mercredi 3 octobre 2007

Journées d’études de l’Ecole de la Cause Freudienne

Paris le 6 et 7 octobre 2007 Notre sujet supposé savoir, ses incidences cliniques, ses enjeux politiques. Comment finissent les analyses.
Marie-Rosalie Di Giorgio
L’insoutenable poids de l’être “seule”
Madame N est une femme ayant dépassé la quarantaine, vivant avec sa mère depuis une vingtaine d’années. Je la reçois depuis 5 ans. Au début de nos rencontres, elle se présente elle-même comme “dépressive”. Ses propos sont marqués par une plainte généralisée et notamment sur ses angoisses. Elle a une activité professionnelle, même si les arrêts maladie sont fréquents. J’ai toujours soutenu l’importance pour elle du travail. Il est difficile de donner des éléments d’histoire familiale. Il n’y a pas d’histoire, mais des propos n’appelant aucune suite, par exemple “j’ai été couvée pendant mon enfance”, ou encore des faits disjoints, qui ne font pas lien, qui ne tissent pas une “historiette” à la mode du névrosé. Disons quand même que le père est décédé et avait été souvent hospitalisé en psychiatrie. Un des éléments déterminants s’avèrera être l’énoncé récurrent de la mère jeté à la figure de la patiente : “Tu es comme ton père”. Ce “comme” recouvre la plainte, le côté dépressif et anxieux, le fait d’être toujours malade. Je me souviens très bien de cet entretien – c’était au début – où j’interrogeais à nouveau Madame N sur son père, et où elle m’a répondu qu’elle préférait ne plus en parler parce que ça la faisait “se sentir pas bien”. A bon entendeur, salut ! A ceux qui croient au “faire parler”, cette patiente nous enseigne la prudence. L’énoncé maternel a des effets dans plusieurs domaines. Jusqu’à récemment, les hospitalisations en psychiatrie de ses amies plongeaient Madame N dans un état de détresse important. Elle était prête à se faire hospitaliser elle-même, ce qui lui avait même été proposé par le psychiatre. A chacun de ses épisodes, j’ai bataillé sec, si j’ose dire, dans un “dire que non” à ce qui l’aspirait sur cette pente, réalisant l’énoncé de la mère. Madame N décrit sa mère comme un personnage “autoritaire, n’en faisant qu’à sa tête”, disqualifiant sans cesse ce qu’elle fait. Ce qui revient de manière récurrente, c’est l’“agressivité” de sa mère à son égard. Il a fallu du temps pour que Madame N puisse énoncer qu’elle ne pouvait pas quitter sa mère. Bien entendu, cela s’est dit sous la forme d’un “ne pas la quitter” parce qu’elle “doit s’en occuper”. Ce qui a été toujours présent mais qui a pris progressivement une place différente, c’est la plainte d’être “seule”. “Seule” malgré ses amies, avec lesquelles Madame N pouvait faire preuve d’une écoute sans limites. La réciproque n’étant pas au rendez-vous, se déclinait sur le registre de l’exploitation : “On profite de moi”. Mais à côté de ce versant, il y en a un autre, celui d’être “laissée tomber” : “On me laisse seule comme un chien”. C’est ce versant-là qui a sans cesse à être traité. Il me semble que la façon de traiter le “seule” de Madame N est ce qui a constitué un tournant dans les entretiens. Après avoir essayé de le tempérer, nous l’avons accueilli comme tel. Cependant, avant cela, il a fallu opérer un déplacement. Il ne s’agissait pas d’accueillir le “seule comme un chien”. A côté de mes interventions vigoureuses contre tout ce qui la mettait en position d’objet déchet, ce qui pouvait l’amener à vouloir se “jeter par la fenêtre”, j’ai pris acte de son “seule” à s’occuper de sa mère. A partir de là, ce signifiant est venu organiser le monde de Madame N. C’est actuellement ce qui la représente auprès de l’Autre et ce qui ouvre à la dimension de ce que l’on peut faire à partir de ce point. Il s’agit de viser un certain savoir faire avec ce “seule” et c’est ce sur quoi les entretiens portent maintenant essentiellement. Ce que m’a enseigné Madame N, c’est qu’en dehors du point de certitude, il y a tout un pan où ce sujet nous a progressivement supposé en quelque sorte un savoir. Un savoir sur comment faire, là où elle pouvait dire qu’elle ne savait pas, ou comment comprendre ce que lui avait dit telle personne, c'est-à-dire qu’elle était alors en proie, soit à une énigme, soit à une interprétation figée, sur le versant persécutif. Un savoir donc essentiellement dans sa relation aux petits autres. Dans le premier cas, il m’est arrivé d’avoir à dire ce qu’il vaudrait mieux éviter, d’avoir à indiquer des pistes. Dans le deuxième cas, il s’agissait plutôt de proposer d’autres sens possibles, pour assouplir le sens qui la visait. Incontestablement, son rapport aux autres - et cela inclut la hiérarchie - s’est pacifié. C’est dans ce domaine où une subjectivation est nettement sensible. Je pourrais dire qu’elle n’a plus trop à “se servir” de son analyste à cet endroit. Quant au point de certitude, il était là mais d’une certaine façon, c’est dans les entretiens qu’il a pu être dégagé. C’est maintenant qu’on peut dire que ce que Madame N sait, c’est qu’elle est “seule”. En prendre acte a apporté un certain apaisement et un travail est engagé sur comment faire avec ça. Il n’en demeure pas moins que pour l’instant, il est nécessaire de continuer à traiter la jouissance en trop qui y est associée dans certaines circonstances précises. C’est d’une présence réelle dont il s’agit pour la position de l’analyste, d’autant que l’objet voix n’est pas absent dans ses appels téléphoniques plus ou moins fréquents. Peut-être une voix qui vient tempérer la férocité de la voix de l’Autre !Pour paraphraser Guy Briole dans son article dans le numéro spécial de La Lettre Mensuelle, c’est une certitude de savoir qui s’adresse à un sujet supposé savoir à quel point Madame N souffre, supposé accueillir sa “douleur d’exister”, si l’on admet le versant mélancolique de ce sujet.

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