dimanche 2 décembre 2007

En passant par l’annuaire des laboratoires du Cien

Passage d’une éducatrice spécialisée.
Traversée d’un Centre d’Accueil et d’Orientation en rupture d’hébergement à un Village d’Enfants SOS.
Arrivée dans le monde de la Protection de l’Enfance.
Enfants qui ont été placés parce que les parents ne pouvaient pas ou plus, ne savaient pas ou plus s’en occuper, les éduquer, les élever.
Les élever ?
Ils sont accueillis par des mères SOS, nouvellement nommées éducatrices familiales.
Ils vivent dans une maison, avec leurs frères et leurs soeurs, et/ou avec d’autres enfants, qu’ils ne connaissent pas.
Au quotidien, ils sont, souvent, sous les injonctions éducatives de l’éducation nationale et de l’éducatrice familiale.
Ils peuvent aussi être sous celles de l’éducatrice spécialisée.
Quelle est donc ma spécialité ?
En quoi suis-je donc sensée être spécialisée ?
N’ayant trouvé de réponse qui me convienne du côté de l’école des éducateurs spécialisés, j’ai choisi laquelle elle serait, laquelle elle pourrait être, laquelle j’aimerais qu’elle soit.
Ma spécialité est du côté de l’invention, de la création et de l’élévation.
Ma spécialité est dans le désir, dans la motivation, dans le plaisir, dans la transmission et dans … l’éducation. Ca, je sais que je suis sensée ne pas l’oublier.
Elle est dans les questions aussi, dans la réflexion.

C’est surprenant, où que j’ aille, où que je travaille de constater à quel point les rapports de force institutionnels sont fréquents et les possibilités d’actions en faveur de celles et ceux qui en ont besoin, sont réduites, restreintes.
C’est déroutant d’observer, d’entendre un peu partout ces discours de professionnels qui savent tout, qui ont une solution, un protocole à chaque problème … pour le bien de celles et ceux qui sont dans le besoin.

Mon travail, à présent, est orienté vers la protection de l’enfance et je découvre assez souvent des bons sujets maltraités et des mauvais sujets maltraitants.
La singularité n’a pas de place.
L’enfant est étiqueté : « il est mauvais », « il fait cela pour me faire du mal », « il n’est pas à sa place d’élève », « il ne se comporte pas comme un élève », « il n’écoute rien de ce que je lui dis », « je ne peux pas faire autrement que de la punir », « j’ai beau lui répéter, elle ne comprend rien, on dirait qu’elle le fait exprès » « je ne le supporte plus … » et tout un annuaire …

Les parents n’ont pas su éduquer correctement ; les éducateurs, les éducatrices familiales, les enseignants, parfois, ne savent pas mieux y faire que ces parents.
Ces parents qui, comme je l’entends souvent, « n’ont pas su poser de limites », « n’ont pas su se faire respecter », « n’ont pas su faire preuve d’assez d’autorité » …
Et ces éducateurs, ces enseignants qui imposent leur autorité à coup de discipline et de règlement, de cris et de « t’as pas intérêt à faire autrement », ou de « quand je te dis de venir, tu viens et tu discutes pas, tu fais c’que je te dis » …
C’est quoi l’autorité ?
Je vois la peur, la crainte dans les yeux de certains enfants.
Je vois des horreurs passés se réveiller .
Où sont les regards, la présence et la responsabilité des paroles que l’on adresse à l’enfant ?
Qu’est ce qui fait autorité pour un sujet, pour un enfant ?
Que leur fait on vivre ou revivre, nous les professionnels de la Protection de l’Enfance ?
Leurs parents étaient mauvais … que pensent ils de ces remplaçants ?
Quel est le sens de leur placement ?
Est-ce, sous couvert de La Protection de l’Enfance, une autre forme de maltraitance ?
Ou est-ce, avec d’autres, aider l’enfant à se faire une (autre ) place, sa place ?
Une place qu’on l’aiderait à (se) chercher ?
Un enfant qu’on soutiendrait, y compris dans ses façons de ne pas savoir y faire, de ne pas savoir quoi faire avec ce qu’on ne lui a pas appris à faire.
Un enfant qu’on soutiendrait aussi dans ses tentatives qui se transforment parfois en passages à l’acte.
Quand une éducatrice familiale ne supporte plus un enfant, qu’elle le nomme « délinquant », « psychopathe », l’institution soutient son passage à l’acte. Celui de pousser l’enfant … passer à l’acte. Le dernier acte d’une mise en scène dans lequel l’éducatrice familiale, l’actrice a sorti le grand jeu.
Dans le scénario, il manquait le pourquoi du passage à l’acte … de l’enfant.

Finalement, comment intervenir pour poser des actes qui prêtent à d’autres conséquences ?
Je réfléchis à « l’insu –portable ».
Dans un monde où tout bouge, tout speed, tout est devenu portable, portatif, que devient l’ insu-portable ,

Et si ça devenait une spécialité ?
Une spécialité pour accueillir la souffrance d’un enfant,
Une spécialité qui serait un détour pour prendre en compte les signaux qu’un enfant nous envoie
Une spécialité pour un accueil aménagé,
Une spécialité qui inviterait la singularité.

Le 25/11/07. Estelle GEHLE

Aucun commentaire: