jeudi 8 février 2007

Mines de rien

Françoise Labridy

L’école pourrait-il être ce moment où la jeune génération prend le temps de se décider à vivre dans la rencontre à des adultes avec qui ils parlent et qui leurs parlent. « Nous n’aimons pas l’éducation physique parce que le prof ne nous calcule pas », disent ces « jeunes filles » de 4e à Yves-Félix Montagne : rejet du professeur et de la discipline parce qu’elles ne décèlent pas la place qu’elles pourraient prendre dans le monde de l’adulte. La rencontre avec le professeur ne serait-il pas à chaque fois le lieu de reconnaissance du potentiel de renouvellement que constitue toute nouvelle génération et l’acte d’en assumer la responsabilité : « l’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. » (Hannah Arendt, la crise de l’éducation in la crise de la culture, Paris, Gallimard, folio, Essais, 1972, p. 222)
C’est une responsabilité tellement grande qu’elle ne peut être confiée seulement à une science spécialisée la pédagogie, ça nous concerne tous et dit-elle en c e qu’il s’agit du lien de chacun avec le fait que « c’est par la naissance que nous somme tous entrés dans le monde et que ce monde est constamment renouvelé par la natalité). En fait elle interroge en chacun, la possible persistance d’un lien de haine sur la vie dont les jeunes générations pourraient être les cibles. Il y est bien question de la dialectique vie/mort et de sa mise en perspective.

Dire oui à l’envie de vivre

Hannah Arendt met les enseignants dans la même série que les premiers éducateurs, les parents, en cela elle ne contredit pas Freud au contraire elle en prolonge la perspective: « le lycée doit procurer aux jeunes l’envie de vivre et leur offrir soutien et point d’appui à une époque de leur vie où ils sont contraints, par les conditions de leur développement, de distendre leur relation à la maison parentale et à leur famille » (Freud, 1910, pour introduire la discussion sur le suicide, I,R,P, PUF, 1984). Pour Freud, le lycée est aussi le lieu d’un forage vers le monde : « un substitut de la famille, le lieu de l’éveil de l’intérêt pour la vie à l’extérieur… ». La nécessité de l’école c’est celle de l’accueil de jeunes en mutation et en maturation « auxquels ne peut être dénié le droit de s’attarder à certains stades même fâcheux du développement. »

De la délicatesse dans la transition nécessaire qui est un parcours de rencontres

L’adolescence est aussi une fonction qui peut n’en finir pas de « ne pas finir » d’où l’importance de rencontres qui vaillent dans cette période qui est un carrefour mais peut très vite devenir une impasse. Moment plus ou moins long pour tenter des expériences qui font vivre à la limite de ce qui pourrait faire mourir. Temps propice à la révolte contre tout ce qui enferme. L’adolescent fait éclater les habits de son enfance, il ne veut plus mettre sur son dos les coloris du père, mais il ne peut aller totalement nu. L’école est un lieu d’ouverture au monde extérieur pour que l’enfant puisse se séparer des objets qu’il a investit précédemment ça ne se fait pas sans pertes et sans arrachements. Il ne peut pas le faire seul, il lui faut l’appui d’un adulte, d’un enseignant qui puisse calculer ce que l’enfant a à lâcher dans le rapport qui va s’instituer entre eux tout en lui permettant de construire autre chose. L’école, L’enseignant ne peuvent pas être plus fort que la libido, ils ne peuvent exercer leur fonction de séparation qu’en tenant compte de ce qui la fixe.

Joseph Rossetto dit qu’ils sont dans la relation directe, ils sont dans le présent, mais que de cela on ne parle jamais à l’école, on parle du passé où ils n’ont jamais été, d’un avenir où ils ne sont pas encore. Et pour peu que cet avenir soit présenté comme fermé, difficile, improbable, alors l’école elle-même peut devenir la menace d’une catastrophe à venir s’ils ne font pas « les choses » qu’on leur demande.

Un temps 0 d’avant le savoir, celui de devenir responsable du vivre

« si vous arrivez à m’expliquer que c’est normal de vivre… ». L’étincelle qui leur fait apercevoir que leur vie les concerne eux et qu’ils ont à en prendre la mesure. « A chacun sa chimère. » Comme s’il fallait un temps subjectif d’acquiescement à la responsabilité de vivre pour que l’intérêt de savoir se particularise L’école accepte-t-elle d’inclure le temps de quelque chose d’autre avant la rencontre avec le savoir ou en même temps qu’elle, mais en décalage, en tissage avec lui. L’enseignant ne dispense pas des pilules de savoir qu’il suffirait d’ingurgiter pour comprendre, il témoigne comme le père à travers la mise en place de son offre d’enseignement de comment il sait y faire avec sa propre présence, avec celle de ses élèves, le désir d’apprendre et celui d’enseigner se mettent en jeu dans une mise en langue, dans un travail de paroles essentiel à ce que se fasse un nouage entre générations. C’est dans le présent que ne doit jamais laisser s’instituer « un mur qui isole les enfants de la communauté des adultes, comme s’ils ne vivaient pas dans le même monde… » (Hannah Arendt).

Après-coup de la soirée de mardi 17 octobre 2005
Françoise Labridy

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