mercredi 21 mars 2007

Rencontre avec Noëlle De Smet et Claire Piet

Hélène

L’idée a germé peu à peu au sein de « notre groupe du mardi soir », le Cien de Nancy. Nous sommes quelques-uns à avoir entendu parler Noëlle De Smet lors d’un colloque organisé à Paris par le Cien, traitant de la question de l’adolescence. D’autres ont lu son livre « Au front des classes ». Chacun semble avoir été touché particulièrement par les « histoires » de cette enseignante de français en Belgique, et par les propos de sa collègue Claire Piet, toutes deux membres du laboratoire Cien de Bruxelles. Alors nous nous sommes dit : « Pourquoi ne pas la faire venir à Nancy, qu’elle nous en dise un peu plus, de ce qui la soutient dans son travail et qui nous parle tant ? »
Nous avons organisé deux moments, chacun se déroulant au cœur même de la pratique enseignante, puisque nous avons choisi de nous retrouver dans un Lycée Professionnel.
Le premier temps s’est déroulé sous la forme d’une intervention adressée à tous ceux qui s’intéressent à la question de l’adolescence, avec pour sujet : « Au front des classes, qu’est-ce qui se joue entre adultes et adolescents ? »
Noëlle de Smet a raconté comment elle s’y prend avec des élèves à partir d’un exemple particulier. Elle se présente avec simplicité, sans référence théorique à un modèle. Elle nous dit qu’elle s’est beaucoup appuyée sur la pédagogie institutionnelle, sans énoncer pour autant des recettes ou de cadre de référence. C’est ce qui me semble constituer en partie la richesse des interventions de Noëlle De Smet : à la fois son authenticité profonde à nommer l’acte pédagogique au plus près de son vécu, mais aussi sa capacité à n’en faire que des « histoires », c’est-à-dire des moments racontés qui gardent leur caractère surprenant et donc imprévisible. Elle donne à entendre des signifiants qui raisonnent dans son histoire d’une manière particulière, elle fait consister l’éprouvé du corps par le mot. Elle raconte du vivant, elle n’est pas dans l’interprétation.
C’est ce qui me touche dans sa façon de parler du métier d’enseignant et de l’exercer. Dans les deux cas, elle se situe dans l’articulation signifiant-signifié et non dans l’interprétation, et laisse à l’autre des espaces pour faire émerger du désir. Par exemple, avec ses élèves, elle interroge l’acte d’insulter un autre à partir de la question de l’adresse et du sens de chaque insulte utilisée : « qu’est ce que je veux dire quand je dis ça ? » Son discours sucite des questions chez l’autre et l’invite donc à se positionner, sans être dans quelque chose d’injonctif.
Le deuxième temps a été l’occasion de nous retrouver, en plus petit nombre, pour parler à partir de ce qui, à un moment donné dans nos rencontres avec des élèves, nous empêche, nous met face un insupportable. Au fur et à mesure de la matinée, quelque chose s’est déplacé. Nous sommes sortis de considérations générales sur l’éducation et les élèves, issus de termes comme « les élèves en difficultés », qui empêchent de penser ce qui se joue vraiment dans une situation particulière. Les paroles échangées sont allées vers : « Qu’est-ce qui, à cet endroit-là, me met en difficulté ? », « Qu’est que je crois qu’il me dit quand il dit ou fait ça ? » Nous avons alors réussi je crois à sortir des modèles dans lesquels nous sommes pris au moment où une situation nous est insupportable, à nous défaire d’une interprétation qui fait certitude et qui fixe l’impossible. L’enjeu est double : faire apparaître que nous pouvons nous tromper dans ce que nous croyons être une évidence, mais aussi que notre réponse, si elle fait surprise chez un autre, peut déclencher un déplacement et le désir de dire quelque chose de ce qu’il vit. Par exemple, un enseignant raconte qu’à chaque heure de cours avec une classe, toujours au même moment, une élève lui demande pour « aller faire pipi ». Lui y entend une provocation qui l’insupporte et le renvoie à une angoisse: « Qu’est-ce qu’elle va faire si elle sort de ma surveillance alors que je suis responsable d’elle ? ». Et si, à l’endroit où elle s’adresse à lui, il s’autorise à dire qu’il veut en savoir quelque chose ? En regardant par exemple sa montre puis cette élève, juste avant ce temps où elle a pris l’habitude de le solliciter, pour lui signifier ainsi qu’il a entendu sa demande, qu’elle nomme pour l’instant « aller faire pipi » et qu’il y est sensible. C’est peut-être ça les rencontres Cien, des occasions pour parler et prendre le temps d’en savoir un peu plus sur nos envies pressantes.

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