dimanche 30 septembre 2007

Brèves de lycée

12h30, des garçons arrivent au compte-goutte au gymnase. Ils se mettent en tenue de sport, là, au bord du terrain, sans passer par le vestiaire. Ca va plus vite. Chahyd arrive et s'installe sur la haute pile de tapis, dans le renfoncement. Allongé sur le ventre, le menton posé sur ses deux poings serrés, un peu dans la pénombre, il regarde les copains qui s'organisent en équipes et commencent à taper le ballon.
« Alors Chahyd, tu ne joues pas aujourd'hui ? » Ca ne va pas fort, me dit-il. Les ennuis recommencent. Il a eu des mots avec Madame C., une de ses profs. Il va déjà avoir un rapport. Il me raconte les motifs, c'est un peu confus. Je me souviens de quelques unes de ses paroles.
« De toutes façons, on peut rien faire, moi je suis déjà catalogué. On te voit comme tu étais y'a trois ans, comme t'étais y'a deux ans. On te donne pas de nouvelles chances... La prof elle a dit, la classe, ça pourrait aller s'il n'y avait pas deux ou trois cons. C'est nous les cons » « Madame, vous dites qu'on peut parler aux profs, mais c'est pas vrai. Ils s'en vont quand on veut leur causer »
Je dis que d'aller parler seul avec un prof, c'est différent que d'y aller à plusieurs élèves. Je dis aussi à Chahyd que décidément, il y a quelque chose qui revient souvent dans ses histoires: A l'entendre, il est toujours « la victime des méchants profs », mais comment leur parle-t-il donc pour que ça se passe comme ça ?
Il enchaîne. « De toutes façons j'en ai vraiment marre de l'école. Là je redouble mon BEP (il a deux ans de retard) ça me gonfle, j'sais pas moi, mais peut-être que je suis pas fait pour les études? »
Je lui demande: « Et si tu n'étais pas au lycée, tu ferais quoi? »
Il dit d'un ton animé : « Moi, madame? Mais je serais prêt à prendre n'importe quel boulot! Vraiment n'importe lequel! Pourvu que j'ai une paye à la fin du mois. Même ramasser les poubelles, s'il fallait. J'en ai marre du lycée. De toutes façons, je le sais que je serai jamais comptable»
« Et pourquoi donc ? »
« Ouais, c'est mon père qui veut. Mais si je lui dis que j'arrête, il me tue »
« Mais tu as essayé de lui en parler au moins à ton père de ça? »
Sort alors un petit « ouais »

Hier, il me semble avoir entendu un élève dire que Chahyd avait donné (allait donner?) sa démission. Il faudra que je me renseigne pour savoir ce qu'il en est.

