jeudi 8 février 2007

Le temps des apprentissages

Yasmine Yahyaoui

« L’inconscient méconnaît le temps » (Lacan)

Apprentissage massé, apprentissage distribué, trace mnésique à court terme, à long terme, combien de temps faut-il respecter entre les répétitions pour un apprentissage optimal…Certains théoriciens des apprentissages voudraient faire coller les apprentissages au temps scandé par la montre, le temps objectif. Ce temps est aussi devenu celui de l’ « appreneur ». Une heure est une heure, c’est incompressible, ni dilatable, surtout à l’école. Cela a donné entre autre la pédagogie par objectifs. P.P.O. Un objectif défini (un apprentissage, une compétence), des situations d’acquisition (des exercices), vérification de l’acquisition par l’évaluation (le test, l’interro…). Un objectif par séance, par heure. Un programme découpé en tranche. Et 1 et 2 et 3 chapitres, et 1 et 2 et 3 compétences. Les couches se déposent, les unes sur les autres, comme de belles tranches de jambon.

Il me semble effectivement qu’il y a quelques autres conditions essentielles à prendre en compte pour qu’il y ait apprentissage : il faudrait à minima qu’il y ait une question. Une demande. Les cliniciens ont (encore) cette chance de pouvoir attendre que cette toute première question émerge. Attendre. Accepter ce temps d’indécision, de rien, où le désir peut émerger. Peut-être qu’une question, une seule, peut parfois enclencher tout un processus, comme une avalanche déclenchée par le premier flocon qui se décroche…A condition de la laisser venir et de laisser pour cela le temps au temps.

Je connais un jeune, (élève par ailleurs) qui semble gavé, rempli, débordant. Comme plus de place. Gavé des attentes de sa môman. Pas besoin de désirer : Elle, elle sait pour lui. Il a changé de nombreuses fois de collège, de lycée. (5 fois) Toujours, derrière ces décisions, la maman. Et lui ? Il ne veut rien de spécial. Il ne sait pas ce qu’il veut…Alors la maman doit décider pour lui. Peut-être a t elle peur de la question. Elle dit qu’elle pense que son amour pour son fils passe par ces décisions qu’elle prend pour lui, depuis toujours. Si elle ne le faisait pas elle aurait la sensation de l’abandonner.

Pour en revenir à la question, pour qu’elle émerge, il me semble qu’il faudrait du non su, du manque. Or, aujourd’hui il faut constater aussi que nous avons à faire des jeunes informés. Sur-informés. Bombardés d’informations. Gavés de gadgets, l’un venant remplacer le suivant. Que leur apprendre, alors qu’ils semblent connaître tant de choses déjà ? Comment susciter encore l’énigme ?

Il y a des enseignants qui face à 20, 30 élèves sont munis de ce truc incroyable. Ils savent susciter les questions. Il y en a pour ça qui font semblant d’être bête. Peut-être même qu’il y en a qui se considèrent, au fond, ignorants. Tout aussi ignorants que ceux qu’ils doivent instruire. Il y en a même qui se posent encore des questions par rapport au savoir dont ils sont censés être spécialiste, et en plus à voix haute, devant leurs élèves !! Ceux là ils exagèrent quand même : Y’en a qui pensent qu’ils manquent de crédibilité. Faudrait d’abord montrer qu’on sait ?

Je vois une autre condition aux apprentissages : celle qui consiste à se demander (pour l’appreneur), ce que fait comme expérience le « non appreneur ».

Je me souviens de ma première expérience de l’équation à une inconnue, en maths, en 6ème. Il y avait une inconnue (une lettre glissée dans des chiffres ! Hérésie !) et l’on me proposait une façon démasquer cet inconnu. Voyez comment le féminin s’est subrepticement transformé en masculin. Une histoire d’inconnu à débusquer, on me disait que c’était à ma portée, que cela dépendait d’une méthodologie qu’il fallait que je mette en œuvre…C’est évidemment à ce moment là que j’ai décroché des maths. Pour moi (inconsciemment, m’euvidemment) je ne pouvait prétendre à cette opération. C’était un non sens. Dans ma famille l’Inconnu n’était pas tabou (on en connaissait l’existence), mais on ne savait strictement rien de lui. Ce n’était pas un secret. C’était une absence, un trou. Ma grand-mère l’avait littéralement oublié. Un trou de mémoire…Par quelle méthodologie, j’aurais pu moi, identifier l’Inconnu ?

De même, j’ai aussi toujours eu quelque problème avec la discipline scolaire qu’est l’histoire. On m’avait appris dans ma famille à ne pas croire aux fables. Or l’histoire, mise en ordre dans les manuels scolaires m’a toujours semblé être un tissu, non pas de mensonges, mais de reconstructions mythiques. Franchement qui pouvait attester de la façon dont l’histoire s’était faite ? Bon j’ai appris l’histoire à moitié. Je n’y croyais pas. A vérité tronquée, apprentissages mitigés. Histoire d’avoir une petite moyenne. D’ailleurs les préoccupations actuelles sur les programmes scolaires d’histoire, concernant le colonialisme notamment, confirment mes doutes de l’époque…

Alors quel est le temps des apprentissages ? On peut être sûr d’une chose, ce n’est pas le temps scandé de l’horloge. C’est toujours un temps subjectif, où parfois le temps du passé se superpose au temps présent, selon une logique farfelue, mais qui a un sens. « L’inconscient méconnaît le temps » Parfois dans les apprentissages, comme une invitée surprise surgie du passé d’un sujet, une coordonnée affiliée vient se manifester dans le présent, et fait buter le sujet.
Parfois les manuels scolaires proposent un sens suffisant pour permettre un déplacement, un remaniement de cette drôle de logique qui est celle de l’inconscient. Mais parfois, il faut la parole d’un autre, qui va provoquer une mise en sens encore différente. Elle va permettre à un sujet, on ne sait pas toujours par quel biais, de remanier une première construction. Les apprentissages ne procèdent donc pas, avant tout, d’une superposition de couches successives (Et 1 et 2 et 3…), mais d’une possibilité de déconstruire ce qui était, pour reconstruire autre chose, autrement. Françoise, ce serait ça la rupture épistémologique de Bachelard ?

Et puis, il y a bien des injonctions qui nous viennent d’une parole de l’enfance, et qui impriment notre rapport au savoir. « Trouve un bon mari !», ça ne pousse pas à investir le savoir. « Sois honnête ! », ça rend suspicieux mais ça met au travail. « Sois brillant ! », ça met la pression. « Fainéants de profs-fonctionnaires ! » ça invite pas au respect dudit prof. « Sois gentil avec la maîtresse !» « Sois malin ! » « Te laisse pas faire » « D’abord un métier ! » « Comme ton père, futur…(au choix chômeur, ministre, voyou, ministre-voyou, ingénieur, racaille, leader, assisté…) ! On n’y échappe pas, on a tous eu droit, soit à des prophéties, des attentes, des désirs des craintes inconscientes de nos pères et mères…Mais peut-être que d’autres paroles, d’autres rencontres peuvent permettre à un sujet de les détourner pour faire un truc à soi, nouveau, et non de s’y soumettre comme strictes indications de destinées. M. Foucault a dit qu’il avait manié sa plume comme son père le bistouri !

En EPS, il est très fréquent que des élèves nous disent : Moi en gym j’suis nulle, comme…(ma mère, mon grand père, mon frère, ma tortue…), avant même la première séance. Je leur disais, ouais ouais mais…on est pas des clones.

Selon Cordié, il y aurait des élèves frappés de sidération, d’hébétude face au savoir. Ils font l’idiot. Ils répondraient ainsi à une injonction d’un parent, implicite : « Pose pas de questions, y’a rien à savoir » Elle dit que c’est parfois là le signe d’un secret de famille lourd. L’enfant en reste interdit, répondant massivement et en bloc à l’interdit auquel on l’a assigné…

Voilà (en vrac) ce qui me passait par la tête suite aux deux derniers textes, d’Hélène et Catherine.

Conclusion : Si à onze ans quelqu’un m’avait dit qu’en fait, dans une équation à une inconnue, il n’y a pas de « mystère » mais un chiffre déjà là à découvrir. Un chiffre unique qui existe déjà quand on pose l’équation, puisque c’est la formule même de l’équation qui le définit (et non pas l’activité de l’élève), c’est toute la face de mon rapport aux maths qui s’en serait trouvé changée…Ceci dit, je crois pouvoir affirmer que je n’ai aucun regret.
Yasmine Yahyaoui

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