mardi 18 mars 2008

« LANGUE EN DEVENIR et L'ENTRE-DIRE »

Françoise Labridy,
29 février 2008
Cécile CANUT (Une langue sans qualité, Lambert-Lucas, Limoges, 150 p., 2007) nous offre un essai décapant sur la prolifération dans le champ social d'une conception univoque de la langue qui l'assimile à une identité d'individu, de peuple, de culture, de nation, voire de race. Cette conception contamine la majorité des discours, elle devient le fer de lance d'instances politiques, socio-économiques et scientifiques l'imposant dans leurs dispositifs et leurs directives, sans opposition majeure. Ce qui fut le cas dans le rapport de la Commission « Prévention » du Groupe d'études parlementaire sur la sécurité intérieure de l'Assemblée Nationale qui préconisait la surveillance des pratiques linguistiques des enfants au sein des familles étrangères, pour lesquelles la non-maîtrise de langue française apparaissait comme une cause potentielle de délinquance. C'est aussi un essai enthousiasmant parce que Cécile Canut forge des formules sur la vivance de la langue et de la parole.

Cette orientation réductrice qui affirme que langue, groupe, et nationalité ne font qu'un pervertit le rapport à la langue en lui faisant porter une fausse détermination. Au contraire de l'unicité de la langue qui devient ségrégative en s'appuyant sur un fantasme de clôture, de fermeture de frontières, le plurilinguisme témoigne de la « fluctualité » incessante du partage des langues entre elles. Deux perspectives traversent les phénomènes langagiers, l'une qui s'appuie sur la fascination d'une possible unité, la recherche du même, la codification et la planification linguistique en imposant une pratique dominante à des pratiques dominées, comme ce fut le cas pour la langue française au XIXe s., de l'autre une perspective qui met en avant la fluctuation incessante de la langue par l'expérience plurielle du rapport des individus au langage à travers les échanges de paroles de leurs situations de vie.

Cécile Canut rencontre ici l'orientation de l'enseignement de Lacan : « la langue est vivante pour autant qu'on la créé », bien qu'elle ne s'y réfère pas, trouvant ses appuis théoriques plutôt chez Foucault, Deleuze et Guattari, Blanchot, Arendt, Agamben.... Elle se réfère à une démarche généalogique d'interrogation des discours de la doxa, lui permettant de remettre en cause l'évidence du lien entre langue, identité, communauté, culture, et une démarche archéologique, s'appuyant sur « l'épaisseur des perceptions des locuteurs vis à vis de leurs paroles ». Elle ne cherche pas à bâtir une théorie de la science du langage, mais de « tracer quelques uns des rapport du sujet à la langue ». Il s'agit en confrontant en permanence les tendances qui prétendent filtrer, hiérarchiser, ordonner la langue, aux savoirs locaux particularisés qui l'inventent sans cesse en l'explorant dans leur relation à autrui, de ne pas occulter « le mouvement fondateur du langage en devenir ».

RENVERSEMENT EPISTEMOLOGIQUE
La première partie intitulée INFINI DU LANGAGE, est composée de 4 sous-parties à partir desquelles elle fonde le renversement épistémologique qu'elle produit : « c'est en partant du sujet parlant en tant qu'il se constitue dans et par un ensemble de voix et de discours » qu'on peut comprendre la place du langage et non pas l'inverse en partant d'une définition a prioriste. Elle montre que l'expérience plurielle du langage est exclue de la linguistique et de la sociolinguistique d'où l'importance, sans nier l'homogénéisation inhérente à toute mise en discours, (d'autant plus, pourrait-on dire), de redonner place à l'hétérogénéité vivante qui est niée par des conceptions essentialistes. Ce renversement épistémologique suppose de sortir d'une seule visée techniciste et culturaliste du langage. Par la parole chaque sujet questionne la distance au même et à l'altérité, cela conduit à des identifications, à des retraits, à des découpages qui indiquent que le locuteur n'est jamais ni dans l'autre, ni dans le même, mais dans une confrontation à l'impossible et à l'ambivalence que la parole recèle.

Lorsqu'un fantasme du Un de la langue vient se fixer en une langue-système, est oublié que l'usage des locuteurs fait varier les frontières. Ce processus aboutit à la consécration de « l'une langue nationale » comme ce qui se passa particulièrement en Europe et fut repris ensuite ailleurs comme facteur d'homogénéisation. La grammatisation a participé à cette normativité en occultant la complexité. Se créent des mots d'ordre impossible à questionner : pureté, origine de la langue, langue naturelle, « le français est menacé par l'anglais », « les gens ne savent plus parler français »,
qui alimentent le fantasme d'une langue objet essentialisé. La notion de métissage, chère aux écrivains antillais repose sur un malentendu. Il est la conséquence de l'imposition de ce modèle de « l'une-langue » préalable à partir de laquelle le métissage apparaîtrait, alors qu'il faudrait y voir une fluctuation de multiples agencements à l'intérieur de ce qui se donne comme fiction « d'une-langue ». Ce qui permet de construire les oppositions entre langue naturelle ou ethniques et des patois, dialectes... L'Europe concourt à la réification de certaines langues par exemple le Pomak qui surprennent les intéressés eux-mêmes, des incidences politiques en découlent en Bulgarie. C'est ainsi qu'au nom de la défense des langues en danger, on planifie la nouvelle langue ROM. En Afrique également, on essaye de limiter le foisonnement langagier en formes homogènes sans s'interroger sur l'importance du plurilinguisme et les multiples déterminations historiques, politiques et sociales qui permettraient de comprendre la situation contemporaine. Perdurent ainsi les théories raciologiques et évolutionnistes du XIXe siècle, qui font des Africains des peuples sans histoires, sans états, voire sans langue. Au contraire la diversité des situations sociales de l'Afrique a produit une pluralité de langues, signalant par là-même que c'est la notion même de langue qui est problématique.

Le renversement épistémologique posé par Cécile Canut conduit à poser que c'est à partir d'une hétérogénéité constitutive de langage que l'homogénéisation opère comme effet d'une sélection. La relation de l'homme au langage ne peut se poser que dans cette tension.

CONVERSATIONS CROISEES
Il y a une pluralité langagière permanente entre toutes les formes de langue participant des expériences quotidiennes de la parole qui détermine un rapport singulier à la langue. Ca va et ça vient, interactions mouvantes, les réduire à des marques identitaires ou à des catégories statiques suppose une conception de l'homme complet dont la langue hériterait.

Les pratiques langagières de l'Afrique ont beaucoup à nous apprendre parce qu'elles n'ont pas été conditionnées comme les langues européennes par des siècles de politique linguistique. Les rencontres de langues différentes ne fixent, ni ne délimitent un rapport déterminé, l'exploration de la parole d'autrui se fait en appréciant l'étrangeté du prochain, étranger toujours séparé. Cela pousse les voyageurs à apprendre la langue du lieu où ils se trouvent. Ils font place dans leur parole à l'altérité qu'ils rencontrent, ils entrent dans la différence de la parole de l'autre, sans vouloir la posséder. Entrer dans la langue est un lien qui permet la relation à l'autre dans sa différence. Il n'y a pas séparation du même et de l'autre chez les Manding du Mali, mais une « conjonction du pareil et du pas la même chose. » p. 25 En Afrique les déplacements exposent à d'autres formes du langage, à chacun de pénétrer dans « l'entre du langage en ouvrant sa parole au dehors », à la réactualiser en l'enchevêtrant à d'autres, « dans une parole en devenir ne se satisfaisant pas de sa finitude, livrée dans l'hétérogénéité qui lui est propre. » p. 26

« Faire l'extérieur, faire l'aventure », quitter son village, sa région, « apprendre la vie par le truchement de l'altérité » comme au Mali, oblige à rencontrer autrui depuis son étrangeté même, depuis sa parole. Le mouvement des corps qui accompagne le trajet, voyage ou exil, passe par l'accueil de la parole du dehors, il pousse à sortir de soi, à s'arracher à la certitude du lieu de départ, lieu sans cesse à porter et transporter ailleurs. C'est l'exemple du nomade, du migrant perpétuel, ils se tiennent hors de « l'hommage à la nation », ils rendent compte de l'existence d'une parole toujours poussée au dehors. Elle existe au-delà de toute « territorialisation », de tout repli sur le même « s 'exerçant dans la dispersion et dans l'hospitalité », ainsi en va-t-il aussi de la langue ROM, langue plurielle, portant trace de l'ensemble des langues traversées, alors que l'on voudrait la réduire à une figure identitaire tout en sédentarisant les sujets. Un jeu de dispersion et d'interprétation incessant consacre « la parole comme passage par l'infini des voix ». « Le profond plaisir de la conversation caractérise cette partie infinie qui engage le travail inlassable de la puissante énigme du langage. » p.28

ALLER ET VENIR ENTRE LES LANGUES ET FAIRE AVEC
La parole plurielle ne résulte pas d'une accumulation de langues mais surgit de la spontanéité de l'expérience du langage ou foisonnent d'autres langues, d'autres paroles. Les politiques nationales de langues n'ont jamais étouffées la plasticité intrinsèque et les emprunts multiples par lesquelles elles se constituent. La dénomination des langues, comme celle des groupes, associée aux vertus qui les essentialisent, produisent des cohésions imaginaires ou chacun cherche le même que soi, pour se différencier de l'autre, de l'étranger. Le Français qui parle français habite en France : « à l'homogénéité de la langue répond celle du peuple qui la parle. » Ce qui est oublié c'est l'ensemble des mouvements traversant la langue et la rendant vivante. La polyphonie « devrait être la règle, elle devient l'exception, exit l'argot, le verlan, le patois, le dialecte... Au Mali, la langue de l'autre n'est jamais établie, la parole varie en fonction de l'interaction et de celui auquel on s'adresse. Toute dénomination venant de l'extérieur peut être rejetée par le locuteur, si elle ne correspond pas à son expérience de vie. Les tensions qui figent langues et peuples sont plus sensibles en milieu urbain. « Etre Malien, c'est être plurilingue, l'identité d'une langue n'est pas close » p. 32. Les langues se recomposent sans cesse, au-delà de ce qu'on voulu imposer les discours coloniaux. Le parler des jeunes de la rue d'Abidjan (enchevêtrement de plusieurs langues ivoiriennes et de variations de l'anglais) ne cherche pas à se démarquer, ils disent l'hétérogénéité constitutive des langues et la non-uniformité d'une langue à elle-même. Ce sont les chercheurs européens qui voudraient la circonscrire en la dénommant, en la mettant dans une case (français populaire abidjanais), l'inscrire dans une hiérarchisation alors que les locuteurs ne cherchent aucune démarcation a prioriste, mais inscrivent dans leurs paroles les situations diverses de leur existence.

L'exemple des Balkans apporte un nouvel exemple, dans lequel les constructions nationales fixent des frontières linguistiques. De même la nouvelle dénomination européenne ROM fait disparaître : Tziganes, gitans, manouches, bohémiens ou au contraire appelle à les revendiquer. La nouvelle formation discursive européenne ne transforme pas les pratiques réelles d'ostracisme politique, social et économique qui continuent d'exister. Il n'y a donc pas de « nomination véridique » mais des tentatives infinies de substantialisation à partir d'une appropriation/désappropriation que permet la circulation entre langues. La langue n'appartient à personne parce que le langage n'est que circulation.

ACCUEILLIR L'INCONNU ET L'ETRANGER DANS ET PAR LA PAROLE

La parole qui accueille l'inconnu ouvre à une dépossession qui ne préjuge d'aucune transparence ou s'établirait l'égalité dans la communication. S'y joue « l'imprécision des frontières, la non-fixité des groupes sociaux et la fluctuation des places sociales. S'en remettre à l'inconnu de sa propre parole comme à celle de l'autre fait entrer dans l'étrangeté d'une parole nouvelle, assurant un déplacement vers l'extérieur. ». L'exercice de la parole est un paradoxe : « portant à la promesse du rapprochement, il s'éprouve dans la mise à distance de l'autre. » La parole véhicule à la fois l'ombre et la lumière pour chacun, le plaisir et la menace, ambivalence de toute relation humaine « ce qui fait de la parole un intervalle essentiel et un vecteur d'inquiétude. » p.38

Au Mali les « vieux » oeuvrent au dépassement du langage, ils soutiennent l'ambiguïté essentielle de la parole par le détour des proverbes, des métaphores, d'énigmes, d'euphémismes, d'allusions et ils portent le langage « vers son lieu de questionnement, là où le sens n'est jamais donné totalement dans la parole, qu'il n'est qu'à construire dans un jeu entre les signes. » La langue en s'ouvrant à l'autre échappe en permanence. « Parler depuis l'autre et par l'autre, en utilisant ses mots et sa langue », en exposant sa propre langue à l'altération par l'altérité, rappelle le caractère proprement étranger de la langue en tant qu'elle est dépossession.

Les adolescents pour se rapprocher de leurs pairs adoptent ce qu'ils perçoivent comme signes distinctifs : vêtements, postures, formes verbales... momentanées et variables. « Convergence à la divergence », être ensemble sur ce qui nous singularise. » p. 40 Cela aboutit à des créations langagières puisque la répétition n'est jamais du même. Ainsi les jeunes français parlant des langues différentes utilisent des énoncés, des débits de paroles, des intonations, des tournures syntaxiques, toujours imprévisibles et changeants. Cette élaboration au coeur de la relation n'est ni un reflet ni une reproduction du social. La parole en devenir, renvoit à l'étranger comme jeu sur la limite dont le risque et la dépossession de soi par une trop grande identification, lorsqu'on ne peut plus se tenir sur « l'entre de la parole » et que l'on risque la disparition. « Ni objet, ni sujet, ni substance, ni essence, le langage se place entre les êtres eux-mêmes perçus comme passeurs de langues. » p. 41

C'est au Mali que les pères passent cette parole vraie de la filiation aux ancêtres par le langage de l'énigme toujours à reconstruire. Ce qui se donne dans cette transmission c'est la dépossession de la langue, son inachèvement, son altérité : « c'est la personne qui meurt, le nom ne meurt pas. » (proverbe malinké) p. 42 La langue originelle est introuvable. Le lieu du père par la langue est la première rencontre avec l'étranger qui met chaque homme « au bord de ce qui le limite » comme perte nécessaire.

La deuxième partie du livre : LA LANGUE UNE divisée en 4 sous-chapitres présente une certaine partie des mots d'ordre qui ont contribué à consacrer quelques figures du un : la langue origine, la langue pure, la langue de la race, la langue civilisée. Même si le plurilinguisme est intérieur à la pratique langagière, et que parler c'est faire l'expérience fondatrice du déplacement entre les paroles, des discours essentialistes masquent cette structuration fondamentale et tendent à s'imposer comme seuls modèles. Les conceptions monolithiques du langage s'établissent en discours fondamentaux établissant leur pouvoir à travers des langues fétiches, devenues l'équivalent d'une identité, d'une culture, d'une religion, source de revalorisation de soi et de gestions de nouvelles minorités construites.

La troisième partie du livre : LA LANGUE CORPS présente, là aussi dans quatre sous-rubriques, les fictions qui permettent de fixer une unité : langue maternelle dont elle présente les différentes acceptions, les différentes évolutions sémantiques historiques et les confusions qu'elles instaurent, en créant des langues identitaires. C'est dans le monde occidental que la mise en frontière des langues s'est instituée à travers des discours scientifiques, prenant le pas sur la prolifération de la parole. D'un côté la pratique quotidienne atteste la pluralité fondée sur la dynamique imprévisible de l'acte de parler, non réductible à une langue, de l'autre des élites favorisent une « patrimonialisation » de la culture et des langues, comme appui nouveau de la compétition capitaliste mondiale.. La langue devient objet d'imposition à l'autre, cette fixation en entité homogène entraîne des conséquences politiques préoccupantes, dit-elle, car elle promeut une fausse vision cosmopolite de cohabitation sans interpénétration. La dimension de l'oralité que l'on avait fixé sur les peuples sans écritures masque la perte de la langue plurielle qui « échappe, change et se transforme », laissant la place à un modèle de langue maternelle mythique et substantielle porteuse d'une vision du monde. Le langage « d'impossible dehors » pour tout sujet devient corps de la mère, puis de la patrie, d'où l'idée de faire disparaître la multiplicité de langues des migrants dans la langue française d'accueil. Une cohésion nationale est supposée s'installer par l'homogénéisation linguistique du territoire et par le fantasme du retour au même d'une dite « langue maternelle ». L'école en étant le lieu de passage. Certains linguistes vantent l'acquisition de la langue maternelle avant d'apprendre une autre langue. Il y a une volonté de la Communauté européenne de faire disparaître dans les langues maternelles identitaires d'accueil, la plurilinguisme des migrants. Elle s'appuie sur Hannah Arendt pour s'opposer à cette conception idéologique de la langue : « Il vaut mieux ne jamais se sentir vraiment chez soi nulle part, ne faire confiance à aucun peuple, car il peut en un instant se transformer en masse et en instrument aveugle de mort » (Lettres à Karl Jaspers). En effet celle-ci pense la langue comme le lieu du dépassement de toute communauté, le lieu de la liberté et elle replace le terme de langue maternelle dans un cadre politique. « Ecrire en allemand, c'est prouver que la langue n'est ni allemande, ni maternelle, ni référée à la nation, à la race ou à la religion ; la langue est sans patrie, sans attache, sans ancrage. » La langue est toujours autre à venir, n'existant que dans la dépossession incessante par laquelle elle se constitue.

