mercredi 7 novembre 2007

La chancellerie projette de supprimer les non-lieux pour troubles psychiques

LE MONDE 07.11.07 12h34

La justice ne pourra plus prononcer de non-lieu pour les malades mentaux criminels. Au nom des victimes, Nicolas Sarkozy avait demandé à la garde des sceaux, Rachida Dati, de faire en sorte qu'il devienne possible de les faire comparaître. La commande est exécutée. Un avant-projet de loi, dont Le Monde a eu connaissance, prévoit une nouvelle procédure aboutissant à des "décisions de culpabilité civile".

Deux faits divers ont motivé la volonté présidentielle : l'affaire Romain Dupuy, un schizophrène qui a tué une infirmière et une aide-soignante en 2004, dont le non-lieu est contesté mercredi 7 novembre devant la cour d'appel de Pau. M. Sarkozy avait reçu les familles des victimes, après que le jeune homme avait été déclaré irresponsable en août. Le même mois, il était conforté dans son idée, après le viol d'Enis, 5 ans, à Bordeaux, par un malade en permission de l'hôpital psychiatrique.
Le texte, à l'examen du Conseil d'Etat, n'est pas définitif. Il prévoit que le juge d'instruction ne pourra plus prononcer de non-lieu sur la base de l'article 122-1 du code pénal. Celui-ci exonère les auteurs de crime ou de délit de toute responsabilité pénale si un trouble psychique a aboli leur discernement quand ils ont commis leur acte. Le juge délivrera une "ordonnance d'irresponsabilité pénale pour trouble mental".
C'est la chambre de l'instruction qui décidera de renvoyer ou non l'auteur atteint de troubles psychiques devant des juges. Si le parquet ou les victimes le demandent, une audience publique se tiendra. Après l'interrogatoire du mis en examen, la déposition des experts et celle des témoins, la chambre de l'instruction pourra renvoyer l'auteur des faits devant un tribunal ou une cour d'assises, ou déclarer son irresponsabilité en raison de l'abolition de son discernement. Le "non-lieu", là encore, disparaîtra. Il sera rendu "un arrêt de constatation de culpabilité civile de la personne", notion qui laisse très sceptiques les juristes.
Les juges de la cour d'appel déclareront "que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés". Ils prononceront son irresponsabilité pénale. Mais ils pourront déclarer sa responsabilité civile, en statuant sur les demandes de dommages et intérêts. Enfin, la chambre de l'instruction pourra ordonner des mesures de sûreté, telles que l'interdiction de paraître dans certains lieux ou celle d'exercer une profession sans examen psychiatrique préalable. La décision lèvera la détention provisoire et le préfet pourra prononcer une hospitalisation d'office.
"DÉSIGNER OFFCIELLEMENT L'AUTEUR DES FAITS"
Deux autres dispositions prévoient que les cours d'assises et les tribunaux correctionnels pourront, eux aussi, déclarer la "culpabilité civile" et statuer directement sur les dommages.
La cour d'assises peut déjà se prononcer sur deux questions : "l'accusé a-t-il commis les faits reprochés?" et "l'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité prévue par la loi?" Mais les investigations s'arrêtent la plupart du temps dans le bureau du juge d'instruction. Les victimes se voient alors privées d'explications. Le juge n'a pour seule obligation que de leur adresser un courrier recommandé notifiant les résultats de l'expertise qui conclut à l'irresponsabilité.
Pour l'Association des parents d'enfants victimes (Apev), qui participe depuis plusieurs années aux réflexions ministérielles, l'ordonnance de non-lieu, ainsi rendue, était à proscrire. Son président, Alain Boulay, a réclamé qu'il soit possible de "désigner officiellement l'auteur des faits après un débat public".
"Il ne s'agit pas de juger les fous", affirme le porte-parole de la chancellerie, Guillaume Didier. Le faire serait contraire à la tradition juridique démocratique : une infraction n'est poursuivable devant la justice que si l'intention de la commettre est établie. Pour la chancellerie, il s'agit de "faire en sorte qu'existe une véritable audience pour évoquer les faits".
Le texte ministériel va cependant plus loin que le premier projet élaboré en 2003 à la demande du garde des sceaux Dominique Perben. Les experts désignés alors avaient proposé de créer une juridiction spéciale, qui devait statuer non sur une culpabilité mais sur "l'imputabilité" des faits à l'auteur malade mental. Cette esquisse avait été très critiquée parmi les magistrats et les médecins psychiatres.
"Les responsables politiques disent que, sans procès, les victimes ne font pas leur deuil, et qu'il leur faut un espace judiciaire pour leur permettre d'exprimer leur traumatisme, explique Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche). Mais la question de la réparation personnelle ne peut être réglée par la mise en scène de la justice." "La demande des victimes n'est pas une demande de thérapie, ni une demande de cérémonie rituelle pour justifier les décisions précises", avait tempéré l'Apev.
Les médecins, eux, dénoncent le fait que la pénalisation de la folie est déjà inscrite dans la réalité. Le nombre d'ordonnances de non-lieu prononcées par les juges d'instruction pour irresponsabilité est en chute libre : près de 450 en 1987, moins de 200 dix ans plus tard. La conséquence est que les prisons abritent 21 % de détenus psychotiques.
Nathalie Guibert

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