisième groupe, l’« insomnie chronique sévère pouvant s’accompagner d’une libido exacerbée », entre autres ; enfin, la quatrième catégorie, qui est constituée de cas particuliers car au « cours des troubles nocturnes psychotiques peuvent survenir, après les réveils, des illusions et des hallucinations d’ordre sexuel. », entre autres. Cet envahissement régulier de la pratique médicale et scientifique anglo-saxonne et surtout nord-américaine, basée sur les preuves mais aussi le lobbying et la suggestion, n’appauvrit-il pas la médecine, celle basée sur la preuve du transfert, de la relation avec le patient ? Le RPH dénonce dans un esprit scientifique et de courtoisie, depuis des années, l’avancée de cette idéologie technologique, de l’idéalisation génétique et de la propagande pharmacologique au détriment de la clinique de la parole et du désir inconscient. Soyez attentifs, collègues médecins, vous introduisez ainsi au cœur de votre clinique de fallacieux compagnons de route. L’intérêt d’un laboratoire n’est pas d’abord de soigner, mais bien d’abord de vendre. Votre intérêt, votre désir, soutenus par une formation hospitalière et une clinique quotidienne, est, nul doute là-dessus, de soigner d’abord. Face au trouble du sommeil ou à n’importe quel trouble du corps, pour quelle raison ne pas faire appel à votre correspondant psychanalyste ? Pour quelle raison ne pas partager avec lui la charge de recevoir la souffrance symptomatique de votre patient ? C’est par la parole que le patient entre en traitement chez le médecin, c’est par la parole qu’il en sort, chez le psychanalyste.

mardi 29 mai 2007

ten line newsn° 332 - nouvelle série Date: samedi 26 mai 2007 Numéro Extraordinaire de la fin du mois de mai Editée sur UQBAR par Luis SOLANO

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L’O r i e n t a t i o n L a c a n i e n n e
“Les colonnes du temple tremblent”JAM poursuit, à la trace et par le menu détail, le procès de déconstruction créatrice de Lacan, dans le DE et le TDE. C’est époustouflant d’assister à cette opération radicale avec l’enthousiasme et la rigueur qu’il y met. Cette leçon m’ inspire une image, celle d’un tableau d’un peintre maniériste, Giuseppe Arcimboldo (Milan, 1527 - Prague, 1593), Corne d’Abondance. En effet, il y a du Lacan, il y a du JAM, bien sûr, mais pas seulement. On y lira des références bibliques, la référence à l’un des Docteurs de l’église, à l’anthropologie structurale, à cinecitta, aux femmes, aux hommes, à l’actualité de la vie politique française, et cela enveloppé par un humour sans égal. Ce prodigieux contenu de la Corne est au service du “tremblement des colonnes du temple” ! (From l’Editeur de TLN)
Jacques-Alain Miller, Cours du 23 mai 2007

J’ai comparé, la dernière fois, Lacan, le tout dernier, à Saint Thomas, celui qui, à la fin de sa vie, repousse la somme de ce qu’il avait pu élaborer, construire, élucubrer, dans le symbolique, et le rejette comme du fumier. Mais Lacan c’est aussi, je l’ai fait entendre, celui qui ébranle les colonnes du temple, le temple de la psychanalyse, et qui le fait s’écrouler sur lui.
Le TDE est une révélation
Il y a un avantage à cela, c’est que, par leur ébranlement même, les colonnes, qui semblaient être là, depuis toujours, soutien de la maison que nous habitons, ces colonnes deviennent visibles. On s’aperçoit de ce qui soutenait toute la construction. Je vois bien ce qu’on pourra dire désormais de l’enseignement de Lacan — ce qu’on pourra en dire en provenance d’un certain côté —, que cet enseignement s’achève sur un échec. Je prends les choses un peu autrement. Ce tout dernier enseignement est plutôt une révélation, la révélation d’une impasse qui est consubstantielle à la psychanalyse. Ce qu’on appelait — Lacan a mis l’accent dessus mais Freud est bien le premier à l’avoir ainsi formulé —, ce qu’on appelait l’impossible de la psychanalyse, est, dans ce tout dernier enseignement, mis au jour, explicité, rendu visible et presque palpable. Et ça nous donne comme une décomposition spectrale de ce qui est l’enseignement de Lacan. A mon sens nous n’avons pas fini de dérouler les conséquences de cette impasse mise au jour. C’est de nature, si besoin est, à re-passionner pour ce que Freud et Lacan ont pu édifier sur le fondement de cette impasse.Je dis Samson, parce que je pourrais aussi faire un sort à ce détail que Samson, alors, est aveugle. Ce qui consonne avec la question posée la dernière fois : Comment reconnaître un nœud borroméen dans le noir ? Il fallait entendre, je l’ai indiqué, reconnaître un savoir dans le noir. C’est la définition que le tout dernier Lacan donnait ainsi de la passe, l’épreuve de validation de la fin d’une analyse. Mais c’est aussi toute une psychanalyse : elle se passe dans le noir, un noir, on l’espère, zébré d’éclairs. Ce dans le noir donne, à mon avis, le sens du retour à la “ Lettre volée ” qui s’accomplit dans un chapitre du Séminaire XXIV.L’“ Introduction ” au “ Séminaire de la ‘‘Lettre volée’’ ” expose, en effet, ce que c’est qu’un savoir, dans les termes d’une chaîne déterminée ou pour le moins partiellement déterminée, une chaîne, où, à un certain niveau de l’élaboration — pas au niveau le plus bas où c’est l’aléatoire qui prévaut, le niveau le plus bas étant celui qu’illustre la pièce de monnaie où l’apparition d’un côté ou de l’autre est imprévisible et sans loi —, à un certain niveau d’élaboration de la succession des plus et des moins, apparaît une loi de formation, et, disons, un algorithme. La passe, idéalement, ce serait présenter un tel algorithme — l’algorithme de son inconscient, si je puis dire — en pleine lumière. Ce serait le fait d’un sujet venu à connaître son inconscient comme un savoir déterminé. Lacan a eu de la tendresse pour la métaphore des Lumières, il s’est présenté lui-même comme travaillant à une entreprise où il chercherait à faire pénétrer les lumières dans un recès où elles n’avaient pas jusqu’alors paru.Lorsqu’il revient sur la “ Lettre volée ” et son “ Introduction ” dans le Séminaire de L’Insu que sait de l’Une-bévue il ne renie pas cette définition du savoir, sinon qu’il qualifie le savoir ainsi défini de savoir absolu. C’est un savoir absolu qui, comme je le lis, n’a rien à voir avec celui de Hegel — encore que, étant donné qu’on ne sait pas très bien ce qu’est le savoir absolu de Hegel et que ça prête à imaginer, je ne peux pas être définitif sur ce point. Oui, je vois même comment, si je me forçais un peu, je pourrais dire que c’est le même. Mais enfin bon le savoir absolu, quand il qualifie cette construction mathématique élémentaire qui est dressée au début des Ecrits, signifie d’abord que ce savoir fonctionne tout seul. C’est-à-dire qu’il est séparé. Et séparé de tout le reste. Cela, tel que Lacan le reprend. A l’époque où commençait, où s’établissait son délire, il n’aurait pas qualifié ça de savoir absolu. Il en faisait au contraire le paradigme, comme nous disons, le point d’idéal, sur quoi régler l’écoute psychanalytique ; il supposait que ce savoir embrayait sur la relation analysant-analyste.C’est un tout autre accent que de qualifier ce savoir d’absolu : ça met en question, dans le fait, l’accès que l’on peut se ménager vers lui.
Le réel ne parle pas
Et c’est ainsi qu’admettant, dans son commentaire ultime de la “ Lettre volée ”, qu’il y a du symbolique dans le réel, que, allons jusqu’à dire ça, le réel est le lieu du symbolique, il n’en demeure pas moins, et il le souligne, je l’ai rappelé la dernière fois, que, là, le signifiant est muet.Le signifiant a beau faire partie du réel — si on l’admet —, il n’en demeure pas moins que le réel ne parle pas. Cette proposition, le réel ne parle pas, me semble traverser tout le dernier enseignement de Lacan, ces deux derniers Séminaires que je triture. Ce n’est pas, comme d’autres, une proposition soumise à variations, ça n’est pas un essai de formulation, je vous ai montré, à l’occasion, comment des thèses contradictoires de Lacan devaient s’entendre à partir d’un parcours qu’il fait de solutions possibles essayées à une difficulté. Tandis que : le réel ne parle pas, c’est avec ça qu’il est aux prises. Je suis d’accord — enfin je suis d’accord avec vous, avec ce que je suppose venir de vous [rires] —, je suis d’accord que c’est très singulier, que c’est une notion qui nous prend vraiment à rebrousse-poil.C’est une proposition qui fait tomber une colonne du temple.Ca comporte déjà que nous n’avons affaire à ce réel que dans le noir, et non pas dans la lumière. Cela introduit la psychanalyse comme une pratique à tâtons, très loin, à l’inverse, de cette image de la psychanalyse comme algorithmique, qui était l’image donnée par l’“ Introduction ” de “ La Lettre volée ”, et qui promettait une opération interprétative, au fond, pleine d’assurance, gonflée d’une arrogance scientiste. Que dis-je, mon Dieu ! [rires] Il est certain que ce tout dernier Lacan nous amène à des critiques beaucoup plus sévères et même sauvages que jamais on n’en a essayées à son endroit.Cette pratique à tâtons, on peut dire qu’en donne un exemple le maniement difficultueux des nœuds et des tores — j’ai souligné que Lacan s’abstenait, là, de faire référence à ce qu’on avait pu élaborer d’algorithme sur les figures topologiques. Le réel ne parle pas — là, vous allez voir que j’arrive à dire quelque chose de clair, de simple, mais il faut arriver à cette simplicité —, le réel ne parle pas nous indique la valeur à donner à la primauté de l’écriture, qui chemine dans l’enseignement de Lacan, jusqu’à éclater dans son tout dernier. Puisque, si soupçonneux devient-il à l’endroit même de poser des thèses, qui apparaissent, dans ses deux derniers Séminaires, souvent des tentatives, des accommodements, transitoires, fragiles, il n’en demeure pas moins qu’il maintient, avec des accents différents, que l’inconscient a affaire avec l’écrit. Il donne, de ça, des énoncés, des propositions différents, mais le fil est celui-là : c’est de l’écrit. Ce n’est pas de la mathématique, c’ n’est pas de la logique, c’ n’est pas de la grammaire, c’ n’est pas non plus de la poésie, mais, tout de même, c’est de l’écrit.Eh bien ! cela veut dire que ce n’est pas de la parole.Et, si c’est de l’écrit, c’est au sens où ça ne passe pas tout naturellement dans la parole. Quel chemin parcouru ! 180°. J’ai rappelé la dernière fois la formule de l’inconscient structuré comme un langage, j’ai montré rapidement comment cette structure de langage était ébranlée, et puis effacée. Mais enfin il y a une autre grande formule lacanienne, colonne du temple, par quoi, par où, au seuil du temple, il fallait passer pour entrer : L’inconscient c’est le discours de l’Autre.Toute l’ambiguïté est sur le mot discours. Dans le contexte, il est difficile de douter que cela veuille dire parole, parole ordonnée, et en effet, l’inconscient lacanien — c’est de là qu’il est parti —, est fait, était fait, de parole. Si bien qu’il pouvait mettre en valeur la continuité entre le discours de l’inconscient et le discours de l’analysant, et, pour peu que l’analyste se situe au lieu de l’Autre, comme il s’exprimait, cette continuité était celle du discours de l’analyste et de celui de l’analysant. L’émetteur reçoit du récepteur son message sous une forme inversée, mais l’inversion, c’est le nom de la continuité. Ca veut dire que c’est le même. Au signe près — qui reste à interpréter : est-ce passer de la négation à l’affirmation, est-ce plutôt le contraire, est-ce un changement de direction, etc. ? Inversion suppose continuité. Et dès lors, s’ouvraient, en effet, une doctrine de l’opération analytique, une théorie, et le maniement, au tableau, de figures — et déjà les deux figures dont le modèle, la référence, était la communication. Le schéma L, le premier étage du grand graphe, le second graphe, tout ça, ce sont des schémas de la communication. Et ce qui, dans cet ordre d’idée, en effet, paraissait le comble donnant le paradigme de l’interprétation analytique dans ses effets transformateurs du sujet, c’était la proposition performative, dirions-nous, Tu es ma femme.
