mercredi 24 octobre 2007

Compte-rendu de la réunion du CIEN

Rappel
Le 07 juin aura lieu le colloque du CIEN.
4 axes de travail sont proposés :
- la langue administrative, une langue qui évalue et exclue l’étrangeté ;
- l’étrangeté irréductible ;
- l’intrus et l’intrusion (transformation du corps, de ce qui peut faire intrusion et vient compliquer la vie de quelqu’un) ;
- les « bancs-lieux » et les marches de l’Autre (les inventions de langue qui passent d’abord par l’injure jusqu’à la poésie, comme une logique de construction d’un lien social).

Nous avons décidé cette année de travailler autour du thème de l’étrange-l’étranger-l’étrangeté, l’adolescence comme laboratoire du vivant.
Remarque : l’étrangeté s’est invitée dans le groupe, certains d’entre nous se sont mis à écrire en rimes, comme les ados.
Un idée a été avancée de travailler en petits groupes, comme « extérieur-intime ».

· Une situation est évoquée concernant la création d’un blog, d’un extérieur, par des adolescents confrontés à la mort d’un d’entre eux. Ils détournent ainsi l’obscénité administrative consistant à recopier un texte, et réinventent le lien, ce qui leur permet d’évoquer la mort, leur ressenti. Le réel de la mort était alors rabattu du côté des spécialistes, alors qu’il s’agit face à ces adolescents d’accueillir le nouveau, tout le temps, comme quelque chose qui n’a pas de fin. De la question de la mort, de la sexualité, on est face à un reste qui ne se transforme jamais, un trou qu’aucun objet ne viendra combler. L’expérience analytique vient nous faire accepter ce décalage.

C’est à l’adolescence que l’on devient étranger à soi-même, face au trou. Temps de la structure où on a à faire quelque chose face à ce qui pousse en soi, la poussée de la pulsion.
Référence à un auteur japonais : KENZABURO OE « Adieu mon livre »
Ces adolescents prennent en charge l’horreur avec les mots en créant des slam. Comme s’ils étaient pris dans la lalangue, ils sont dans la jouissance de l’insulte dans un premier temps, puis jouissent de la mise en maux de la langue et font des textes. Ils découvrent que la langue crée un autre monde que le monde des choses.
Ce texte administratif que les élèves doivent recopier, comme si on leur volait les mots, ils en ont fait autre chose, reprenant la responsabilité de leur côté.

· On évoque le Réseau Educatif Sans Frontière, qui se centre sur l’aide aux familles avec enfants. Il est constaté un durcissement des lois concernant les personnes étrangères. Le réseau décide une fois tous les 15 jours de se rendre visible Place Maginot pour sensibiliser l’opinion publique.
Prochaine date : le samedi 06 octobre à 15H00.

· Références de livres : Olivier ADAM « A l’abri de rien »
En lien avec l’adolescence : Haruki MURAKAMI « Kafka sur le rivage »,
Du côté de l’étranger : GAUDET « Eldorado ».

· Au front des classes, que se passe-t-il ?
Hélène nous donne des nouvelles d’une situation déjà évoquée sur internet : un prof a mis une gifle à un élève, appel téléphonique, scène où la mère gifle la prof, insultes, escalade. Nous y réfléchissons.
On voit ce que chaque élève en a fait.
Des questions émergent : comment éviter que ça fasse épidémie chez les élèves et les profs ? Peut-être ne pas trouver tout de suite une solution ?
Comment arrêter une folie qui devient une défense de corps ?
Alors qu’il n’y a pas de vérité de l’événement, accepter que les élèves puissent déposer quelque chose de leur fantasme, d’une pure construction ? ou plutôt accepter de dire qu’on ne sait pas ?
On peut décider de prendre position à partir de la parole de l’enfant, quelle réponse trouver à cette parole-là ? A chacun de trouver la sienne, plutôt que d’un « on » collectif ?
A partir d’un événement imprévisible, il n’y a pas de réponse, ni une manière d’y répondre. Essayer d’appliquer le sujet à la masse, dissocier ce qui s’agglutine, extraire du « on » un « je ».

Prochaine date : mardi 13/11/2007

mercredi 3 octobre 2007

Prochain numéro de Terre du Cien

Chers amis
La parution du numéro 22 est prévue pour le mois de novembre, avec un dossier sur « les pathologies du tout-dire » qui nourrissent les rumeurs, les impudeurs, les indiscrétions de notre époque, où la poursuite de la jouissance a supplanté celle de l'idée du bonheur. Des magistrats, éducateurs et psychologues y écrivent sur la manière dont on recueille la parole des enfants dans les procédures de justice, dont on l’accueille après-coup dans des institutions.On trouvera aussi, dans ce numéro, des travaux de participants aux laboratoires. L'indécence se loge dans des discours cadrés, impersonnels, nous dit l'un d'eux, enseignant (il parle d’une épreuve du bac constituée par de « projets personnels encadrés », PPE) qui sont au service de la ségrégation plutôt que de l'enseignement. Face à cette indécence, il y a ces moments de délicatesse que décrivent d ‘autres participants, et qui ont été pour tel enfant ou tel adolescent « un instant fragile où livrer une part de son être », comme le dit si bien Philippe Lacadée dans son intervention à PIPOL 3 : un jeu de langue s’égalant à un jeu de vie, une parole soutenant un dire.
Tous les travaux des laboratoires sur ces thèmes seront les bienvenus. N’hésitez pas à nous les communiquer en nous proposant des textes, d’ci le 20 octobre.
Bien à vous.
Michèle Rivoire
Responsable de la rédaction de Terre du Cien.

