vendredi 9 février 2007

Transfert de compétences et évaluation des pratiques

Transfert de compétences et évaluation des pratiques sont deux points abordés dans un article intitulé “ La Haute Autorité de Santé et l’évaluation des pratiques professionnelles en psychiatrie ”, paru en juin 2006. [1]

Certaines positions sont affirmées dans cet article sans ambiguïté, d’autres sont abordées sur le ton de l’éventualité, ou comme craintes situées chez les médecins eux-mêmes, et non comme intentions de l’HAS.Cela nécessite de mettre en relation les dires des uns et des autres, de les mettre en résonance avec d’autres développements pour saisir leur portée. Ce style laisse entrevoir la liste des possibles.

Possibilité de mise en place de transferts de compétence évoquée par Alain Coulomb :
“ Doit-on et peut-on l’imaginer… ?” dit-il, ceci au vu de la “ raréfaction de l’offre médicale ”, et “ du caractère précieux ” de ce temps médical se perdant “ dans des tâches administratives ”,
Formulation d’un appel, d’un “ appelant ” au sens d’appeau.
Intentions à venir évoquées, consentement des médecins psychiatres recherché, contre répartie : le contrôle médical de ce transfert de compétences.

Un transfert vers qui ?
Il est mentionné qu’il existe un “ trou ” entre “ bac +3 ” et “ bac +8 ”, dans des secteurs comme ceux des laboratoires, de la radiologie, ou encore une “ séparation ” entre infirmiers et médecins, mais quoi de la psychiatrie ?
Sans aller jusqu’au remplacement du médecin par une machine, et le sujet est mis au cours de ce débat sur le tapis, M. Coulomb nous invite à “ regarder les faits ” : “ Y a-t-il des non-médecins prenant en charge des malades mentaux ? Poser la question c’est y répondre ” dit-il (p. 12).
Il ne nomme pas les personnels concernés mais il les désigne à partir de leur fonction : “ je pense plus particulièrement à des approches comme la psychothérapie ” (p. 11)

Ce n’est plus la question du transfert de compétences qui est ensuite interrogée, mais ses conditions.
Là encore M. Coulomb questionne, mais la réponse est sous-jacente : “ Est-ce que les médecins psychiatres ont les moyens de contrôler cette forme de délégation ou la subissent-ils ? ” (p. 12).

Accepter la délégation de certaines tâches médicales, présentées comme “ moins qualifiées ”, les moins “ au cœur du métier ” pour reprendre une expression actuelle, les laisser à d’autres pas nommés, pratiquant la psychothérapie, sans être médecins... et contrôler cette “ délégation ”.
Il ne faut pas être grand clerc pour voir se profiler l’intérêt que peut représenter pour M. Coulomb les professionnels formés à bac +5, psychologues, psychothérapeutes….

Que dit-il d’ailleurs de ces “ praticiens de la psychothérapie ” ?
Il parle de “ diversité ” des “ modalités de prise en charge sans…véritable appréciation pertinente des résultats ” et il enfourche le cheval du “ besoin d’informations ” et du “ désarroi du public ”(p. 10) pour justifier la nécessité de l’évaluation, et il disqualifie ces pratiques :
“ de nombreuses personnes qui ne sont pas psychiatres prennent en charge des patients dans des conditions que je qualifierais d’erratiques et peu évaluées ” (p. 12)
L’évaluation, il n’y a que ça.
Pour contrer la médiocrité ou pour contrôler (enfin) ces pratiques ?
Son argument lui permet de justifier de l’opportunité du recours à cette formation avec un petit plus : “ sous contrôle médical ”. “ Ces professions intermédiaires pourraient avoir d'ailleurs un tronc commun avec la formation médicale ” (p. 12)

Je ne mettrai pas ici en avant certaines des paroles de M. Coulomb, qui visent de façon manifeste ceux, et ce qu’il a trouvé sur sa route, d’où la récupération de termes empruntés à cette autre sphère sans la citer (singularité, humanisme…) et le recours, encore, à des arguments tels que “ négation de la recherche ” et “ charlatanisme ” visant ceux-là mêmes qui ne consentent pas, et qui ont pu démonter les ressorts de l’évaluation (p. 17). Je veux juste interroger ici l’orientation qu’il entend prendre.

Au “ maquis ” et à la “ cacophonie ”, M . Coulomb veut voir se succéder une “ évaluation des pratiques professionnelles ” à laquelle lui-même comme J.-C. Pascal disent vouloir poser, donner des limites après avoir eu “ le désir un peu fou de mettre tout sous contrôle ” (p. 13). Quelles “ limites ” donc ?

Me Hardy Baylé évoque la crainte de certains médecins de voir certaines propositions thérapeutiques être “ déremboursées ” si elles ne figuraient pas dans le référentiel ”, avec pour conséquence la “ disparition ” des pratiques psychothérapiques qui ne pourraient se “ protocoliser ”(p. 14), son hypothèse n’est pas démentie.

Tout au contraire : M. A. Coulomb dit bien qu’entre “ tout et rien il doit y avoir quelque chose ”, parole plutôt accomodante, mais il dit plus loin, que l’évaluation, ou “ démarche qualité ” ainsi qu’il la nomme, “ n’a pas vocation à imposer ses valeurs de manière abstraite ”: l’évaluation s’imposera donc, et par l’intermédiaire des organismes qui auront été agréés.
Ces organismes sont donnés soit comme un modèle “ classique ” de la démarche de la Hautre Autorité (FORMEP’S), soit comme pratique adaptée à la psychiatrie, permettant le maintien d’une diversité… (Prat Psy)

Qu’est-il dit, brièvement, de cette démarche PratPsy dans l’article qui lui est consacré ?

Définissons d’abord l’EPP (évaluation pratique professionnelle) comme “mise en œuvre et suivi d’améliorations de la pratique ” (p 22). C’est ce par quoi M. Coulomb conclut dans l’article précédent : “ cette confrontation entre référentiel et pratique … constitue le cycle même de l’évaluation ”.
Le référentiel a donc “ un caractère évolutif ”, une fois mis en route il se modifie et constitue alors la nouvelle norme, la nouvelle référence, étant entendu que la condition même de cette démarche est son appropriation par les professionnels.
Cela implique que ces organismes, comme le dit JM Pascal, ne sont pas agréés comme ils le croient pour “ faire l’évaluation des pratiques professionnelles ”, mais “ pour produire les éléments de bonne pratique médicale, en l’occurrence psychiatrique ”.

Les professionnels psychiatres ne décideront plus. Ils n’auront plus, en entrant dans l’évaluation, la responsabilité de leurs pratiques. Elles seront “ produites ” par les “ organismes ” agréés au terme de chaque évaluation. L’esprit serait donc qu’elles deviennent obligatoires, au terme de chaque démarche.

De quelle façon ?
Si nous nous penchons sur les règles établies pour le fonctionnement de Prat Psy, pratique dite “ adaptée ” :
- Les praticiens seront regroupés dans une “ fédération nationale de groupes de praticiens ”.
- Ces groupes seront animés par des “ animateurs ” chargés d’organiser et d’animer les groupes, et entre autres “ d’amener aux participants des groupes les connaissances utiles sur la thématique choisie ” (p. 24)…
- Qui acceptera de participer acceptera de façon obligée que le groupe soit pluri-professionnel (p 24)
- Acceptera aussi “ de ne pas travailler avec une référence théorique unique mais d’être ouvert à l’ensemble des données utiles à ce jour en matière de pratique de soins ” (p. 24)
le thème choisi ne devra pas refléter une théorie psychopathologique mais appartiendra à ce qui se définit là comme “ relevant d’une clinique du soin ” soit : “ quand et comment hospitaliser en urgence ? choix d’une psychothérapie ”… (p. 24).Le consentement mènera donc à la mise à l’écart des savoirs, au profit de données jugées “ utiles à ce jour ”. Cette mise à l’écart en rappelle une autre, celle qui a abouti à la référence DSM ou CIM, dite “ a-théorique ”.
Il paraît intéressant de se reporter à ce que pouvait dire J.-D. Matet dans un article intitulé “ les coulisses du DSM III ” en 1986 (l’Ane, numéro 27).

“ Mise à la trappe ”, disparition des concepts référés à une référence théorique singulière. Nous avons affaire ici à une “ évaluation des pratiques ”, et non aux “ questions d’un sujet supposé savoir confronté à sa pratique, à sa rencontre avec le cas ”, ici c’est “ quand et comment ”, c’est “ choix d’une psychothérapie ” au regard “ des troubles ” CIM considérés, ici ce sont des questions sans sujets.

[1] La Haute Autorité de Santé et l’évaluation des pratiques professionnelles en psychiatrie, débat organisé le 16 mars 2006 entre Alain Coulomb, Marie-Christine Hardy Baylé, Jean Charles Pascal, et Jean Michel Chabot. “ PSN ” Psychiatrie, sciences humaines, neurosciences, numéro spécial, juin 2006, p. 10-17.

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