Miracolo et le sourire de la Joconde
La formule qui résume cette orientation, formule qui est presque une jaculation, c’est : ça parle. Moi, ça me fait penser à une réplique qu’il y a dans un film de Vittorio De Sica que je voyais enfant, où à un moment la population s’assemble en disant : Miracolo ! miracolo ! [rires]Ca parle !C’est cet enthousiasme qui est douché par la proposition : Le réel ne parle pas. Là, pas de miracle, pas de Dieu pour faire parler le réel.Le tout dernier Lacan est travaillé, est même accablé — moi je suis forcé de vous communiquer tout ça sur un ton joyeux [rires] à cause de Luis Solano qui m’apprécie quand je suis gai —, Lacan commence souvent ces Séminaires en disant : “ J’aimerais autant ne pas le faire ”. Parce qu’il n’est pas un messager de bonne nouvelle. La nouvelle qu’il apporte, c’est : Ca ne communique pas. Et, quand ça communique, alors vraiment on ne comprend pas pourquoi [rires] ni comment — là, on peut dire : Miracolo.Mais on ne nage pas dans le miracle on se raccroche aux branches de certaines exceptions. Et ça, ça chemine, dans la caboche de Lacan, si je puis m’exprimer ainsi, depuis au moins le Séminaire Encore et sa dernière leçon que j’ai rappelée la dernière fois — mais enfin c’est déjà en marche dans ce Séminaire. Dans Encore il dit déjà : Lalangue ne sert pas au dialogue. Mais ce qu’il veut indiquer avec le mot même de lalangue, écrit en un seul mot sans distinguer l’article et le substantif, c’est qu’elle sert à la jouissance. C’est à partir de la promotion de la jouissance dans l’enseignement de Lacan que la référence à la communication a commencé à se dissoudre — la jouissance est devenue un dissolvant conceptuel —, et ça se comprend, parce que, disons-le comme ça, la jouissance ne communique pas.C’est le paradigme que donne à cet égard le rapport, mis en exergue par Lacan, des femmes à leur jouissance : elles n’en disent rien, elles ne savent rien en dire. Bon, ce serait à vérifier. J’ai essayé, cette semaine encore, de supplier une personne de m’en dire quelque chose : il lui a paru suffisant de me faire le coup du sourire de la Joconde [rires]. Il faudrait, pour être plus assuré de la remarque de Lacan, se taper la littérature érotique féminine, qui connaît de nos jours un certain développement. De ce que j’ai pu en lire, qui n’est pas beaucoup, ça ne me paraît pas tranché. Ou ça ajoute un certain dégoulinage de douceur et de tendresse, si je puis dire [rires], ou ça en remet sur le sadisme des descriptions masculines. Si quelqu’un parmi vous a une référence à m’indiquer j’en serais ravi.En tout cas, pour Lacan, c’est quand même ce qui est le paradigme du rapport à la jouissance, à savoir : de ce côté-là, ça ne parle pas. Au contraire, sans doute, du côté de l’amour, ça parle, ça en remet sur les mensonges du symbolique.Oui, il faudrait ajouter le côté masculin, où c’est quand même très orienté vers la jouissance du Un, plus que vers la jouissance de l’Autre, c’est-à-dire orienté vers le phallus et vers la comptabilité.
L’amour est réciproque, pas la jouissance.
Si on y songe, les formules de la sexuation que Lacan a élaborées dans ses Séminaires XVIII et XIX — et aussi dans Encore — et qu’il a transcrites, développées dans son écrit intitulé “ L’Étourdit ”, ces formules de la sexuation montrent plutôt que la jouissance enferme chacun des sexes en lui-même. C’est d’ailleurs une des trois leçons que Lacan tire à la fin de cet écrit sous la forme : Pas de dialogue entre les sexes.C’est ce qu’il dit. Ca n’est pas l’évidence. On se cause. Ca ne manque pas de discours qui s’adressent indéfiniment et indifféremment aux hommes et aux femmes : Travailleuses et travailleurs ! [rires] Electrices et électeurs ! Vous remarquez quand même que l’idée qu’il y a deux espèces, là, progresse, ça embarrasse d’ailleurs énormément le discours politique : “ A toutes celles et à tous ceux ” [rires], dix fois de suite… (1)Pas de dialogue entre les sexes doit être entendu, me semble-t-il, à un niveau qui vise la jouissance qui ne communique pas, et où la jouissance de l’Un n’assure rien concernant la jouissance de l’Autre. De l’amour, Lacan a pu dire qu’il était toujours réciproque, ayant reçu, paraît-il, cette formule d’un de ses amours de jeune homme, mais on ne dira pas, sauf à faire rire, que la jouissance est toujours réciproque.Et donc la promotion, dans l’enseignement de Lacan, de la catégorie de la jouissance va contre la communication, en ébranle la colonne, les deux colonnes — oui, il y a les deux colonnes et l’arche du graphe du désir —, et met déjà à l’horizon l’autisme, dont il se pose la question dans son Séminaire XXIV pour démentir que la psychanalyse soit un autisme à deux. Mais enfin c’est sur ce fond qu’il se débat.On voit bien qu’il essaye, à un moment, de créer la catégorie de la jouissance de l’Autre — avec un grand A — sur le modèle du discours de l’Autre, et il arrive à la conclusion que cette catégorie de la jouissance de l’Autre, ça ne tient pas, ça ne va pas, c’est vide. Au fond, ça se soutient, fantasmatiquement, dans le rapport de la jouissance féminine avec la position de Dieu. Le caractère dissolvant de la catégorie de la jouissance à l’endroit de l’appareil conceptuel s’exerce aussi sur la notion de l’objet a, qui, comme je le disais la dernière fois, est moulé sur l’effet de sens.L’objet a, on le sait, a d’abord émergé comme objet métonymique dans le Séminaire V des Formations de l’inconscient, Lacan l’a intégré aux schémas de la communication, et il le replace comme une certain espèce d’effet de sens, peut-être un effet de sens réel, etc.Dans Encore, au chapitre VIII, qui est vraiment la porte d’entrée dans son dernier enseignement, Lacan trace un schéma où il dégage les trois lettres de l’imaginaire, du symbolique et du réel : I, S, R, et il donne un sens giratoire au vecteur qui relie ces trois points, celui-ci :
Déjà, j’attire votre attention sur la ligne horizontale, où le symbolique se dirige vers le réel : S—>R. C’est une ligne de fond : confronter le symbolique au réel, jusqu’à, dans son tout dernier enseignement, le voir défaillir, jusqu’à le mettre à certains égards au rebut. On a déjà, ici, cette direction du symbolique vers le réel, qui est le mouvement qui s’accomplit dans le tout dernier enseignement.C’est sur ce chemin que Lacan plaçait l’objet a comme ce qu’on peut appréhender de réel dans le symbolique, soulignant, déjà, par cette position, le caractère ambigu de cette catégorie. Si on regarde ses ailes et si on regarde ses pattes ça ne va pas du même côté. Côté ailes, ça vole avec le symbolique, ses discours et ses mensonges, et puis, avec ses pattes, ça reste ancré dans le réel. Et déjà dans ce chapitre VIII d’Encore, Lacan, c’est ça qui m’avait retenu jadis, même si c’était fait en deux phrases, récuse l’objet a. Il le récuse en prétendant qu’au regard du réel, il se révèle que c’est un faux être — ça ne peut pas, dit-il, se soutenir dans l’abord du réel.Sans doute, précisément, parce que ça conserve de l’effet de sens. Lacan, dans ce chapitre, est déjà sur la voie d’une scission entre le réel et le sens, qu’il explicitera dans son tout dernier enseignement en disant, je l’avais souligné un peu plus tôt dans l’année, que le sens est l’Autre que le réel — avec un grand A, pourquoi pas. Il pouvait, pour se raccrocher aux branches, reprendre et valider sa formule comme quoi l’analyste met l’objet a à la place du semblant, ce qui est le plus convenable à son mode d’existence — en tant que tel ça n’est qu’un semblant —, et il ajoutait que c’est à partir de là que l’analyste peut, je le cite, interroger comme du savoir ce qu’il en est de la vérité. Dans cette interrogation, il y a déjà ce qui surgira comme problème : comment, dans l’analyse, peut-on passer de la vérité au savoir ?
Le symbolique parle
