dimanche 16 septembre 2007

Décomplexion, modes d'emploi

Par Pierre MARCELLE
mardi 29 mai 2007
Guy Môquet, une hypothèse
Pourquoi Guy Môquet ? Pourquoi, après les figures de la social-démocratie que furent Jean Jaurès et Léon Blum, fallait-il que le bondissant président aspirât celle du mythique «jeune résistant communiste» ? La question taraude. Telle qu'énoncée au jour de l'investiture de Sarkozy, lors de la cérémonie du bois de Boulogne, elle s'enduisait d'une nouvelle couche d'opacité. Rappelons donc aux jeunes générations que Guy Môquet ne fut pas exécuté le 16 août 1944 ­ tandis que Paris brûlait ­ avec une quarantaine de jeunes gens devant la cascade du bois où une stèle célèbre leur mémoire, mais le 22 octobre 1941 à Châteaubriant, où il était incarcéré depuis un an environ. En s'engageant à 16 ans contre la défaite et la collaboration, Môquet résistait. Mais, depuis août 1939 et la signature du pacte de non-agression entre l'URSS stalinienne et l'Allemagne nazie, l'appareil de son parti ne résistait guère. Quand Guy Môquet est arrêté à Paris le 13 octobre 1940, il n'est pas «dans la ligne». Quand, un an plus tard, il est fusillé, il est un héros communiste. C'est qu'entre-temps, lançant contre l'URSS l'offensive de juin 1941, Hitler avait jeté le PCF dans la Résistance.
A cet endroit, il faut constater que Guy Môquet fait pour le pays un bel exemple, et pour le parti un martyr exemplaire. Après Guy Môquet, oubliés Pétain, Vichy et la collaboration, et oublié le pacte germano-soviétique... Ainsi s'érigea, sur son cadavre infiniment consensuel, la légende radieuse d'une résistance nationale prématurée ; ainsi s'écrivit, sous les plumes alternées de Maurice Druon et de Louis Aragon, la version officielle d'une geste héroïque dont le patriotisme constituait le plus commun dénominateur. Celle-là même que, contre toutes évidences, le gaullisme perpétua un demi-siècle durant. Celle que Jacques Chirac, en son discours du 16 juillet 1995 (dit du «Vél'd'Hiv» ­ ce qu'il fit de mieux) ébranla, en rétablissant, pour l'Histoire, la complicité de l'Etat français dans le génocide des Juifs. Celle enfin, que Nicolas Sarkozy semble réhabiliter sans vergogne, sans chagrin et sans pitié.
Car c'est bien de lui que nous revient soudain en mémoire (tiens, tiens...) le propos de campagne selon lequel «la France n'a pas inventé la solution finale» (Se souvenir ici qu'à la Libération, l'Huma titra en une : «A chacun son boche !» ).
Venant d'un homme qui évoque avec une inconscience ou une complaisance inouïe son «sang mêlé», et, à travers l'anecdotique Arno Klarsfeld, instrumentalise de même la mémoire des déportés, l'exercice passerait pour baroque, s'il n'était si douloureusement démagogique. Pour la lettre ultime de l'adolescent Guy Môquet saluant ses parents chéris à l'heure de sa mort, sa charge émotionnelle la laisse rétive à la pédagogie, et illisible au-delà de sa paraphrase. Sauf bien sûr à prétendre faire de la valeur famille, après celles du travail et de la patrie, un autre pilier d'un sarkozysme définitivement «décomplexé».

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