Manola ne fais plus rien en EPS. Elle arrive en cours et dis qu'elle a mal au ventre et au dos. « Trop mal » dit-elle. Elle redouble sa terminale. Je l'avais déjà en cours l'an dernier. Une fille sportive, très volubile, au phrasé méditerranéen, une voix forte, parfois criarde, prompte à commenter tous les évènements. Des paroles qui fusent du tac au tac. Look recherché de fille, avec les moyens du bord. Des baskets couleur or, des grandes créoles, des ceintures kitsch. On achète ce qu'on peut avec trois sous.
Ce vendredi, nous avons un peu de temps avant le début du cours, il est 8 h 20, à la pépinière. Manola n'a toujours pas ses affaires de sport, elle est assise au bas des escaliers, jambes pliées, en boule.
« Alors, Manola, qu'est ce qui ne va pas ? »
« J'ai encore mal au ventre et au dos, la dernière fois le médecin a dit que j'avais rien mais je vais retourner le voir et je vous ramène une dispense bientôt, promis. »
« Ca vient de quoi, tu crois ? »
Petite mine défaite « Ca va pas à la maison, et puis j'ai toujours pas trouvé de stage (on est vendredi, leur stage doit commencer lundi), de toutes façons j'en ai marre, j'ai envie de tout arrêter là. T'façon j'vais plus en cours ces derniers temps. J'pars le matin avec mon sac et j'traîne»
« Ca va pas à la maison. C'est avec les parents? »
« Non c'est avec mes frères. J'ai un petit copain et ils veulent pas »
« Ah bon, ça fait longtemps? »
« Ca fait deux mois, mais c'est ma petite soeur, elle m'a vu avec lui, et elle a tout raconté ! et maintenant ils sont tous sur moi là, j'en ai marre »
Je n'ai pas l'habitude de voir le visage de Manola si triste.
« Ben, ils te voient peut-être encore comme la petite Manola, il faut le temps qu'ils s'habituent au fait que tu es une jeune fille, ils vont s'y faire »
« Non, eux ils pensent que si t'as un copain, t'es une... enfin, je peux pas vous le dire le mot »
« Ben vas-y, exprime toi, pas de gêne »
« Ben... une pute. Alors qu'on fait rien de mal, on se voit juste. »
Je dis: « On dirait que t'en as plein le dos »
Elle sourit. Je lui propose d'appeler mon ancien club de sport à la fin du cours pour voir si elle peut y faire son stage. Je lui dis de réfléchir à cette proposition pendant l'heure. Fin du cours, Manola est d'accord, coup de fil au club, non, ce ne sera pas possible. Manola est déçue. Je prends son numéro de téléphone pour la prévenir si une autre personne du club pouvait l'accueillir.
10 h: Je reviens au lycée et parle du cas de Manola à la prof principale, elle n'était pas au courant. A midi, à la cantine, la chef de travaux tertiaire me dit qu'elle a vu Manola et lui a trouvé un stage, à Pompey. « Avec une dame très gentille »
Petit texto par téléphone à Manola: « Apparemment c'est bon pour ton stage? »
Texto retour: « Oui, mais Pompey, c'est loin pour moi je trouve. Si ça ne me plaît pas je changerai sûrement. Merci quand même » me répond-elle.

Tomblaine – Pompey, ça peut faire loin, quand on a des frères sur le dos. A moins qu'elle en profite pour prendre un peu le large ? Il faudra que je demande de ses nouvelles.

Au gymnase, vendredi entre midi et deux. Une bande de 4 garçons footballeurs papillonne sur les trois activités sans se fixer sur aucune. Le vendredi, c'est volley, basket, danse. Pas foot. L'un d'eux, je ne le connais pas encore, tape comme un sourd dans le ballon de volley, faisant mine de rentrer dans la partie en cours, puis il lâche les quatre jeunes filles et s'en va en marchant nonchalamment. Il est partout et nulle part, désorganisant ce qui se met en place. Avec mon collègue nous décidons entre nous qu'à l'avenir, les « footballeurs » viendront au gymnase uniquement sur leurs créneaux, les mardis et jeudis. Je rassemble les quatre jeunes et leur dit qu'il doivent se décider. Ou bien ils rentrent dans une activité et s'y fixent, permettant aux autres de continuer à jouer, ou bien ils se mettent sur le côté. Mais ils doivent arrêter leur petit manège.
Ca ne s'arrêtera pas, ils tournicoteront ainsi jusqu'à la fin. Je parlerai quand même à l'électron libre, il semble assez particulier, comme insaisissable.
« Dis donc, toi, c'est quand même pas banal, je te parle et tu fais comme si tu ne m'entendais pas, pourtant tu a compris ce que je te demandais »
« Vous savez, Madame, me dit-il tout en continuant de déambuler, c'est comme ça depuis toujours avec moi, c'était déjà comme ça quand j'étais en primaire » Il a un sourire un peu inexpressif, sourire qui n'a pas quitté son visage depuis qu'il est rentré dans le gymnase.
Il est l'heure, la sonnerie va retentir bientôt, tout ce petit monde se disperse. Je me demande si cet élève dit vrai. Est-ce que ça sera toujours comme ça avec lui ?
Vendredi 13h30. Je rentre chez moi, m'allonge et dors pendant deux heures.
Yasmine Yahyaoui, le 29 septembre 07

Aucun commentaire: