dimanche 16 décembre 2007

L’université : la fin des humanités ?

PAR ROLAND GORI, PROFESSEUR DE PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE À L’UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE.

Le débat sur la loi LRU
L’INSERM dépistera-t-il les vulnérabilités génétiques et les dysfonctionnements neuro- cognitifs des étudiants et des populations contestataires ? Après le repérage des bébés délinquants, des déprimés, des suicidaires, des addictifs et la traque des « dys » de toutes sortes (dysthymiques, dysérectiles, dyslexiques, dyscalculiques, dysorthographiques…), faudra-t-il envisager des études « scientifiques » sur les cerveaux qui pensent bien et ceux qui pensent mal ? Notre civilisation a atteint un tel regain d’intérêt pour la « biologisation » des souffrances psychiques et sociales que l’on pourrait le craindre. Au moins, cela pourrait avoir l’avantage d’exonérer le Pouvoir de sa responsabilité dans la contestation sociale qui, des banlieues aux universités en passant par les hôpitaux, montre une jeunesse « inflexible ». Il y a du désespoir autant que de l’espérance dans ces revendications qui tentent de faire entendre au Pouvoir cette « part obscure » (*) de l’éthique d’une société. Les révoltes et les contestations qui affleurent sur notre scène sociale proviennent de causes multiples et hétérogènes. Mais une chose est sûre : les symptômes qui affectent aujourd’hui le lien social témoignent d’un refus de cette civilisation néolibérale à laquelle invitent les réformes du Pouvoir. Dans cette civilisation où « il n’y a que le chiffre qui compte », le soin, l’éducation, la culture, la justice… s’accommodent mal de cette validation par le marché des valeurs sociales qui les avaient fondés. L’Université se révèle par tradition comme un lieu de débat et de réflexion autant qu’un dispositif de transmission sociale des savoirs et des techniques participant à la production économique. La présente réforme des universités brade de manière aussi expéditive que bureaucratique les formations et les recherches insuffisamment flexibles, pragmatiques et souples aptes à ajuster les « potentiels » humains aux exigences du « capitalisme financier ». Non seulement, ces formations universitaires de psychologie ou de sociologie se révèlent aux yeux du Pouvoir comme économiquement improductives, mais encore elles fournissent les bataillons de la contestation étudiante. Dès le début des années 1990, on a commencé à compter avec les unités de mesure du monde anglo-saxon afin de normaliser tout ce petit monde et lui donner cette civilisation néolibérale qui lui faisait défaut. Au pays du tout-quantifiable, que valent la pensée, la réflexion, le livre, le soin, l’écoute, la culture, le service rendu… ? Que vaut la question humaine dans le monde de ces formations universitaires en pièces détachées rebaptisées depuis « unités de valeur » ? Que vaut le sujet dans un monde où l’individu n’est plus que l’exemplaire d’une espèce quantifiée, économisée, diagnostiquée, repérée, suivie à la trace, corrigée, « potentialisée », évaluée…, par ce « romantisme des chiffres » dont parlait déjà Max Weber ? Au nom de l’Europe et de l’international, nos managers de l’éducation et du soin ont normalisé, homogénéisé, déstructuré et anéanti les paradigmes qui incarnaient cette pensée « improductive » et contestataire que révélait la condition tragique de l’existence. La psychanalyse, la sociologie politique et l’anthropologie ont ainsi leurs plans de « restructuration » à un point tel que nous nous trouvons devant certains paradoxes. Pour exemple : au moment même où le ministre de l’Enseignement supérieur laisse ses conseillers, au nom de l’expertise, détruire les formations et les recherches en psychologie clinique, les parlementaires confient à ces mêmes diplômes le soin de garantir l’accès au titre de psychothérapeute ! La seule cohérence logique de ce Pouvoir semble se déduire d’une idéologie : plus ça ressemble au monde anglo- saxon, meilleur cela est. Et dans cette économie du profit qui liquide les formations, les soins et la culture, c’est l’humain qui passe à la trappe. Mais comme « tout est chimique » et « comptable » dans le darwinisme social, où est le problème ?
(*) Voir Élisabeth Roudinesco.

dimanche 2 décembre 2007

Quand l’imagination est au pouvoir… du racisme et de la haine elle est sans limite !

Fraude à l’identité ! extraordinaire ça ! ce qui ferait l’identité d’un être humain c’est sa nationalité, et non ce qu’il est, les signifiants qui les représentent, comment il les fait vivre auprès des autres. L’identité ramenée à des traits et des documents, objectivables ! Une identité évaluable ! Vichy n’est pas loin….et les sombres pratiques des terribles heures de notre histoire non plus.
Ce qui fait la nationalité c’est d’être inscrit sur le registre de la nation. Chacun est donc peu à peu réduit à un ensemble de chiffres.
Agents référents, réseaux, plan… ça ne vous dit rien ? Partout nous baignons dans ces mots qui engluent toute vie

« Tout va pour le mieux dan le ire des mondes possibles » comme dit Philippe Sollers
Bien amicalement

Philippe Cousty

En passant par l’annuaire des laboratoires du Cien

Passage d’une éducatrice spécialisée.
Traversée d’un Centre d’Accueil et d’Orientation en rupture d’hébergement à un Village d’Enfants SOS.
Arrivée dans le monde de la Protection de l’Enfance.
Enfants qui ont été placés parce que les parents ne pouvaient pas ou plus, ne savaient pas ou plus s’en occuper, les éduquer, les élever.
Les élever ?
Ils sont accueillis par des mères SOS, nouvellement nommées éducatrices familiales.
Ils vivent dans une maison, avec leurs frères et leurs soeurs, et/ou avec d’autres enfants, qu’ils ne connaissent pas.
Au quotidien, ils sont, souvent, sous les injonctions éducatives de l’éducation nationale et de l’éducatrice familiale.
Ils peuvent aussi être sous celles de l’éducatrice spécialisée.
Quelle est donc ma spécialité ?
En quoi suis-je donc sensée être spécialisée ?
N’ayant trouvé de réponse qui me convienne du côté de l’école des éducateurs spécialisés, j’ai choisi laquelle elle serait, laquelle elle pourrait être, laquelle j’aimerais qu’elle soit.
Ma spécialité est du côté de l’invention, de la création et de l’élévation.
Ma spécialité est dans le désir, dans la motivation, dans le plaisir, dans la transmission et dans … l’éducation. Ca, je sais que je suis sensée ne pas l’oublier.
Elle est dans les questions aussi, dans la réflexion.

C’est surprenant, où que j’ aille, où que je travaille de constater à quel point les rapports de force institutionnels sont fréquents et les possibilités d’actions en faveur de celles et ceux qui en ont besoin, sont réduites, restreintes.
C’est déroutant d’observer, d’entendre un peu partout ces discours de professionnels qui savent tout, qui ont une solution, un protocole à chaque problème … pour le bien de celles et ceux qui sont dans le besoin.

Mon travail, à présent, est orienté vers la protection de l’enfance et je découvre assez souvent des bons sujets maltraités et des mauvais sujets maltraitants.
La singularité n’a pas de place.
L’enfant est étiqueté : « il est mauvais », « il fait cela pour me faire du mal », « il n’est pas à sa place d’élève », « il ne se comporte pas comme un élève », « il n’écoute rien de ce que je lui dis », « je ne peux pas faire autrement que de la punir », « j’ai beau lui répéter, elle ne comprend rien, on dirait qu’elle le fait exprès » « je ne le supporte plus … » et tout un annuaire …

Les parents n’ont pas su éduquer correctement ; les éducateurs, les éducatrices familiales, les enseignants, parfois, ne savent pas mieux y faire que ces parents.
Ces parents qui, comme je l’entends souvent, « n’ont pas su poser de limites », « n’ont pas su se faire respecter », « n’ont pas su faire preuve d’assez d’autorité » …
Et ces éducateurs, ces enseignants qui imposent leur autorité à coup de discipline et de règlement, de cris et de « t’as pas intérêt à faire autrement », ou de « quand je te dis de venir, tu viens et tu discutes pas, tu fais c’que je te dis » …
C’est quoi l’autorité ?
Je vois la peur, la crainte dans les yeux de certains enfants.
Je vois des horreurs passés se réveiller .
Où sont les regards, la présence et la responsabilité des paroles que l’on adresse à l’enfant ?
Qu’est ce qui fait autorité pour un sujet, pour un enfant ?
Que leur fait on vivre ou revivre, nous les professionnels de la Protection de l’Enfance ?
Leurs parents étaient mauvais … que pensent ils de ces remplaçants ?
Quel est le sens de leur placement ?
Est-ce, sous couvert de La Protection de l’Enfance, une autre forme de maltraitance ?
Ou est-ce, avec d’autres, aider l’enfant à se faire une (autre ) place, sa place ?
Une place qu’on l’aiderait à (se) chercher ?
Un enfant qu’on soutiendrait, y compris dans ses façons de ne pas savoir y faire, de ne pas savoir quoi faire avec ce qu’on ne lui a pas appris à faire.
Un enfant qu’on soutiendrait aussi dans ses tentatives qui se transforment parfois en passages à l’acte.
Quand une éducatrice familiale ne supporte plus un enfant, qu’elle le nomme « délinquant », « psychopathe », l’institution soutient son passage à l’acte. Celui de pousser l’enfant … passer à l’acte. Le dernier acte d’une mise en scène dans lequel l’éducatrice familiale, l’actrice a sorti le grand jeu.
Dans le scénario, il manquait le pourquoi du passage à l’acte … de l’enfant.

Finalement, comment intervenir pour poser des actes qui prêtent à d’autres conséquences ?
Je réfléchis à « l’insu –portable ».
Dans un monde où tout bouge, tout speed, tout est devenu portable, portatif, que devient l’ insu-portable ,

Et si ça devenait une spécialité ?
Une spécialité pour accueillir la souffrance d’un enfant,
Une spécialité qui serait un détour pour prendre en compte les signaux qu’un enfant nous envoie
Une spécialité pour un accueil aménagé,
Une spécialité qui inviterait la singularité.

Le 25/11/07. Estelle GEHLE

samedi 1 décembre 2007

Compte rendu du CIEN, rencontre du 13.11.07

Présentation de l'annuaire des laboratoires du CIEN. Présentation de la pratique du CIEN pour les nouveaux arrivants.
Proposition de mettre au travail le texte les complexes familiaux de J. Lacan
Sébastien, se propose de nous parler d'une situation difficile rencontrée dans le cadre de son travail en tant qu'assistant d'éducation.
Un adolescent, interne dans le lycée, vient dire qu'il compte fumer le narghilé ce soir. Sébastien prend cette parole du côté du jeu, du rire. Le lendemain matin, le jeune et un ami sont retrouvés par Sébastien dans leurs chambres, endormis avec le matériel. Il a alors demandé aux adolescents de prendre leurs responsabilités. Sébastien n'a pas pu reprendre et en reparler avec eux.
Sébastien dit qu'il culpabilise de ne pas avoir été clair dans l'interdit posé et se demande s’il doit en parler au CPE avec le risque d'une sanction administrative pour le lycéen, la logique du directeur étant de se préserver des problèmes. Dire c’est prendre la responsabilité de ce qu’il va déclancher.
Sébastien prend la décision d'en faire part à l'administration et, comme imaginé, c'est la sanction qui a pris le pas sur la parole. Aucun travail de réflexion éducative n'a été proposé. L'adolescent a été exclu une semaine de l'internat.

Sébastien précise que cet adolescent se trouve dans une classe de garçons où deux groupes s’affrontent, un groupe de racistes et l’autre pas. Il y a eu une bagarre et cet adolescent a passé la nuit avant l’incident au poste de police. Le commissaire est venu le chercher pendant la classe.
De plus, la mère de cet adolescent habite dans un quartier difficile de Toul et elle a choisi de le mettre à l'internat.
Questions et remarques soulevées par le groupe :
Qu'est ce que l'autorité ? Comment dire l’autorité, on peut rire et rappeler la loi. Comment poser une limite quand pour soi ce n’est pas important ? Comment dire non quand je ne crois pas au non que j’énonce ? Est-ce que l'interdit va arrêter la pulsion ? Question de l’ennui et de l’angoisse.
Cet adolescent n'avait pas seulement envie de fumer mais envie que cela se sache. Peut être cherche-il des attributs de virilité ; ou bien il convoque un Autre.
Ce n’est peut-être pas fumer mais parler, que la bouche soit autrement au travail.
Le reproche que Sébastien se fait c'est d'avoir manqué à répondre à la question du jeune « qu'est-ce que tu feras si je te dis ce que je vais faire », « dans quel camp tu es ». Ne pas avoir dit au bon moment quelque chose qui aurait pu faire déplacer ce jeune revient pour Sébastien dans l’après-coup, il peut toutefois rectifier.
Peut être que ce jeune voulait être chez lui et que l'internat est le désir de sa mère.

Comment répondre d’une façon singulière ? « Et si on parlait d’autre chose ».

Ce garçon cherche quelque chose, quelle est la demande, il s’agit peut-être d’essayer d’ouvrir une perspective, permettre que ce jeune soit divisé parce que là, c’est lui qui divise Sébastien.

Il y a à séparer deux éléments, l’acte de transgression qui appelle ou non une sanction, c’est l’acte qui est jugé et il y a l’affrontement entre bandes. Il semble important de dissocier les deux choses pour s’adresser à ce jeune.

Discussion autour du thème de l’année, l’étrange, l’étranger, l’étrangeté
Marie-Odile évoque une citation « toute formation humaine doit réfréner la jouissance » et pose la question suivante : est-ce qu’aujourd’hui dans certaines formations humaines on ne déchaîne pas la jouissance ?
La formation humaine invite à un savoir y faire avec le trou, le vide, à un moment ou ça remplit partout.

Françoise propose une citation de Blanchot « parler à quelqu'un et le reconnaître inconnu est l’accueillir étranger sans l’obliger à rompre sa différence »
Il y a de l’irreprésentable et c’est cela qui fait différence, la figure de l ‘étranger vient boucher ce trou.
L’inconnu n’est pas adaptable c’est à accueillir.

Comment faire pour que l’étranger de chacun ne se résolve pas dans un combat contre ? Comment être responsable de cette part d’inquiétante étrangeté ? Comment ne pas le projeter sur l’autre ?
Trouver des inventions qui permettent que l’insymbolisable, que l’angoisse qui en résultent ne se transforment pas en combat contre d’autres humains.
On ne peut s’extraire du point de rivalité, on ne peut la faire disparaître puisque cela nous structure.

Proposition de travailler les quatre points dans Electro-CIEN (N°52).