La nouvelle expression « langue identitaire » cristallise ce mixte langue maternelle/langue nationale et favorise la nomination explicite des eux par rapport au nous.. Réduire la multiplicité des agencements possibles de paroles à une appartenance annihile la nécessité intrinsèque de construire pour chacun l'écart du rapport au même pour maintenir sa singularité. On fixe ainsi des individus à préserver des héritages, omettant qu'il ne peut y avoir de sujet que par construction libre de la langue à travers une parole qui s'échange.

Quelles leçons tirer de cet usage toujours politique de la langue ? « Je n'ai qu'une seule langue, ce n'est pas la mienne. » Derrida

L'importance politique du langage, c'est qu'il permet la subjectivation grâce à l'échange de paroles entre humains, dans l'interaction à autrui. Fixer arbitrairement une forme de langue, c'est empêcher la subjectivation, ou contribuer à désubjectiver. C'est ainsi que les problèmes d'immigration sont souvent montrés en termes d'origines, de cultures....de maîtrise de la langue française, en méconnaissant les dimensions sociales. C'est la confusion dont témoigne le Rapport préliminaire Bénisti de la Commission « Prévention » du Groupe d'étude parlementaire sur la sécurité intérieure de 2004, « entre langue et comportement puisqu'il fait porter à la langue des parents (« le parler patois du pays ») la responsabilité de la délinquance juvénile. » p.126. Le français devient un modèle univoque présenté comme le seul porteur de civilisation et d'éducation alors qu'il est un outil d'imposition de valeurs morales et d'orientation de la pensée.

Il est arbitraire de définir une langue, c'est pourtant ce qui se produit par recherche d'une illusion de « faire un » et de se reconnaître dans une appartenance. Les mises en frontières pour chacun sont multiples et variables pour chaque humain, elles augmenteront du fait des déplacements grandissants et produiront toujours des discontinuités de langage. « Les sujets sont des grains dansant dans la poussière du visible et des places mobiles dans un murmure anonyme. Le sujet est toujours une dérivée. Il naît et il s'évanouit dans l'épaisseur de ce qu'on dit, de ce qu'on voit» Deleuze, p. 137. Ni objet, ni sujet, les sciences humaines ont substantialisé le langage, dans un lieu idéal : la langue. L'impuissance à intégrer l'altérité de l'autre, dans la parole, à l'aune de la sienne, empêche d'accéder à la séparation et entraîne une recherche incessante de la coïncidence à soi-même.

C'est avec Maurice Blanchot qu'elle conclue : Comment trouver à fonder une parole sur la dissymétrie et l'irréversibilité pour « qu'entre deux paroles, un rapport d'infinité soit toujours impliqué comme le mouvement de la signification même. » ? Comment trouver cette relation qui porte « à travers la parole, l'impossibilité et l'étrangeté mêmes du rapport. » ? Comment « sortir de la fascination de l'unité, faisant advenir la promesse indéfinie d'une parole hors de tout rapport commun ? » C'est une exigence politique de reprendre, jamais de la même façon « ce qui se joue dans l'ombre entre soi et un autre, à travers une parole qui l'affirme, mais ne l'abolit ni le diminue que quelque chose du réel du langage peut advenir. » p. 142 L'accueil de l'étranger et de l'inopportun sont au principe de l'advenue de ce réel.

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