jeudi 8 février 2007

Sauver l’ambiguïté de la langue ou les résonances de la parole

Philippe Lacadée

Pour savoir comment répondre au sujet en analyse, la méthode est de reconnaître d’abord la place où est son ego, dans le sens ou l’ego est formé d’un nucléus verbal, autrement dit de savoir par qui et pour qui le sujet pose sa questionAlice , le jeudi soir , à l’heure de son rendez vous habituel, vient dire à son analyste, qu’elle aime rencontrer, car il est, l’au-moins-un qui ne comprend rien à ce qu’elle lui dit, ce qui la met d’abord en irritation, puis en joie d’avoir à chaque fois à lui expliquer ce qu’elle veut dire, à tenter de le lui traduire avec ses mots à elle, ce qui se pose à elle comme question dans son existence et que seule elle ne peut résoudre. Alors ce jour-là, Alice arrive très contrariée, et elle va lui préciser avec la force vive de ses 9 ans, qu’elle désire un abonnement à une revue, mais que sa mère ne veut pas. «Je lui ai donné le papier pour l’abonnement que m’a donné une copine, et je comprends pas pourquoi elle ne veut pas m’abandonner à cette revue. » Elle ne s’entend pas dire abandonner, persuadée qu’elle est, d’avoir dit le mot juste, qui serait dans la langue commune abonner. L’analyste lui souligne : « elle ne veut pas t’abandonner. » « Mais tu comprends rien, je te parle de la revue, maman elle ne veut pas que je prenne un abonnement à cette revue » « Oui je sais, tu l’as dit »« Moi je ne comprends pas pourquoi elle ne veut pas m’abandonner à cette revue. » poursuit-elle comme si de rien n’était.Est ce là un lapsus, ou ne sait-elle pas dire le mot juste qui conviendrait, le verbe qui conviendrait à la situer là, dans l’articulation du langage, comme pour y restituer son statut de parlêtre, comme semble vouloir dire à son insu l’usage qu’elle fait à ce moment-là de ce signifiant qui surgit là dans sa pensée. Elle sait dire abonnement, mais ne peut conjuguer son être dans le verbe abonner. Comme si elle vivait à travers ce verbe la fonction de l’abandon de son être dans le langage, comme si elle éprouvait de s’abonner à une revue, un certain abandon de l’Autre, ici incarnée par la mère. Comme si elle savait que recevoir de l’Autre une revue en lieu et place de sa présence était le signe de l’abandon de cet Autre qui la laisserait là seule, abandonée à recevoir une revue à la place de la présence de cet Autre, comme si elle savait à son insu que si sa mère lui disait oui, elle ne serait plus abonnée à sa mère et donc abandonée.Alors on saisit là en recevant le nucléus verbal d’Alice, comment elle a du mal à poser sa vraie question de sujet et que c’est dans les résonances de sa parole d’abandon, qu’elle doit grâce au secours du discours de l’analyste, pouvoir mettre son nucléus verbal à la place de l’agent de sa parole. Elle n’est pas elle, désabonnée de l’inconscient, puisque le signifiant tout seul qui lui arrive, abandonner, lui donne, à condition d’être reçu par le pouvoir discrétionnaire de l’auditeur, ici le psychanalyste, la possibilité de trouver par ses mots à elle comment arriver à se séparer des mots de l’Autre sans s’en sentir abandonner. Elle doit là, dans une éthique de bien dire son être, faire valoir son statut de parlêtre, en passant en revues toutes les possibilités de la solution impossible, qui de parler la renvoie à la perte de l’Autre, ce dont elle ne veut pas encore, même si elle met l’Autre en accusation de ne pas vouloir accéder à son désir.Et c’est là, que l’on saisit l’importance de ne pas toujours dire oui à un enfant, un oui qui aurait valeur pour elle, ici d’abandon de l’Autre. Elle aurait son abonnement, d’accord mais à quel prix ? Celui de l’abandon de l’Autre, comme semble lui interprétait son discours de l’inconscient auquel sa névrose par sa version du refoulement l’a abonnée. Ce qui donne à la revue un prix trop cher, qu’en fait sa névrose à laquelle elle tient n’est pas encore prête à payer. Et alors elle reçoit de l’Autre, ici son inconscient auquel elle s’est, dés son inscription dans le langage, déjà abonnée, son message sous une forme inversé, car ce que l’on entend dans les résonances de sa parole, c’est que c’est elle qui ne veut pas être abandonnée par sa mère. Et c’est là, où l’on saisit que si le sujet consent à articuler son être dans le verbe, s’il en reçoit son statut de parlêtre, et une position subjective lui permettant de se représenter par un signifiant auprès d’un autre signifiant, il doit consentir à un certain sacrifice de son être, voire un certain abandon de son être pour en échange s’abonner au signifiant de l’Autre. Et c’est là que se situe la responsabilité de l’analyste face au paradoxe fondamental de l’être humain, qui ne trouve sa condition de sujet qu’à condition d’abandonner une part de son être, pour s’exiler dans le pays de la langue ambiguë. Car lui le psychanalyste, il sait que la vie du langage, joue entièrement dans l’ambiguité, celle ouverte à tous les sens,là où il rencontrera la condition de son être d’exil dans la vie du langage. « Qui médite sur l’organisme du langage, doit savoir le plus possible, et le faire, tant à propos d’un mot que d’une tournure, ou d’une locution, le fichier le plus plein possible. Le langage joue entièrement dans l’ambiguité, et la plupart du temps, vous ne savez absolument rien de ce que vous dites » nous dit Lacan dans son séminaire Les psychoses, p 131.Et bien, c’est sur ce point que se situe le danger de la pratique des TCC, comme l’a si bien dit JAM dans Mental N 16 , p 146: « le fondement des TCC est un point de vue sur le langage, » on pourrait même ajouter que c’est un point de vue du tout, d’où leur danger quand ils font alliance avec le maître aveugle, qui comme Ministre de l’intérieur, n’a aucun point de vue éclairé sur le langage, sauf celui de faire régner l’ordre en visant l’adaptation de tous à une norme dictée par lui, et de nettoyer ce qui fait tâche dans la langue au Karscher. Ils croient dit JAM : « eux (les TCC) en un langage univoque. » Ils croient que le langage est non-ambigu, ou du moins qu’il peut aisément être utilisé de façon non-équivoque et qu’il peut être explicite. ‘(Lire le passage p 146) D'où cette pratique des contrats que l'on va voir fleurir sur le béton de la langue univoque.Le petit d’homme a besoin d’un bain de langage, ce n’est pas là qu’un apprentissage pour lui, c’est avant tout un jeu, comme on peut l’entendre, quand tout petit il se livre à cette activité primordiale de la parole. C’est un jeu car c’est pour lui jouissif, comme le Fort-da du petit fils de Freud, le reusement de Leiris, ou le dinausore, ou minuscule de Sylvia, la petite fille de JAM dont il a parlé sur France Culture, le 8 Juin 2005, et c’est ce que Lacan en équivoquant sur la langue, nomme le sens jouis, soit la jouissance , que l’écrit dans la parole peut faire entendre comme jouis-sens, et c’est là ce jeu du langage qui est en péril et que nous avons à sauver. (CF le rapport de Benisti) et le beau texte d' Ariane Chottin dans le formidable TDC 16-17. C’est ce sens jouis, qui ne sert à rien qu’il nous faut savoir rendre vivant car il est vital pour les parlêtres que sont nos enfants de nous montrer qu’ils savent le prononcer. Il va s’agir de restituer à la parole de l’enfant sa pleine valeur d‘évocation, au moment ou la parole est en danger. La résonance est une propriété de la parole qui consiste à faire entendre ce qu’elle ne dit pas. Alors face au TCC armons-nous de notre TDC, et à vos plumes.
Philippe Lacadée

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