lundi 25 février 2008

Merci Madame Laure Véziant

On nous parle de quota d’immigrés expulsés ou à expulser, vous, par votre écriture donnez existence à Gevorg, fils de Karin et Armen, arrivé en CP avec vous et 22 autres enfants.
Vous lui donnez existence par ce qui reste de lui : ses yeux, son sourire, son bâton de colle et sa chaise vide aujourd’hui au moment de l’appel et dans le quotidien de la classe, et ces 22 enfants qui font avec le trou de son absence.

C’est dans une page d’écriture que vous vous adressez à nous et c’est votre façon d’inscrire avec nous, Gevorg et votre métier, pris dans les injonctions contemporaines.
Votre acte m’évoque une phrase de Michaux « la première concession c’est de respirer le reste suit », reprise par Pierre Legendre dans « les enfants du texte » qui ajoute : en tout temps il y a l’étouffoir et la difficulté d’accepter d’être libre, ici la liberté s’entend comme ce qui autorise à se mettre à distance des représentations du Pouvoir. Tenir sa place, une place marquée.

Plus loin il nomme l’enjeu de votre travail au quotidien : « à l’enfant au travail d’alphabétisation qui écrit un mot au tableau, le maître fait entendre ce qu’est la trace, le signe, la marque : est-ce que tu as écrit ta voix ? L’enfant saisit que ce qui se détache, la trace écrite, la marque….lui ouvre le monde de l’écart et l’engage comme sujet dans l’univers symbolique »
Et encore… « la scène d’apprentissage de l’écriture où l’enfant apprend à se séparer de sa parole par la trace inscrite lui enseigne aussi que cette séparation comporte un effet en retour, l’inscription, limite de soi, symbole d’un ordre de la limite…sur quoi fonder une communication , enrichie d’un travail indéfini de sens, avec le monde ».

A ceux dont vous connaissez le visage, les yeux, le sourire, des morceaux de leur histoire vous apprenez à écrire et lire. Venus sans papiers réglementaires et expulsés pour cela ils partent avec ce reste de votre travail.

Il importe chaque fois que possible que chaque expulsé soit nommé par son nom, c’est l’extraire de l’anonymat du quota, opération qui dévisage. Vous rendez visible les trous dans la trame du vivre ensemble et vous nous nous convoquer témoins : « à ne pas faire comme si de rien n’était, comme si le rien, le manque, le trou ou l’horreur qui est un autre nom de ce vide-, comme si, donc, tout cela n’était pas, n’avait pas eu lieu » (Gérard Wajcman l’objet du siècle).

Marie-Odile Caurel

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