mercredi 21 mars 2007

Avec Noëlle de Smet les 9 et 10 mars 07 au lycée Cyfflé

Marie-Odile Caurel
Vendredi soir : le cadre ne manque pas de charme, un petit amphi dans un lycée professionnel, des gradins, du sérieux mais aussi du bois, du vert, un espace à taille humaine.

Une voix. Noëlle nous transmet ce qui comme prof l’animait ( mais c’est toujours d’actualité) dans sa rencontre avec ces jeunes filles à Molenbeek, en Belgique, adolescentes d’origine marocaines pour la plupart, sauvageonnes, que des collègues pensent qu’il faut « mater »
Les mots de ces jeunes, leurs mots elle s’en sert non comme des énoncés pour les étiqueter ou les y clouer mais ouvertures provocantes ( qui appelle), énonciation à soutenir au-delà de sa frappe …Elle nous déplace alors dans son travail se soutenant du vif des paroles qui fusent, du présent qu’elle borde avec des tâche qui structurent l’œuvre en cours mais aussi marquent la nécessité du faire à plusieurs. Ce travail il déborde le cadre horaire et celui des murs de la classe ou du lycée. Il exige des points d’appui au dehors :un petit laboratoire avec un analyste, un mouvement pédagogique, la pédagogie institutionnelle. Il contraint à l’extraction pour elle de ce qui fait impossible. Il oblige à trouver des médiations ; être ensemble profs et élèves pour quelque chose qui fait tiers.
Molenbeek : traduction le moulin du ruisseau….la langue charrie les maux, les mots en sont intoxiqués . Dans le Conseil, instance de débats et de décisions dans la classe, les élèves ont écrit qu’il ne sera jamais «tribunal » pour personne, c’est visiblement aussi ce que Noëlle a décidé pour elle dans sa façon d’entendre ces jeunes, leurs mots… des balles à prendre au bond pour relancer l’échange. Seul, le mystère porte à vivre nous dira-t-elle celui que chaque sujet demeure , à côté de ses façons de se prêter à la scène sociale.
Ce soir là le mot tolérance résonnera à côté de son sens moral ou dépassé, Noëlle tolère le bruit, les mouvements, l’agitation mais ne tolère pas l’humiliation, l’enfermement, la relégation…
Une invitation à lâcher le mode d’emploi du prof pour consentir chacun à son style, en effet comment soutenir ou réveiller quelque chose du désir d’autres si le sien est barré pour faire comme ou pour coûte que coûte boucler le programme. Mais sans doute pas tout seul.
Dans les échanges après l’intervention de Noëlle, Florence posera la question de la sanction : est-ce possible de s’en passer ? ni oui, ni non mais plutôt nécessité d’évaluer le calcul du sur mesure que l’on y met, et les paroles qui l’accompagnent.
Un prof du lycée dira combien enseigner est un acte politique, que dans le temps contemporain cela exige « de choisir son camp »mais aussi comment souvent les jeunes profs ne sont plus « issus des milieux ouvriers ». Comment pour les ados des quartiers où règne la pauvreté faire autorisation à réussir, à avoir une conscience fière de leur histoire ?

Samedi matin :
Le laboratoire Cien Nancy « les fillettes et le galopin » use de la présence de Noëlle pour continuer son travail sur les impasses et inventions de chacun dans ses pratiques. Surprise, des invités de dernière minute. Ce samedi là c’est journée portes ouvertes à Cyfflé, profs et élèves font découvrir leur lieu de vie et de formation.
Des profs en « profitent » et se réunissent avec le CPE pour voir « comment faire avec les élèves en difficultés ». Alors pourquoi ne pas se saisir du hasard heureux provoqué par Yasmine, prof d’EPS depuis la rentrée dans ce lycée, qui a ramé pour que la rencontre « au front des classes » se passe ici. La décision est vite prise, la salle est installée rapidement, deux heures à échanger ensemble.
Un des profs nous parlera de la demande intempestive d’une ado « est-ce que je peux aller faire pipi ? ». Dire oui, dire non pourra se déplacer quand Muriel évoquera sa façon de faire en Segpa « est-ce que tu peux attendre un peu ? ». Faire une demande à cette jeune fille, lui donner un point d’appui, lui permettre de ne pas rester dans son corps… Peut être du possible pour saisir pour quoi elle veut sortir et de quoi ? Demander à sortir c’est aussi pouvoir revenir. Pour quoi une majorité de jeunes veulent sans cesse quitter la classe ?
Un prof stagiaire racontera son souci pour un ado qui depuis quelques temps ne s’intéresse plus à ce qui se travaille dans la classe. Il est seul, mal. Puis devoir sur table, un sujet à traiter… « je peux être cash »demande le jeune, le prof accepte que le jeune écrive ce qu’il veut…ouverture à du nouveau. Je vous écris dira le jeune en déposant sa feuille à l’envers. Un texte lourd. Des rencontres à venir.
Et puis deux adolescentes, indifférentes, au fond de la classe, les autres élèves parlent, manifestent leur intérêt , et mécontentement ..elles, rien. L’une réussit, l’autre est en échec mais l’une et l’autre font question pour la prof, c’est le passage qui ne peut être frayé pour l’heure.
Devenir humain ne se fait pas du jour au lendemain ponctuera Françoise, mais quand on donne la parole aux jeunes ils la prennent pour en faire autre chose que l’attendu.

Ce matin là le pari de la conversation a été pris par les présents, et « des élèves en difficultés » on est passé au cas par cas à comment se dégager de ce qui fait difficultés dans la répétition pour opérer un pas de côté.
Dehors le soleil brille, il est l’heure d’aller applaudir les pratiquants de hip hop….souplesse des corps, figures où les points d’appui se déplacent, chorégraphie à plusieurs, la musique appelle. Et sur les visages se lit le plaisir du mouvement, et de l’échange.

Premier contact pour un laboratoire au cœur du lycée ? Si enseigner est un acte politique, alors usons du Cien pour avec d’autres contribuer à rendre « vivables » les lieux de formation, pour les élèves et pour les profs.
18 mars 2007

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