Journées d’études de l’Ecole de la Cause Freudienne

Paris le 6 et 7 octobre 2007 Notre sujet supposé savoir, ses incidences cliniques, ses enjeux politiques. Comment finissent les analyses.
Marie-Rosalie Di Giorgio
L’insoutenable poids de l’être “seule”
Madame N est une femme ayant dépassé la quarantaine, vivant avec sa mère depuis une vingtaine d’années. Je la reçois depuis 5 ans. Au début de nos rencontres, elle se présente elle-même comme “dépressive”. Ses propos sont marqués par une plainte généralisée et notamment sur ses angoisses. Elle a une activité professionnelle, même si les arrêts maladie sont fréquents. J’ai toujours soutenu l’importance pour elle du travail. Il est difficile de donner des éléments d’histoire familiale. Il n’y a pas d’histoire, mais des propos n’appelant aucune suite, par exemple “j’ai été couvée pendant mon enfance”, ou encore des faits disjoints, qui ne font pas lien, qui ne tissent pas une “historiette” à la mode du névrosé. Disons quand même que le père est décédé et avait été souvent hospitalisé en psychiatrie. Un des éléments déterminants s’avèrera être l’énoncé récurrent de la mère jeté à la figure de la patiente : “Tu es comme ton père”. Ce “comme” recouvre la plainte, le côté dépressif et anxieux, le fait d’être toujours malade. Je me souviens très bien de cet entretien – c’était au début – où j’interrogeais à nouveau Madame N sur son père, et où elle m’a répondu qu’elle préférait ne plus en parler parce que ça la faisait “se sentir pas bien”. A bon entendeur, salut ! A ceux qui croient au “faire parler”, cette patiente nous enseigne la prudence. L’énoncé maternel a des effets dans plusieurs domaines. Jusqu’à récemment, les hospitalisations en psychiatrie de ses amies plongeaient Madame N dans un état de détresse important. Elle était prête à se faire hospitaliser elle-même, ce qui lui avait même été proposé par le psychiatre. A chacun de ses épisodes, j’ai bataillé sec, si j’ose dire, dans un “dire que non” à ce qui l’aspirait sur cette pente, réalisant l’énoncé de la mère. Madame N décrit sa mère comme un personnage “autoritaire, n’en faisant qu’à sa tête”, disqualifiant sans cesse ce qu’elle fait. Ce qui revient de manière récurrente, c’est l’“agressivité” de sa mère à son égard. Il a fallu du temps pour que Madame N puisse énoncer qu’elle ne pouvait pas quitter sa mère. Bien entendu, cela s’est dit sous la forme d’un “ne pas la quitter” parce qu’elle “doit s’en occuper”. Ce qui a été toujours présent mais qui a pris progressivement une place différente, c’est la plainte d’être “seule”. “Seule” malgré ses amies, avec lesquelles Madame N pouvait faire preuve d’une écoute sans limites. La réciproque n’étant pas au rendez-vous, se déclinait sur le registre de l’exploitation : “On profite de moi”. Mais à côté de ce versant, il y en a un autre, celui d’être “laissée tomber” : “On me laisse seule comme un chien”. C’est ce versant-là qui a sans cesse à être traité. Il me semble que la façon de traiter le “seule” de Madame N est ce qui a constitué un tournant dans les entretiens. Après avoir essayé de le tempérer, nous l’avons accueilli comme tel. Cependant, avant cela, il a fallu opérer un déplacement. Il ne s’agissait pas d’accueillir le “seule comme un chien”. A côté de mes interventions vigoureuses contre tout ce qui la mettait en position d’objet déchet, ce qui pouvait l’amener à vouloir se “jeter par la fenêtre”, j’ai pris acte de son “seule” à s’occuper de sa mère. A partir de là, ce signifiant est venu organiser le monde de Madame N. C’est actuellement ce qui la représente auprès de l’Autre et ce qui ouvre à la dimension de ce que l’on peut faire à partir de ce point. Il s’agit de viser un certain savoir faire avec ce “seule” et c’est ce sur quoi les entretiens portent maintenant essentiellement. Ce que m’a enseigné Madame N, c’est qu’en dehors du point de certitude, il y a tout un pan où ce sujet nous a progressivement supposé en quelque sorte un savoir. Un savoir sur comment faire, là où elle pouvait dire qu’elle ne savait pas, ou comment comprendre ce que lui avait dit telle personne, c'est-à-dire qu’elle était alors en proie, soit à une énigme, soit à une interprétation figée, sur le versant persécutif. Un savoir donc essentiellement dans sa relation aux petits autres. Dans le premier cas, il m’est arrivé d’avoir à dire ce qu’il vaudrait mieux éviter, d’avoir à indiquer des pistes. Dans le deuxième cas, il s’agissait plutôt de proposer d’autres sens possibles, pour assouplir le sens qui la visait. Incontestablement, son rapport aux autres - et cela inclut la hiérarchie - s’est pacifié. C’est dans ce domaine où une subjectivation est nettement sensible. Je pourrais dire qu’elle n’a plus trop à “se servir” de son analyste à cet endroit. Quant au point de certitude, il était là mais d’une certaine façon, c’est dans les entretiens qu’il a pu être dégagé. C’est maintenant qu’on peut dire que ce que Madame N sait, c’est qu’elle est “seule”. En prendre acte a apporté un certain apaisement et un travail est engagé sur comment faire avec ça. Il n’en demeure pas moins que pour l’instant, il est nécessaire de continuer à traiter la jouissance en trop qui y est associée dans certaines circonstances précises. C’est d’une présence réelle dont il s’agit pour la position de l’analyste, d’autant que l’objet voix n’est pas absent dans ses appels téléphoniques plus ou moins fréquents. Peut-être une voix qui vient tempérer la férocité de la voix de l’Autre !Pour paraphraser Guy Briole dans son article dans le numéro spécial de La Lettre Mensuelle, c’est une certitude de savoir qui s’adresse à un sujet supposé savoir à quel point Madame N souffre, supposé accueillir sa “douleur d’exister”, si l’on admet le versant mélancolique de ce sujet.

Journées d’études de l’Ecole de la Cause Freudienne

Paris le 6 et 7 octobre 2007 Notre sujet supposé savoir, ses incidences cliniques, ses enjeux politiques. Comment finissent les analyses.* * * * * * *Débat préparatoire
Jean-Pierre Rouillon
Le savoir et l’autismeL’autiste objecte à la supposition de savoir. Nul savoir ne surgit pour permettre d’ordonner ses comportements, ses gestes, ses mots, ses phonèmes. Pour sortir de cette impasse, il n’y a qu’une voie : prendre acte du fait que l’autiste est un être soumis au signifiant et que c’est à partir de son rapport singulier au signifiant et au corps qu’un dialogue peut s’instaurer lui permettant de consentir à son appartenance à la communauté humaine. Si le sujet autiste est un sujet pris dans le signifiant, c’est un sujet qui se défend contre la jouissance. Ce qui peut par moment apparaître comme jouissance effrénée est tentative de défense contre la jouissance, et il y a lieu de distinguer le ravage qui laisse le sujet dans la déréliction, qui l’exclu de la position de sujet de ce dont il use pour se défendre contre la jouissance. C’est en effet, sur cette défense qu’il s’agit de prendre appui et non pas sur la défense qu’il faudrait. Ce qui implique de prendre appui sur ses gestes, ses paroles, c’est-à-dire sa pantomime pour reprendre l’expression de Jacques-Alain Miller. Nous devons partir de ce que le sujet nous présente non pas en le réduisant à des comportements, mais en le considérant comme un texte en lui restituant la part d’énigme qui permet de creuser un premier écart entre le sujet et son corps, entre celui qui se défend et son être de jouissance. Cette fonction du langage qui s’incarne pour le petit Robert, dans ce mot, Le Loup ! , signifiant tout seul vient se produire pour d’autres sujets dans un geste, dans un bruit, dans un son venant du corps. Il ne s’agit pas d’accuser réception de cet objet comme d’un cri qui pourrait faire appel, mais de prendre acte du fait qu’il s’agit d’un signifiant, c’est-à-dire de quelque chose qui au-delà de la distinction du sens et de la jouissance, est à lire. C’est ce début de lecture que peut instaurer le redoublement, le fait de reprendre avec tact ce que l’analyste vient de prélever dans la pantomime du sujet. La surprise provient alors du consentement ou non du sujet à l’écart que l’analyste vient d’introduire. Il le reprend mais en lui imprimant une différence, en creusant un écart avec ce qui vient de surgit comme texte. S’instaure alors un dialogue insensé témoignant d’une présence à l’autre qui introduit la vie au lieu même où l’inanimé semblait avoir pris définitivement ses quartiers. Ce dialogue fragile, qui se déroule dans l’instant sans se vouer à la durée, ce dialogue qui permet au sujet de respirer en prenant langue avec un autre est le signe qu’une rencontre a eu lieu et que des conséquences peuvent s’en déduire. Il y a lieu alors de prendre acte du savoir y faire du sujet avec la jouissance, savoir y faire qu’il peut justement construire dans ce dialogue avec celui qui a consenti à s’en faire le partenaire.