Le symbolique parle. C’est la condition pour qu’il y ait vérité, cette vérité qui est entourée de mensonges, cette vérité à laquelle on n’accède que par le mensonge, cette vérité qui n’est qu’une espèce de mensonge puisqu’elle est variable. En tout cas, il y a de la vérité quand le symbolique parle, il y a ces éclairs qui zèbrent le noir, disais-je tout à l’heure. Tandis que le réel est muet. Y compris le savoir qu’il inclut. Et le savoir qu’il inclut, à son égard, on est dans le noir. C’est un savoir absolu. Absolument séparé de lui. Alors, ça n’est pas mal ce schéma ainsi orienté pour resituer des éléments qui appartiennent au tout dernier enseignement de Lacan. On pourrait dire qu’en effet l’imaginaire se dirige vers le symbolique : I—>S, au sens où il l’imaginarise, et c’est ce qui nous donne le fantasme, la poésie, le délire de toute construction symbolique. Je donnerais aussi une valeur au vecteur montrant le réel se dirigeant vers l’imaginaire : R—>I, dont j’ai dit que ça me paraissait être le mouvement qui anime Le Moment de conclure de Lacan. C’est ce qui m’a fait choisir comme titre du dernier chapitre : Imaginer — à l’infinitif — le réel. Oui, j’ai validé ce titre, mais je suis plus embêté avec le titre du premier chapitre, qui, lui, répond au vecteur imaginaire-symbolique : I—>S, qui montre une continuité entre l’imaginaire et le symbolique, qui traite donc de délire y compris la science, qui montre le caractère imaginaire de la géométrie euclidienne, pourtant paradigme du symbolique. J’avais fini par appeler ça : Fantasmes du symbolique — au pluriel. Ce n’est pas que ça n’est pas exact mais ça n’est pas dans le texte même de Lacan sous cette forme et donc je médite encore sur ce titre-là, j’aimerais faire mieux et qu’on sente aussi comment le dernier chapitre du Moment de Conclure fait écho à la position prise dans le premier chapitre. Alors, une colonne du temple qui est elle aussi ébranlée, c’est la colonne de la nécessité. Et son corrélat d’impossibilité. Disons, c’est la colonne de ce que Lacan appelait, dans la “ Lettre volée ”, la détermination symbolique, qui, donc, nous donnait, nous mettait à l’horizon le paradigme de l’algorithme. Qu’est-ce qui ébranle cette colonne ? C’est la promotion toujours plus accentuée dans l’enseignement de Lacan de la catégorie de la contingence.C’est déjà clair, dans Encore, quand Lacan, mécontent de l’adjectif d’arbitraire que Saussure décernait au signifiant, dit : Mieux eût valu avancer le signifiant de la catégorie du contingent. Et c’est ainsi qu’il a ébranlé lui-même la primauté, la nécessité du signifiant phallique, en essayant de démontrer que ça n’était que contingence, qu’avec la psychanalyse ça cesse de ne pas s’écrire — et donc ce qu’il appelle contingence c’est tout ce qui soumet le rapport sexuel à n’être que sous le régime de la rencontre. Vous savez aussi que, cette contingence, Lacan l’essaye sur différentes catégories ou concepts de la psychanalyse. La rencontre est un fait de hasard. Donner la primauté à la rencontre, c’est revenir à l’étage le plus bas des plus et des moins sur lequel on avait construit l’édifice de la détermination symbolique. Et donc, au fur et à mesure que Lacan promeut la catégorie de la contingence, au fond, comme Pénélope, il défait son tissage de détermination. Ca veut dire que la rencontre ça opère dans le noir.
La magie rétablit la communication
C’est là qu’on pourrait inscrire, que prend sa valeur, la thèse, fugitive sans doute mais qui hante le tout dernier Lacan, la thèse de l’analyse magie.Evidemment la question s’était posée dès longtemps à Lacan puisque c’est sous ce chef que Lévi-Strauss avait tenu à inscrire l’opération analytique, comparant le psychanalyste au chaman. C’était, à l’époque, une bonne manière qu’il faisait à son ami Lacan, qui ne s’était pas démonté pour autant, et qui avait, à cette occasion, mis en musique l’imaginaire, le réel et le symbolique. Mais c’est dans le dernier texte des Ecrits, “ La science et la vérité ”, que Lacan revient, en forme, sur la magie. Et il me semble que c’est ce qui l’inspire dans son tout dernier enseignement, à évoquer la magie à propos de la psychanalyse. La magie rétablit la communication. Elle rétablit une liaison entre signifiants. Lacan dit exactement : Elle suppose le signifiant répondant comme tel au signifiant, je vous renvoie là à la page 871 des Ecrits. L’hypothèse de la magie, c’est qu’elle a affaire à une Chose, qui d’abord ne parle pas, qui est malade, qui est en rapport avec un dysfonctionnement, et on suppose, en effet, qu’avec du signifiant, on va pouvoir faire répondre la Chose qui ne parle pas : Sa—>Chose. Ici la Chose prend la valeur de la nature et le signifiant doit prendre une forme incantatoire pour mobiliser le signifiant dans la nature : incantation—>nature. Et alors, explicite Lacan : La Chose en tant qu’elle parle, répond à nos objurgations. Donc, là, on arrive à faire parler le réel muet.Il est notable que Lacan, le tout dernier Lacan, rabat la psychanalyse sur une opération de ce type.Cela suppose que le chaman, du côté de l’incantation, y mette du sien, il faut qu’il s’active, comme moi ici [rires], qu’il mouille sa chemise. Donc, ça implique d’apporter le corps, de payer de sa personne, et par là, en effet, par le corps, il démontre faire partie de la nature ; l’émetteur fait partie de la nature.A cela, Lacan oppose, alors, le sujet de la science qui serait le supposé de l’expérience analytique, le sujet de la science qui n’appartient pas à la nature. Et l’analyste lui-même soustrait son corps plutôt que de l’ajouter — encore qu’il faille qu’il soit là, il y a quand même ce minimum. Son raisonnement de la page 871 est tout à fait valable si on met, en regard, le sujet de la science, mais c’est déjà une toute autre affaire quand on parle du parlêtre.Le parlêtre est une catégorie qui inclut le corps. De telle sorte que ce n’est pas suffisant d’évacuer le corps dans l’analyse en disant que c’est un résidu. Le corps, c’est, au contraire, s’il s’agit de parlêtre, un fondamental, comme on dit aujourd’hui. Et on pourrait dire aussi que, l’analyste, non seulement il fait partie de la nature par le support corporel qu’il amène, mais il fait partie aussi de la culture. Et c’est pourquoi Lacan donne leur importance à des facteurs comme le prestige ou le poids social dans l’efficace de l’interprétation. C’est sans doute aussi pourquoi il dit une fois : Pour savoir ce que j’entends par psychanalyse il faut entrer en psychanalyse avec moi [rires]. En effet, le tout dernier Lacan, côté prestige et poids, on ne pouvait pas trouver plus lourd. Il faut corriger ça par le fait que la débilité mentale est telle que le prestige se soutient très bien de semblants ténus. Enfin, vous le constatez dans l’élévation des grandeurs sociales, vous en prenez un comme ça dans le lot, vous le présidentialisez [rires], il fait exactement le même office que les autres, il est capable de faire le Tintin comme les autres. La place et le semblant, eux-mêmes, génèrent leur poids et l’admiration qui va avec.C’est cette opération, cette opération qu’on peut qualifier de magique — arriver à faire parler le réel —, que Lacan approche par le terme d’escroquerie, dont il décore, à un moment donné, la psychanalyse, pour poser la question : Comment surmonter la scission du réel et du sens, alors que cette scission est le contraire de la pratique psychanalytique qui suppose que les mots ont une portée dans le réel ?Donc, là, ce n’est pas l’échec de Lacan dont il s’agit, c’est une antinomie, une difficulté propre à la psychanalyse.
La promotion du corps
Un des essais de Lacan est, je l’ai signalé au passage, de surmonter la scission du réel et du sens par ce qui serait l’exception du symptôme, si le symptôme est la seule chose qui conserve un sens dans le réel. Donc, le symptôme, lui, pourrait répondre — comme la Chose du chaman à l’incantation —, pourrait répondre à l’interprétation comme le corps répond à sa résonance. Ici, il faut faire sa place à la promotion qui s’accomplit dans l’enseignement de Lacan et qui vient émerger dans son tout dernier, la promotion du corps, qui est, je vous le rappelle, situé, dans la triplicité de Lacan, au niveau de l’imaginaire.Et spécialement, Le Moment de Conclure est marqué par la promotion de l’imaginaire à travers les manipulations de figures que multiplie Lacan. Il y a comme un tropisme vers l’imaginaire, qui est une sorte de retour aux sources pour lui, puisqu’il est parti de l’imaginaire, et il y revient, sous une forme différente, beaucoup plus élaborée, d’ordre mathématique si l’on veut — je dis si l’on veut parce qu’en fait ces figures sont très éloignées des mathématiques.Disons, la promotion de la jouissance, celle de la contingence, celle du corps, se conjuguent dans une promotion de l’imaginaire, qui me fait penser que c’est ainsi qu’il répond à l’appel que lui-même lance à la fin de son Séminaire XXIV de L’Insu que sait de l’Une-bévue où il attend, où il espère un signifiant nouveau. J’avais déjà donné comme titre à cette partie, jadis, quand je l’ai publiée dans Ornicar ? : “ Vers un signifiant nouveau ”. Eh bien ! la réponse, la réponse ultime qu’apporte Le Moment de Conclure, c’est que ce signifiant nouveau ce n’est pas un signifiant, c’est bien plutôt une image.Je poursuis la semaine prochaine dans Le Moment de Conclure.
[Applaudissements]

