lundi 7 avril 2008

Compte rendu de séance du CIEN - premier avril 2008

La séance se déroule en deux temps :
- Présentation des situations qui posent problème à certains d’entre nous
- Travail autour du chapitre 8 « les agressifs » de l’ouvrage d’A. Aichhorn « Jeunesse à l’abandon »

Premier temps : un cas d’école ou comment la sexualité infantile vient comme point d’inquiétante étrangeté pour les adultes

Vincent évoque la situation suivante :
Après avoir accompagné ses élèves en classe de neige, Vincent est sollicité par le père d’un garçon. Il relate un évènement qui s’est produit pendant la classe de neige et concerne son fils âgé de 9 ans. Celui-ci a été témoin, dans la chambre qu’il partageait avec ses camarades, d’un acte sexuel : une fellation, pratiquée par un garçon sur deux autres. Le père dit que son fils n’a pas pris la mesure de ce qu’il a vu, sexuellement parlant, et lui a rapporté la scène comme quelque chose de « pas très propre » Il n’y a pas eu de violence, ça se présentait comme un jeu, ajoute-t-il. Le père ne se plaint de rien et considère l’affaire réglée pour son fils, mais semble s’inquiéter pour l’enfant qui a eu l’initiative de cet acte, avec l’idée sous jacente, qu’il aurait été victime d’un pédophile. Ce qui frappe Vincent, c’est la phrase amenée par le père « les enfants qui ont subi ça » Françoise Labridy ajoute qu’il est dans l’air du temps de se poser la question : « l’enfant qui pratique cet acte, n’est-il pas en danger ? »
Le père a conscience de déposer chez l’instituteur une question embarrassante. Vincent avait auparavant remarqué quelque chose de particulier chez le garçon qui a pratiqué la fellation, sa santé fragile, ses absences et son caractère efféminé. Il ajoute que son regard sur cet élève et sur sa classe est différent désormais. Des questions se posent à lui :
Faut-il en référer au psychologue scolaire comme le suggère le père ? faut–il en référer à la directrice de l’école qui semble avoir cet enfant dans le collimateur et être à l’affût du moindre « écart de comportement » pour le sanctionner.
D’une façon plus générale :
Faut-il en référer à l’autorité ? et « déclencher la grosse artillerie de la déclaration à l’institution » avec toutes les conséquences que l’on sait.
y-a-t-il quelque chose à faire ? à dire ? Enfin, peut-on ne rien dire ?

Stéphane : Est-ce que ça n’est pas le moment opportun pour parler de la sexualité avec les enfants de la classe ? comment font-ils avec leur corps, avec leur âge ? Difficile de ne rien faire. Si ce père dépose cette parole, il est difficile, de faire comme s’il n’était pas venu, de laissez ça comme ça. La question à se poser n’est d’ailleurs pas « l’enfant a-t-il subi ou pas »
Françoise Cassi interroge la position de Stéphane sur l’idée de parler de ces questions intimes en classe. Elle craint que cela crée de l’embarras et produise des effets de malaise chez les élèves. Elle propose plutôt de traiter la question au cas par cas.
Vincent acquiesce car la classe n’est pas homogène (4, 5 se sont distingués) Tous n’ont pas la même maturité. La sexualité est du domaine du particulier.
Patrice Fabrizi : L’oreille avertie de l’instituteur est une manière d’intervenir. Il ne voit plus sa classe et ne l’appréhende plus de la même manière. L’instituteur est dans une position analytique. Quelque chose est à venir et peut surprendre. Il faut se garder d’interpréter dans l’immédiateté.
« L’affaire est passée, l’instituteur est assis dessus et il reste à écouter »

De plus la classe de neige n’est pas l’école, c’est un lieu particulier.
Françoise Labridy : Comment la sexualité se présente t-elle pour les enfants de cet age là, sur quel support ? La répétition des images a des effets de suggestion et de répétition. La pulsion scopique soutient certaines recherches. Il y a dans la recherche du plaisir, un frayage suscité par la vue. Est-ce que ça circule plus facilement du fait que ça se passe en collectivité ?
Chacun livre ensuite des anecdotes, concernant l’irruption de la sexualité des enfants en présence de l’adulte.
Fabrice : une institutrice remarque qu’une petite fille de 4 ans et demi se masturbe sur le bord de la chaise. Elle sollicite le psychologue scolaire, afin qu’il intervienne au sujet de ce qu’elle nomme « la chose »
Un autre psychologue scolaire sollicite Vincent au sujet de la masturbation d’un élève. Il n’arrive pas à nommer l’acte en question et craint que l’enfant ait été victime d’un abus sexuel. Qu’est ce qui est inquiétant ? La masturbation ? ou le fait que l’institutrice, le psychologue ne puissent pas le nommer autrement que par « la chose » ? se demande Vincent.
La masturbation fait partie des découvertes de ces âges là.
Les adultes sont mal en point pour parler de cela aux enfants car ils ont oublié leur sexualité, leurs propres découvertes infantiles.
Françoise Labridy rapporte une anecdote :
Une auteur « jeunesse » se présente dans une classe de CM2 pour la présentation de son livre. La classe est turbulente. Elle n’arrive pas à parler. Devant elle, deux filles plus âgées s’échangent un billet. Elle intercepte ce billet et le met dans sa poche. Cet acte produit le silence. Elle poursuit sa lecture. Au sortir de la classe la petite fille suit l’auteur dans les escaliers et lui demande « avez-vous des enfants ? est-ce que vous aimez le vent ? » Le lendemain, elle retrouve le billet dans sa poche et le lit. Il est écrit ceci : « Elle n’a rien sous son corsage. As-tu vu ? – oui – non - ? l’autre fillette a répondu : « j’ai vu et j’ai pas vu » Françoise conseille à l’auteur d’envoyer son livre qui s’intitule « coup de foudre » à chacune d’entre elles…
La sexualité vient souvent là où on ne l’attend pas…
Anne raconte un souvenir d’enfance. Près de chez elle, un personnage « un peu facteur cheval sur les bords » créait des automates animés par le vent. Des personnages se mettaient en mouvement, puis s’embrassaient, encadrés par un rideau … à la fois on voyait et on ne voyait pas. Elle se souvient de l’inertie et de la mécanique de ces objets ainsi que du plaisir qu’elle trouvait dans ces représentations érotisées.
Yasmine : ces moments de sexualité observés par les instit. prennent des formes multiples. La gêne de l’adulte est nécessaire. Elle contribue à la construction de la sexualité de l’enfant.
Patrice Fabrizi : ça fait point d’inquiétante étrangeté pour les adultes. Ça angoisse les adultes. Ça n’est pas le rôle des parents d’entrer dans la question de la masturbation, car ceux-ci doivent préserver le voile de la pudeur. L’instituteur a à entendre ce qui peut surgir dans la langue particulière des enfants, à ne pas être du côté du voir. Il s’agit de fermer les yeux. Cela s’adresse à tous les éducateurs, les parents : voiler de pudeur, fermer les yeux et savoir écouter.

Deuxième temps : discussion autour du chapitre 8 « les agressifs »

« on vit ça tous les jours » dit une éducatrice spécialisée qui travaille en ITEP
Stéphane : ce qui est troublant dans cette tentative de faire - avec une conception basée sur le manque, le manque à combler et une certaine psychologisation autour de l’affect, qu’on dépasse assez facilement - ce qui est intéressant, c’est ce pari qui est pris ( p 138, 139) Le pari suivant : « on assiste à quelque chose, on ne sait pas quoi » L’auteur va contre vent et marées. Il a l’intuition, qu’on fait fausse route dans la répression, la contention. C’est intéressant pour l’époque (1925)
Pour l’auteur, il s’agit d’assister à un débordement de quelque chose, d’attendre mais pas seulement, car il y a tout un travail fait autour de la présence des éducatrices. Une présence qui n’est pas une absence. L’auteur demande à ces éducatrices d’écouter, de ne pas rectifier, réprimander ou corriger, mais d’accompagner une certaine violence, avec l’idée qu’il y aurait, à un moment donné, un certain épuisement des comportements dit violents. L’auteur semble interpréter la chose ainsi : c’est parce qu’il n’y a pas la réponse attendue par ses jeunes, au comportement dans la rectitude, qu’il y a quelque chose qui s’épuiserait et qui leur permettrait de ré instaurer un nouveau rapport avec les éducatrices. On ne sait pas comment on en arrive là. Stéphane se dit stupéfié quand il lit que deux éducatrices sont au bord du désespoir. Page 165, les éducateurs partent de ce à quoi ils assistent, pour tenter d’en faire quelque chose ; ça n’est pas seulement une présence des corps, dans une sorte de passivité, comme on le voit dans certaines institutions. C’est plutôt une manière de faire, très active, dans l’accompagnement de ce qui se vit.
Il souligne ce mot qui revient dans le CIEN : l’accueil comme prise de position d’accueillir ces jeunes, en tentant de faire silence par rapport aux représentations du genre « ce sont des sauvageons » La position d’accueil est ce qui permet de les entendre comme faisant toujours partie de la civilisation, pour les civiliser en tous cas.