(Tableau récapitulatif des schémas)
Sa ———> Chose incantation ———> nature
_________________
(schéma 2) (schéma 1)

Note:
(1) Expressions entendues de la bouche des candidats à la présidence de la R.Française.(2) Deux derniers schémas en triangle, inspirés de celui de J.Lacan, Séminaire Encore, Livre XX, Chapitre VIII, page 83, Le Seuil, Paris, 1975.
Fiche technique :
Auteur/interprète : JAMDécryptage et saisie : Michel JoliboisSon et reproduction des schémas: Fabienne HenryProduction et Copyright : TLNDiffusion : amp-uqbarTLN remercie ces deux précieux collaborateurs, Fabienne Henry et Michel Jolibois

mardi 22 mai 2007

Soirée-Débat : La relation médecins-malades : information et mensonge

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Soirée-Débat : La relation médecins-malades : information et mensonge

Réalisée par l'Espace lorrain de santé publique dans le cycle " La santé, un auteur, un livre", la soirée du 29 mai (20h30 - 22h30) est organisée en collaboration avec la Maternité régionale de Nancy
Cette soirée accueillera Sylvie Fainzang, anthropologue, directeur de recherche à l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale)
auteur du livre :
La relation médecins/malades : information et mensonge
La soirée sera présentée par le Professeur Jean-Pierre Deschamps
Elle aura lieu à la Maternité de Nancy - 10 rue du docteur Heydenreich à Nancy
· - Pour lire le résumé de l'ouvrage - Suivre ce lien
· - La bibliographie de Sylvie Fainzang - Suivre ce lien
· - Pour votre inscription merci d'utiliser le formulaire d'inscription en ligne - Suivre de lien ou le bulletin d'inscription au format word à nous retourner par courriel ou fax - Suivre ce lien
·
Pour lire les analyses de l'ouvrage :
· - de la revue Santé publique (page 602) - Suivre ce lien
· - de la revue Santé de l'Homme - INPES - Suivre ce lien
· - de L'express - Suivre ce lien
· - de Quotidien du médecin - Suivre ce lien
· - de la revue Clinique Transculturelle - Suivre ce lien

Psychanalystes en prise directe sur le social le 5 mai à l’Hôtel des Prélats à Nancy

Marie-Odile Caurel
Avec dans un premier temps les interventions de Françoise Labridy, Jean-Marie Adam et Alix Meyer, Micky Boccara-Scmelzer, Philippe Cullard, puis dans un second temps celles de Stéphane Germain, Estelle Gehle, Yasmine Yayaoui.
Luc Müller et Danièle Schlumberger animent cet après midi
Serge Cottet, membre de la commission scientifique de Pipol 3 fait ponctuation des inventions et de leurs effets dans la prise en compte de l’inconscient dans le malaise actuel.

Françoise nous parle du Cien Nancy, lieu d’énonciation, institution pauvre à refonder sans cesse au service de la re-découverte de la saveur du goût du dire, offre d’une possibilité de se constituer comme sujets en trouvant les mots pour dire les impasses et les inventions de chacun dans sa pratique, conversation à plusieurs pour border le réel des rencontres qui nous dé-bordent.
Serge Cottet souligne l’inflation actuelle du syntagme à plusieurs, marquant l’enjeu des lieux d’énonciation et de leur nécessaire multiplication. Créer des lieux ou dans les lieux existants créer des dispositifs d’écoute et d’aide là où il n’y en avait pas ?
La conversation s’engage ici. Un pas de plus, non seulement écouter la plainte mais provoquer une énonciation nouvelle. Lieux d’énonciation pour professionnels angoissés, possibilité pour eux de s’entendre dire, traitement de l’angoisse, sensibilisation à la dimension de l’inconscient. Effets tranquillisants alors ? plutôt effets d’après coup , la parole pas faite pour solutionner produit cependant de l’élaboration, la dit-mention clinique se dégage.
Ces lieux offrent une adresse pour la parole de chacun, la parole adressée vous revient et vous divise, l’écriture constitue un effet de savoir d’après coup. Ils peuvent être un lieu commun de résistance à la norme et à la standardisation et permettre le desserrage des symptômes sociétaux, masques et écrans des symptômes personnels. La généralisation actuelle du mot symptôme fait disparaître l’usage qu’en donnait Lacan : un message, une énigme et une définition de jouissance. L’enjeu du Cien est donc d’être un lieu d’énonciation et un lieu de déchiffrage.

Alix nous parle d’un dispositif « groupe expert » au service de l’insertion de personnes handicapées par la maladie psychique. Ils sont bénéficiaires au titre du droit commun d’un certain nombre de prestations financées par le conseil général. Jouer la carte des signifiants maîtres, des titres des métiers pour créer une cellule d’appui. Pas de prise en charge partagée, les formateurs rencontrent les bénéficiaires, les « experts »( analyste, psychologue, psychiatre) rencontrent les formateurs qui leur parlent de ce qui les arrête dans le « suivi » d’un dans sa recherche d’emploi.. Chacun des intervenants est maintenu dans une ignorance nécessaire, dissymétrie de savoir. La cellule se présente comme un Autre qui vient trouer l’expertise, chacun est décomplété, deux manques s’additionnent. Alors ici pas de mise en rivalité des discours, pas de transparence, mais une offre qui vient trouer les préjugés, et ouvre aux positions subjectives.
Une réponse politique dans un cadre présentant les garanties attendues par le maître moderne, et par le payeur. Et une mise en évidence que la valeur travail exige un lien social, une symbolisation pour que des sujets s’y logent.

Micky nous expose une matinée ordinaire à Saint Dié. L’espace c’est un bureau dans une mairie, le titre un marché à procédures adaptées, le payeur le conseil général, les bénéficiaires des personnes au RMI, et une analyste qui s’offre comme adresse à ceux qui sont adressés en général par les services sociaux.
Laurence, Martial, Isabelle, Jean, Antonio, des prénoms, des problème de santé, des difficultés graves dans le lien social mais surtout des sujets aux prises dans leur vie de tous les jours avec des symptômes ravageants….quelque chose s’ouvre, des rendez vous réguliers, une durée, et parfois des rectifications subjectives. Une niche dira Micky puisqu’un travail de supervision est aussi possible avec les équipes de TS. Une demande-commande du conseil général qui donne du temps à ce qu’une demande subjective puisse enfin s’adresser à quelqu’une.

Philippe nous parle de Florence, une petite fille de 14 ans, l’une des plus difficiles ( mais en ITEP ce titre est convoité), électron libre, trempée d’angoisse, d’un évènement qu’elle crée et des interventions des professionnels présents qui précipitent son déchaînement. Pour penser la clinique un dispositif, une réunion des éducateurs avec psychiatre et psychologue, lieu de dépôt par chaque un des impossibles du travail éducatif avec l’enfant…espace d’élaboration, de diagnostic et de stratégies pour orienter les tactiques singulières dans l’après coup. La boussole de ce dispositif c’est la jouissance pour le cas. Là où les instit et éduc concernés voient une provocation de Florence, la psy entend une convocation , c'est-à-dire un rappel à leur travail où leur vigilance est mise en veilleuse. Florence demande une présence réelle et non pas symbolique, prompte à se manifester par le regard et la voix. Il s’agit de se mettre entre ce qui apparaît jouissance et le sujet. Le mot d’ordre actuel du retour nécessaire à l’éducation fait entendre sa bêtise, les enfants ne sont pas seulement agités, leur appel à l’acte est signifiant. Il s’agit de s’adapter au cas et pas de tenter de les adapter à la norme, s’entend la nécessité du repérage clinique Pas de réponse tout faite mais un travail dans la durée ponctué de temps d’élaboration avec des effets de formation pour les professionnels.

Stéphane nous transmet ce qu’en prison les rencontres avec Alexis, le chercheur convoque pour lui comme clinique du sujet. Alexis crie, vient dans l’urgence, il veut qu’on fasse cesser les sifflements dans les oreilles qui le vrillent, je deviens fou. Il se coupe. Le sang coule.
Stéphane lui tend un mouchoir en papier, Alexis s’effondre, pleure, parle.
Dans l’après coup Stéphane élabore ce qui l’a orienté. Le sens est mauvais allié. Le réel d’un corps s’impose à Alexis et à son interlocuteur, son geste est entendu habituellement comme une provocation, une de plus.
A qui s’adresse Alexis ? il agit sous la contrainte quand il dit ne pas pouvoir s’empêcher, alors faire de la coupure une adresse ? Appel à un regardant pour tailler dans la chair ?
Pour Stéphane une certitude ne pas reculer devant l’urgence, se constituer à ce moment là seulement comme adresse. Position stoïque et angoissée ? Pari….S’agirait-il là aussi d’une convocation à un Autre barré ?

Estelle rendra compte de deux temps au CAO ( avec ou sans h centre (d’hébergement) d’accueil et d’orientation. Un moment de stupeur en découvrant un jour une porte blindée là où pourtant on est invité à entrer. Le malaise des mères en difficultés sociales avec enfants peut-il passer la porte ?Qui sont ceux qui sont dedans ? Alors un déplacement pour ré’ouvrir le titre du lieu…accueil…orientation…comment penser des passages pour éviter la chaos ou l’exclusion pour chacun? Des rencontres, professionnels et mères avec enfants où peuvent s’entendre des questions actuelles (des usagés !!!….) au cœur de la transmission, la filiation et la séparation. Groupe de paroles qui prendra le titre « confidences pour confidences »….
Dans la conversation qui suivra ici, Estelle en les nommant femmes celles qu’elle rencontre là fera entendre la bascule possible de l’aliénation à la séparation. « Nous nous dé-couvrons alors que nous nous côtoyons dans le quotidien »

Yasmine nous adresse les effets pour elle de l’analyse dans sa fonction sociale de professeur d’EPS (éducation physique et sportive), façon de faire exister la psychanalyse en extension. Elle décline avec beaucoup d’humour les signifiants maîtres de la discipline avec laquelle les maîtres devraient produire des élèves physiquement éduqués….l’enjeu sanitaire de l’EPS résonne avec les injonctions de bonne santé contemporaine….mais dans les corps surtout à l’adolescence ça ne colle pas, ça turbule, s’agite, se fait mal….alors…une urgence se décoller de l’intentionnalité, offrir un espace vide ( mais rassurez vous le cours de gym a lieu) de toute attente, répondre à côté du refus, de la provocation, accuser réception aux sujets qui se cherchent pour choper au vol le particulier. Avoir appris que le manuel ne peut pas répondre à l’appel de chacun et dans l’échange faire trouvaille de la langue pour qu’en résonne l’équivoque.

Au début de cette rencontre Françoise dans son intervention faisait entendre que « les mots, actions supposées anormales, bizarres farfelues des jeunes sont des symptômes-invention et non pas une pathologie ou un trouble, provoqués par ce qui travaille en eux, des symptômes-nécessité pour se créer un lieu où la parole soit possible, à partir de tous les éléments pulsatiles qui débordent les possibilités d’une langue déjà là ».
Dans cet après midi de conversation ce sont les dispositifs-invention qui sont venus sur la scène contemporaine portés par ceux qui orientés par le réel, ne « reculent pas devant les jouissances du temps » et savent que « là où le Savoir imposé défaille », le transfert et l’énonciation qu’il ouvre peuvent opérer, dispositifs-précaires-sur mesure pour habiter le présent et le rendre habitables à quelques autres.
Merci à tous ceux qui nous ont enseigné de leur désir décidé.
13 mai 2007

L' Ecole face à la barbarie consommatrice

Philippe Meirieu
En France, les débats éducatifs sont trop souvent réduits aux débats sur l'école. Certes, notre histoire y invite : aucun pays plus que le nôtre ne s'est construit avec et sur son système scolaire. Et si nous ne restaurons pas l'espérance dans une institution aujourd'hui largement réduite à une gare de triage, nous devrons faire face, en même temps, à l'explosion de la jeunesse et à la dépression des professeurs. Quand le fatalisme triomphe et que le découragement s'impose chez ceux qui incarnent l'avenir, il y a de quoi s'inquiéter... Réjouissons-nous donc que la campagne électorale fasse une place aux problèmes scolaires.

Pour autant, nous n'en sommes pas quittes. Le symptôme est là qui insiste et bégaye : inquiétudes sur la baisse de niveau, interrogations sur l'autorité, polémiques sur les responsabilités réciproques des professeurs et des parents, épouvante devant des actes de violence qui échappent à l'entendement. C'est que la question scolaire ne peut être pensée indépendamment de l'organisation même de notre société et, plus précisément, du statut que cette société donne à l'enfance.
Nous sommes face à un phénomène complètement inédit : le caprice, qui n'était qu'une étape du développement individuel de l'enfant, est devenu le principe organisateur de notre développement collectif. Nous savons, en effet, que l'enfant passe toujours par une phase où, installé dans la toute-puissance, il croit pouvoir commander aux êtres et aux choses. Qu'on parle de narcissisme initial ou d'égocentrisme infantile, on souligne toujours le même phénomène : l'enfant, empêtré dans des désirs qu'il ne sait encore ni nommer ni inscrire dans une rencontre avec autrui, est tenté par le passage à l'acte. L'éducateur devra donc l'accompagner, lui apprendre à ne pas réagir tout de suite par la violence ou la fuite en avant... Pour prendre le temps de s'interroger, d'anticiper, de réfléchir, de métaboliser ses pulsions, de construire sa volonté. Affaire de pédagogie.
On ne sort pas de l'infantile tout seul : on a besoin de s'inscrire dans des configurations sociales qui donnent sens à l'attente et permettent d'entrevoir, dans les frustrations inévitables, des promesses de satisfactions futures. Affaire jamais bouclée : l'infantile nous talonne dans la maturité et la tentation reste grande, à tous les âges de la vie, d'abolir l'altérité pour se réinstaller, ne serait-ce qu'un moment, sur le trône du tyran.
Aujourd'hui, la machinerie sociale tout entière, loin de fournir des points d'appui à l'enfant pour se dégager de l'infantile, répercute à l'infini le principe dont l'éducation doit justement lui apprendre à se dégager : "Tes pulsions sont des ordres." Ainsi "la pulsion d'achat" devient-elle le moteur de notre développement économique. La publicité court-circuite toute réflexion et exalte le passage à l'acte immédiat. La télévision zappe plus vite que les téléspectateurs pour les scotcher à l'écran et les empêcher de passer sur une autre chaîne. Le téléphone portable réduit les relations humaines à la gestion de l'injonction immédiate. Tout susurre à l'oreille des enfants et adolescents : "Maintenant, tout de suite, à n'importe quel prix..."
Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, qu'il soit devenu plus difficile d'éduquer aujourd'hui : les parents savent l'énergie qu'il faut dépenser pour contrecarrer l'emprise des modes, des marques, des stéréotypes imposés par les "radios jeunes" et répercutés par les médias. Les professeurs constatent, au quotidien, la difficulté de construire des espaces de travail effectif, de permettre la concentration, de former à la maîtrise de soi et à l'investissement dans une tâche. Ils voient leurs élèves arriver en classe avec une télécommande greffée au cerveau, un phallus high-tech qui dynamite tous les rituels scolaires qu'ils peinent à mettre en place. La préoccupation principale des enseignants - ce qui les épuise aujourd'hui - est de faire baisser la tension pour favoriser l'attention. Et le malaise est là : moins dans le niveau qui baisse que dans la tension qui monte.
Face à ce déferlement de l'infantile, la pensée magique fait des ravages : restaurer l'autorité, changer les méthodes de lecture et apprendre les quatre opérations dès le cours préparatoire sont présentés comme des moyens de sauver les lettres et la République ! Triomphe de la prescription technocratique quand il faudrait créer obstinément des situations pédagogiques où l'enfant découvre, dans l'action, que la jouissance de l'instant est mortifère et qu'il n'y a de désir possible que dans la construction de la temporalité.
Mais, face à cette modernité qui produit les moyens de la barbarie, la pensée totalitaire avance aussi sournoisement. Elle se nourrit de la peur et se déploie toujours selon la même logique : dépister, le plus précocement possible, les déviances individuelles, les circonvenir en isolant et médicalisant tous les "troubles", typologiser, classer et séparer les individus, les assujettir à une logique de service contrôlée par des officines privées. Triomphe d'une normalisation soft, plébiscitée par l'individualisme libéral, quand il faudrait, au contraire, déverrouiller les destins en faisant circuler de la parole, en permettant aux sujets de se mettre en jeu sur des projets improbables, de rencontrer des occasions de s'impliquer et de fabriquer du collectif.
Ainsi, parce que la crise de l'école renvoie à des enjeux fondamentaux, on n'y mettra pas un terme par des mesures techniques circonscrites. C'est la crise de l'éducation qu'il faut traiter, en posant des questions qui restent encore très largement occultées : peut-on continuer à considérer l'enfant comme un prescripteur d'achat, un public captif pour la publicité ? Ne faut-il pas prendre au sérieux, enfin, la question des médias - et, en particulier, de l'audiovisuel - en faisant valoir que leur liberté d'expression s'exerce dans une démocratie et doit s'accompagner d'un devoir d'éducation ? Ne faut-il pas repenser la gestion du temps de l'enfance en relâchant, au moins partiellement, la pression évaluative ? Ne faut-il mettre en place une relance de l'éducation populaire pour faire pièce à la frénésie consommatrice en matière de loisirs et de culture ? Ne faut-il pas, enfin, faire du soutien à la parentalité une priorité politique, en cessant de considérer les parents en difficulté comme des délinquants ou des malades mentaux ?
Bien sûr, l'école devra prendre sa place dans ces dispositifs : en s'interrogeant sur la manière de lutter contre les coagulations d'élèves qui tiennent aujourd'hui lieu de "classes"..., en structurant des groupes de travail exigeants où chacun ait une place et ne soit pas tenté de prendre toute la place..., en articulant une pédagogie de la découverte, qui donne sens aux savoirs, et une pédagogie de la formalisation rigoureuse, qui permette de se les approprier..., en développant une véritable éducation artistique, physique et sportive qui aide chacun à passer de la gesticulation au geste..., en vectorisant le temps scolaire par une "pédagogie du chef-d'oeuvre", pour que chacun puisse s'inscrire dans un projet et cesse d'exiger tout, tout de suite, tout le temps.Tous les niveaux de l'école et toutes les disciplines scolaires peuvent et doivent s'impliquer dans cette entreprise. Comme tous les acteurs sociaux. En imaginant et en mettant en oeuvre des projets éducatifs capables de faire contrepoids, partout, au caprice mondialisé. Mais en osant, aussi, se demander si l'éducation à la démocratie et la toute-puissance du marché sont compatibles. Et quelles alternatives nous pouvons inventer pour sortir de l'impasse...