Sébastien : des choses ont fait écho pour lui dans ce texte, par rapport à ce qu’il voit dans le lycée où il travaille comme assistant d’éducation.
Dans le film, de Joseph Rossetto « Quelle classe ma classe » le discours qui est proposé aux jeunes est réfléchi et collectif. Au lycée où Sébastien travaille, chacun essaye de bricoler quelque chose dans son coin. Il n’y a pas de réflexion commune, sur comment aider les jeunes. Dans le témoignage d’Aichhorn, dit-il, la question du doute est là, comme pour le principal du collège de Bobigny, qui dit ceci « pour moi, le doute, c’est un cadre »

Stéphane : qu’est ce qui amène les psy, les enseignants à aller loin comme ça ? à supporter autant, pour entendre des jeunes au comportement débordant ? Cette question me tient dit-t-il. On voit des choses extraordinaires : des éducateurs qui prennent le parti qu’il y a quelque chose derrière ce qui se manifeste trop bruyamment. Ils se livrent à un travail de recherche quotidien.

Julie : « on supporte quelque chose qui est parfois de l’ordre de l’insupportable » Elle voit bien elle aussi, que la méthode coercitive, ça ne marche pas. « On est dans le laisser faire et voir ce qui se passe » et ça n’est pas forcement compris dans l’institution dans laquelle elle travaille, du coup elle sent en marge. D’autres comme Aichhorn l’ont expérimenté, pourquoi est ce qu’on s’est éloigné de ces pistes de travail ? Julie a envie de poursuivre la lecture de cet ouvrage qui lui donne des pistes.
Françoise Labridy : il dit bien les erreurs qu’ils ont faites au début. Il constate que le traitement par la douceur qu’ils appliquent au départ, augmente la violence. Ils rectifient au fur et à mesure la position que les adultes ont à prendre auprès des enfants. Ce texte est très actuel, et devait être très en avance sur son temps en 1920. Il préconise : « ne de pas opposer de résistance à la demande ou aux transgressions des enfants » mais ça devient très vite insupportable quand les enfants cassent tout. Il y a un paradoxe dans les positions qu’ils prennent qui sont des positions intenables. Il y a une démarche clinique très fine avec ce groupe des agressifs qui est un groupe particulier. Les jeunes ne se sont pas choisi lors de la constitution des groupes.

Patrice Fabrizi : Ce groupe des agressifs est le « reste » Ce sont les exclus dont personne n’a voulu, ils sont les déchets du discours institutionnel. Le discours qui a à faire avec le reste, le déchet, que ce soit le discours du pédagogue, de l’analyste, c’est un objet a de lacan. C’est un reste inéliminable dont on ne sait pas quoi faire.
Quel est le point d’idéalisme dans cette démarche ? Aichhorn développe l’idée que les agressions ne peuvent augmenter que jusqu’à un certain point (idée thermorégulatrice de l’autocuiseur !) Y a un point où ça s’autorégulerait. On retrouve cette idée chez Freud dans le principe de plaisir ou dans les constructions libidinales avec la notion qu’il y a une autorégulation de la vie psychique. Autorégulation de groupe … c’est un peu moins sûr. Ce texte est à rapprocher de celui de Freud « psychologie des foules et analyse du moi » auquel, l’auteur fait référence.
On sent qu’il tient deux logiques à la fois :
- Une logique libidinale : il pense que la libido est quelque chose qui se développe, et qui, lorsqu’elle n’est pas assez développée, reste bloquée. Il dit que la libido a subit une fixation, c’est du côté de l’objet a et la libido.
- De l’autre côté, une logique d’identification. Ce sont des jeunes à l’abandon, car les adultes n’ont pas permis les identifications qui seraient formatrices et constituantes pour eux ; ceux-ci n’ont plus de confiance envers les adultes et pour eux, il n’y a plus de devoir de vérité par rapport à cette société. La vérité a reflué sur une logique de petits groupes et pour le reste on arbore le masque, le mensonge et la dissimulation.
L’auteur le présente ainsi, donc : D’un côté la libido et de l’autre l’identification.

Et la haine ajoute Françoise Labridy. C’est la haine qui fait la difficulté du traitement.

Patrice Fabrizi évoque la scène dans laquelle un ado menace un autre de lui couper le cou, avec un couteau à pain. Aichhorn reste calme, n’intervient pas, il a confiance en son attitude et il pense que c’est grâce à cela que l’adolescent lâche le couteau puis s’effondre, tombe en pleurs dans une espèce de position dépressive (ça aussi c’est très freudien)
Ce mode de faire interroge tout le groupe tant il est impressionnant…d’autre part, cette position est – elle reproductible ?
L’auteur pose que l’on coupe les identifications répressives de l’enfant à l’adulte, pour que ça puisse produire quelque chose où la libido va trouver inévitablement à s’autoréguler.
Qu’est ce qu’il y a d’autre dans ce dispositif qui fait que ça marche ? Aichhorn n’en parle pas.

Fabrice : Il faut prendre en compte la question de la temporalité dans cette histoire.

Françoise Labridy ajoute que le transfert est bien installé avec les éducateurs, lorsque la scène se produit et lorsque l’auteur prend le parti de ne pas intervenir entre les deux adolescents. Il faut dégager du texte les temps logiques qu’il a mis en place.
La question de l’après coup est soulevée par Anne
Françoise Labridy : Après l’ébranlement de l’identification, il y un état de rage. Les affects violents se dégagent du corps et il y a une phase d’instabilité. Ils peuvent être sages ou redevenir agressifs.
Il s’agit de miser sur l’identification à des adultes qui ne soient pas trop rigoristes, pour que l’identification se fasse dans un transfert à des adultes qui prodiguent de l’amour, de la douceur et vis-à-vis desquels les jeunes se sentent en confiance. Il y a sûrement la question de la vérité à déposer dans cette relation de parole et aussi provoquer des affects de plaisir (d’où la façon dont se déroule la fête de Noël)

Patrice Fabrizi : Que dit l’éducateur quand il se tait dans cette scène au couteau ? Silencieusement il dit : « je sais bien que c’est « pour du faux » ce que tu fais, c’est du semblant » l’éducateur ne s’exonère pas en terme de savoir, mais en terme de signifiant maître (en terme de refus de taper du poing sur la table) ; Donc, pas de coupure magistrale, car ça n’en vaut pas le coup. C’est ça qui produit chez le jeune cette déflation, ce dégonflement de la vêture imaginaire.

Yasmine : ne pas répondre là où un jeune s’apprête à faire une « grosse connerie » et convoque l’adulte ? le plus souvent on intervient directement sur ce qu’il va faire. Mais si on arrive à se décaler et à répondre à côté, c'est-à-dire, ne pas rentrer dans l’identification, on peut le renvoyer à sa responsabilité.

Patrice Fabrizi : La question de la présence forte, silencieuse, des éducateurs est essentielle. C’est une manière de dégonfler la situation, faire tomber les identifications constitutives de la réponse violente.

Françoise Labridy : L’enfant tombe sur du vide, là où il attendait quelque chose. C’est pour ça qu’il y a de la rage et des pleurs. Il se voit dans la pantomime qu’il a construite. Ces moments là sont très durs à traverser. Quand Aichhorn analyse la constitution familiale de ces jeunes il y trouve de la haine des injures, des scènes et peu de lieux d’amour.

Yasmine évoque Noëlle De Smet
En classe une jeune fille, particulièrement agressive dont on lui a dit qu’il faut la mater, sort un couteau. N. De Smet, au lieu de se mettre à crier, de lui dire d’arrêter, prononce cette parole : « à qui appartient ce couteau ? » Cela apaise la situation.
Après quoi elle apprendra que le frère de cette jeune fille s’est fait assassiner dans un parc voisin, puis entendra cette parole d’elle, à ce sujet « on a fait la guerre » Le signifiant guerre, alors qu’elle habite dans un quartier qui s’appelle Chicago à Bruxelles.

Anne : Revient sur l’après coup : que se passe t-il après ? L’auteur parle t-il de ce qui se produit au long cours ?
Françoise Labridy : les enfants deviennent attachants. Les identifications du côté de la haine tombent et les jeunes se mettent dans une position d’accepter et de douceur (se rapporter à la fête de Noël où il va y avoir les cadeaux, puis la jalousie des enfants envers les adultes) Il y a toute une suite de constructions qui vont leur permettre de s’appuyer sur le transfert actuel aux éducateurs et aux éducatrices. Ils rattrapent ensuite leur retard scolaire.

Par rapport au graphique concernant les manifestations d’affects, Stéphane souligne chez l’auteur ce souci de l’écriture de quelque chose du transfert et des transferts.
Patrice Fabrizi : à l’aide de cette représentation, il essaye de voir comment les enfants inter-réagissent les uns par rapport aux autres.

Prochaine séance : travail sur les deux derniers chapitres de l’ouvrage d’Aichhorn (9ième et 10ième conférence)

Christine Pierret

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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