L'INTER-LABORATOIRES IMPROMPTU, NANCY-METZ, BRUXELLES, LYCEE CYFFLE

Claire Piette, Françoise Labridy
Que s'est-il passé ce samedi là, qu'avons nous bricolé, les un(e)s, les autres pour qu'une conversation se mette rapidement en place entre les membres du laboratoire de Nancy-Metz (une quinzaine de personnes) et des enseignants (une quinzaine) du lycée Cyfflé qui auraient dû faire entre eux un groupe de réflexion sur «les élèves en difficulté ».

Françoise a proposé que nous nous accueillions mutuellement puisque cette rencontre étant imprévue, chacun pouvait donc la saisir pour parler des impasses qu'il rencontre dans sa pratique quotidienne. Claire me fait remarquer que déjà se répartir autour de la table, en mélangeant les participants, c'était une façon de ne pas constituer l'imaginaire de ceux qui viendraient donner des leçons à d'autres et qu'en suite présenter de manière minimaliste le CIEN pour laisser place à l'imprévu de la rencontre, c'était déjà un pari.

Aussitôt cela a commencé, un des enseignants vient déposer une plainte concernant une élève qui ne cesse de vouloir sortir de classe, « pour aller aux toilettes ». Il nous fait entendre qu'il a déjà tout essayé, tout dit et qu'il ne voit pas de solutions. A la suite de plusieurs prises de paroles, où il s'interroge sur s'il doit ou pas la laisser sortir en évoquant à chaque fois les conséquences négatives ou positives, Claire l'interrompt sur les « conséquences » qui en découlerait. Cette demande de précision le met en position d'entendre un petit peu autrement ce qui résonne subjectivement dans le mot « conséquence », il se surprend à répéter « conséquences », comme s'il entendait soudain que son discours se fondait sur des éventualités « dramatiques » et qu'il en était prisonnier pour poser un acte singulier vis à vis de cette jeune fille. Car en effet, un peu avant, il avait glissé l'idée que des adolescentes pouvaient se scarifier ou se couper les veines. Aucun émoi, ni fascination devant cette éventualité n'est manifesté par les participants, c'est au contraire un feu d'artifice nourri de propositions et rebonds successifs qui lui répond ; une participante lui relate comment à sa surprise lorsqu'elle demanda à un élève qui souvent aussi voulait sortir, s'il pouvait attendre, avait dit oui. Un déplacement opère, des possibles autres que ceux des modèles que nous avons chacun dans la tête, peuvent faire effet d'invention, à condition de ne pas savoir a-priori. Pour cette jeune fille en fin de compte, nous avons trouvé comme hypothèse de travail, qu'il y avait peut-être lieu de la surprendre en l'interpellant à l'heure habituelle pour lui demander si elle, avait quelque chose à demander.

Deux autres enseignants parlent ensuite pour évoquer des élèves qui ne demandent rien, là aussi recherche de précisions et au décours de la conversation, là où il s'avère que les enseignants attendaient d'une instance extérieure la solution, s'aperçoit soudain qu'ils pourraient être une adresse de la situation insupportable relatée. La démonstration en est faite par l'enseignant-stagiaire, parlant en dernier, disant qu'il ne sait pas, mais se risquant à nous dire ce qu'il a mis en place pour un de ses élèves, il a accepté qu'il ne rende pas un devoir, mais écrive quelque chose, l'élève lui demande alors : « ce que j'ai à écrire doit il être cash ?», l'enseignant opina et reçut un long courrier de ce jeune, pas sans lien, semble-t-il à la valeur dans l'Autre que ce jeune cherchait désespérément. En disant oui, l'enseignant n'avait-il pas ouvert à cet élève, la porte de l'inconnu qui cherchait en lui un chemin ?

Dans le cours de cette conversation, il fut entraperçu que ce qui était adressé aux professeurs restait énigmatique, comme pour les élèves vraisemblablement ; mais de cette position d'enseignant nous avions à accepter l'accusé de réception dans l'adresse que nous constituons auprès de ces élèves. N'avions-nous pas d'ailleurs accepté d'occuper cette position pour ces collègues en ouvrant l'espace pour inventer ensemble en restant vigilant à ne pas tomber dans des cadres de références établis ?

On a (tout) essayé !

Noëlle de Smet
Nancy, le 10 mars 2007 dans une classe d’un lycée professionnel restera dans ma mémoire une trace à la fois douce et forte de traits occupés à se dessiner dans une école, chez des enseignants embarrassés par les multiples aléas, grippages et perturbations quotidiens de ces ados qui n’arrêtent jamais leurs inventions !
Désirs d’enseignants d’avancer avec leurs élèves, de les entraîner dans des chemins d’apprentissage…
Lassitude aussi : « On a tout essayé » commence un enseignant !
Désirs de jeunes, rendus là présents, d’être remarqués, préférés, uniques.
Détours en tous genres pour y arriver et aussi pour sortir du quotidien scolaire à leurs yeux parfois trop ennuyeux. Mes élèves disaient : « Il ne se passe jamais rien ici à l’école, c’est toujours la même chose… ». Alors ils font en sorte que des choses se passent !
Des choses qui nous embarrassent, nous enseignants.
« Monsieur, je peux aller aux toilettes ? » Pipi à chaque cours de cet enseignant, à la même heure quasi !
« Ca ne peut pas attendre ? » demande une enseignante qui se trouve régulièrement dans le même genre de situation.
Si on laisse faire les élèves les cours se passeraient bien en entrées et sorties constantes !
Pour aller se soulager. Mais au fond, de quoi au juste !?
« ça » peut attendre peut-être… mais le sujet qui fait la demande, lui, trouve sans doute vital d’en profiter pour aller se refaire ce maquillage qui doit être beau pour midi ou aller prendre un peu d’air, un peu bouger, un peu se détacher du groupe… ?
« Qu’est-ce que je fais moi l’enseignant qui ai le devoir de les garder dans les classes ? D’autant plus que s’ils sortent ils peuvent aussi aller se taillader les veines… ça m’est arrivé déjà. Et je suis responsable. »
Dans ces apports à première vue anodins, un monde arrive…
Il m’a touchée l’enseignant qui a lancé les apports des uns et des autres en osant d’emblée apporter des traits de ses malaises et difficultés.
Ils m’ont touchée les membres du laboratoire du Cien, présents là, simplement avec la proposition d’une parole ce matin-là, avec des enseignants volontaires de ce lycée-là, à l’occasion de son samedi portes ouvertes.
C’est avec plaisir et intérêt que j’ai participé à ce partage de parole cherchante et chercheuse.
Entendre les vécus mouvants des enseignants, entendre leurs inventions, chercher avec eux de nouveaux creux où pourraient s’accrocher un désir de ces jeunes, où pourraient se jouer les présences des uns et des autres…
Dans ces 2 petites heures, dans ce lycée de Nancy, avec des membres du laboratoire, quelque chose a semblé bouger.